Ouf, j'ai enfin terminé. Et je vais pouvoir parler un peu de contes, ça faisait longtemps.
Je devais m'occuper des illustrations pour la prochaine édition des contes de Grimm, à paraître chez Corti courant 2009, et je viens de rendre ma copie à la traductrice, Natacha Fertin, qui devrait bientôt transférer tout ça avec son propre travail à Fabienne Raphoz, l'éditrice. J'en profite pour faire de la pré-publicité, en rappelant certains éléments de l'histoire de la traduction des contes en France.
La première édition des contes de Grimm paraît en 1812 pour le premier tome, en 1815 pour le second. La seconde édition, passablement augmentée et révisée, est publiée en 1819, et le recueil ne cessera d'être remanié du vivant des Grimm, jusqu'à la septième et dernière édition, qui est publiée en 1857 si ma mémoire est est bonne. C'est cette édition finale qui fait désormais référence en ce qui concerne le texte définitif des Grimm. L'édition de référence allemande est l'édition Reclam, établie par Heinz Rölleke, en 3 tomes: les deux premiers comprennent les 200 contes et 10 légendes enfantines, le troisième comprend les notes des Grimm, avec tout l'appareil critique de Rölleke.Il ne faut en effet pas oublier que l'édition complète des contes de Grimm comprenait de nombreuses notes de leur cru, généralement regroupées dans un troisième tome. D'une part, ces notes avaient pour but de donner les sources de leur collecte, écrites et orales (dans ce dernier cas, ils donnaient les noms de leurs conteurs): même s'ils ont énormément remanié les contes, les frères Grimm sont les premiers à avoir eu le souci théorique d'une collecte directe des sources orales. D'autre part, les notes des Grimm opèrent de nombreux rapprochements philologiques entre leurs contes... et d'autres contes d'autres collections, mais également des motifs pris dans les légendes et la mythologie germano-scandinaves.
Revenons à nos éditions. Les premières traductions apparaissent très tôt en Europe, au Danemark d'abord, puis en Hollande, en Grande-Bretagne, en France, etc. Mais à chaque fois, ce ne sont que des traductions partielles, qui ne comprennent qu'une sélection bien particulière des contes. Les premières traductions intégrales apparaissent en Grande-Bretagne et au Danemark en 1884. Margaret Hunt, la traductrice anglaise de 1884, traduit également les notes philologiques des Grimm.
Et devinez de quand date la première traduction intégrale en langue française? De 1967! Diable, c'est impressionnant un tel retard! Plusieurs explications à cela. D'abord, la place prépondérante que prend la petite collection de Charles Perrault dans l'édition française. Moi qui ai travaillé sur les illustrations, je peux vous assurer que les illustrateurs français des contes de Grimm se réduisent à peau de chagrin par rapport à ce qui se fait, bien sûr en Allemagne, mais surtout en Grande-Bretagne. En France, les éditeurs comme les universitaires n'ont d'yeux que pour le conte français, et pour Perrault en particulier. D'autre part, depuis la fin du XIXe jusqu'au milieu du XXe siècle, le germanophobisme a certainement fait son oeuvre...
Hans Christian Andersen
Je pense que pour Andersen on a eu pendant très longtemps à peu près le même problème que pour Grimm, à savoir un retard très important dans la traduction des contes. Mais au moins, pour l'écrivain danois, on a aujourd'hui une belle édition Pléïade traduite par Régis Boyer. Même si on n'est pas toujours d'accord avec Boyer, on a quand même droit à une édition sérieuse, avec des notes, une bonne introduction, etc. Mais pour Grimm, qui constitue tout de même l'un des trois grands classiques du conte de fées? Depuis la traduction d'Armel Guerne en 1967, réimprimée à plusieurs reprises, plus rien. Les nouvelles traductions sont partielles, comme celles, très bonnes, de Marthe Robert et de Jean Amsler pour Gallimard (Folio). Mais alors que les éditions scientifiques des contes se succèdent en langue anglaise depuis 1884 (j'en connais au moins trois), aucune trace en France.
Je résume le problème: il n'existe à ce jour aucune édition scientifique des contes de Grimm. La traduction intégrale d'Armel Guerne présente le texte brut, et a des partis pris de traduction très discutables. Sinon, il n'existe que des traductions partielles.
Bon. Devant ce vide éditorial, José Corti décide de payer une jeune universitaire pour traduire et rédiger les notes d'une nouvelle édition intégrale des contes. Cette traduction, ça doit bien faire au moins trois ans qu'elle s'y est attelée (en même temps, elle rédige sa thèse et donne des cours à l'université, pitié pour elle), et elle devrait sortir courant 2009.
Quel est mon rôle dans tout cela? Je me suis greffé sur le projet en cours, et j'ai choisi les illustrations qui normalement devraient orner l'ouvrage (il faut encore que le projet soit définitivement entériné par Corti). Parce que chez José Corti, on fait des livres très sérieux, mais sans faire dans l'universitaire ultra-aride. L'idée est donc de faire un livre qui puisse faire référence du point de vue scientifique (d'où un appareil critique conséquent), mais qui soit aussi un livre sinon attrayant, du moins un peu aéré (d'où les illustrations). Mon travail est absolument dérisoire par rapport à celui de la traductrice, ce qui ne m'empêche pas de parler du projet comme étant très important.
Je n'en dis pas plus, mais je voulais souligner le manque en la matière, et rappeler les éditions disponibles actuellement dans le commerce (je ne parlerai pas ici des illustrés et autres albums):
Couverture du tome 2 de la traduction Guerne, avec une très belle illustration du Petit Chaperon Rouge... de Perrault (je ne me souviens plus de l'artiste, honte à moi, il est très connu en plus)
La traduction intégrale d'Armel Guerne chez Garnier-Flammarion, qui date un peu (1967), mais qui dans l'ensemble est très bien. Assez littéraire, elle s'écarte néanmoins à plusieurs reprises de la lettre, et prend des partis bizarres et discutables, comme la francisation systématique des noms de personnage. Ainsi, Hansel und Gretel est traduit sous le titre Jeannot et Margot, ce qui vous l'avouerez est un parti discutable. Et puis les contes ne sont pas numérotés, contrairement à ce qui se passe dans l'édition allemande, et il n'y a aucun appareil critique, à part une très courte et pas très utile introduction. Cette édition a l'avantage d'être la seule traduction intégrale française, à la fois la seule disponible et la seule tout court.
Traduction de Marthe Robert, avec un beau Burne-Jones en couverture, qui est un détail d'une oeuvre plus conséquente représentant la version Grimm de la Belle au bois dormant (Dornröschen, en anglais souvent traduit par Briar Rose)
La traduction de Marthe Robert (1976) est excellente, mais très littéraire. Elle comprend les contes les plus connus (Petit Chaperon Rouge, Blancheneige, Belle au bois dormant, etc.), et est dotée d'une très bonne introduction. Il faut savoir que Marthe Robert est également traductrice de Freud: son introduction, sans verser dans la pure interprétation psychanalytique, est très psychologisante.
Traduction de Jean Amsler, avec en couverture un tableau de Charles Altamont Doyle (le père d'Arthur Conan, qui voyait des fées partout et a fini sa vie alcoolique et fou)
La traduction de Jean Amsler (1996) fait suite à celle de Marthe Robert: elle reprend des contes différents. Sa postface est plus courte, mais d'aussi bonne tenue. Moins psychologisante, plus littéraire. La traduction en elle-même est plus vivante, moins littéraire que celle de Marthe Robert, mais il faut dire que les contes s'y prêtent davantage: onomatopées, idiomes plus populaires, etc.
Pas très récemment (1990), il est sorti en folio bilingue une sélection de contes avec la traduction de Marthe Robert. Je ne l'ai pas feuilletée, mais j'imagine qu'elle doit comprendre les contes les plus connus.Un peu plus récemment encore (1999), il est sorti exactement la même chose, mais avec d'autres contes, dans une traduction nouvelle de Yvon Girard. Je ne sais pas ce qu'elle vaut, mais ça doit être très bien.
En attendant 2009, bonne lecture!
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 28 août à 13:07
« Et devinez de quand date la première traduction intégrale en langue française? De 1967! Diable, c'est impressionnant un tel retard! »
« Mais pour Grimm, qui constitue tout de même l'un des trois grands classiques du conte de fées? Depuis la traduction d'Armel Guerne en 1967, réimprimée à plusieurs reprises, plus rien. »
Balivernes. Ça n'a rien d'un retard ou d'une quelconque iniquité. Bien au contraire, vos trois auteurs dits classiques, sans être les plus admirables conteurs, sont les seuls connus.
La plus grande injustice, c'est le total oubli infâme de nos plus grands conteurs : d'Aulnoy, Castelnau de Murat, Galland, Gueullette, Leprince de Baumont ou Caylus...