Par Thierry Godefridi.
S’adressant à la génération des 20 à 30 ans, il la prévient de la refonte nécessaire du modèle de société insoutenable de l’Europe des dernières décennies et l’invite à comprendre les mutations, à résister à la morosité ambiante et à se prendre en main. Ayant vécu à Berlin, Londres, New York et Hong Kong, l’auteur semble mieux placé qu’un simple navetteur Paris-Bruxelles-Strasbourg pour dispenser une vision panoramique du monde et des idées toniques aux candidats entrepreneurs et investisseurs, toutes générations confondues.
« Si l’Europe représente à peine plus de 7% de la population mondiale, produit environ un quart du produit intérieur brut global et doit financer 50% des dépenses sociales mondiales, alors il est évident qu’elle devra travailler très dur pour préserver sa prospérité et sa manière de vivre », avait déclaré Angela Merkel dans une interview accordée au Financial Times en décembre 2012. David Baverez cite la chancelière allemande (tout en omettant curieusement d’en reprendre la conclusion concernant l’âpreté au travail, garant de la prospérité) et il applique son équation à la France : 1% de la population mondiale, 4% du PIB global et 15% des charges sociales mondiales. Faut-il s’étonner, ironise-t-il par ailleurs, du manque de sagacité à l’égard des réalités nouvelles de la part des élites d’un pays, la France, qui fut la seule à lutter contre la réunification allemande en 1989 et la seule à reconnaître les généraux russes responsables de l’éphémère tentative de putsch en 1991 ?
David Baverez voit dans les nouvelles réalités d’aujourd’hui et de demain le résultat de trois révolutions concomitantes, celle de la mondialisation qui a démultiplié le nombre d’acteurs économiques et de talents disponibles, celle de l’énergie (domaine dans lequel il juge la politique de l’Europe comme la plus funeste, rejoignant en cela l’argument développé par Corentin de Salle et David Clarinval dans leur livre Fiasco Energétique) et celle des technologies de l’information (domaine dans lequel il dénonce l’erreur stratégique que l’Europe a commise en maintenant une fragmentation artificielle de son marché intérieur face aux géants mondiaux que sont Google, Amazon et Facebook, rejoignant en cela l’argument développé par Guy Verhofstadt dans son mémorable débat sur France 2face à Jean-Luc Mélenchon et Henri Guaino).
S’inspirant du best-seller de l’historien écossais Niall Ferguson, Civilisations : l’Occident et le reste du monde, Baverez énumère les facteurs ayant favorisé l’hégémonie de l’Europe dans le monde par le passé : la concurrence comme source d’innovation ; la science, gage de supériorité militaire ; le droit de propriété, pilier de la démocratie représentative ; la médecine, source de bien-être collectif ; la société de consommation, moteur de l’industrialisation ; l’éthique du travail, ciment social. Si l’on mesure les perspectives de l’Occident et du reste du monde à l’aune de ces facteurs et en particulier du dernier (l’éthique du travail), l’on peut comprendre le déclin relatif de l’Occident et l’essor du reste du monde. Mais, quel que soit le facteur retenu à l’exception du dernier, l’ardeur au travail, l’on se montrera plus réservé que l’auteur quant à leur valeur explicative du développement économique de la Chine. Que ce soit sur le plan de l’état de droit ou celui du bien-être collectif, la réalité peut paraître plus enivrante du haut d’une tour hongkongaise qu’à Shenzhen ou à Guangzhou (comme peut en témoigner l’auteur de cette recension) voire même à Shanghai (comme en témoigne l’article publié récemment dans le FT sous le titre Life as a trashpicker in a Shanghai Hole). La Chine, reconnaît David Baverez, présente simultanément les caractéristiques d’un pays développé, d’un pays émergent et d’un pays du tiers monde. Elle n’est pas, non plus, immunisée contre un accident de croissance dû à la spéculation immobilière et boursière.
Reste Hong Kong, le poste d’observation qu’a choisi l’auteur de Génération tonique. Il se montre dithyrambique pour sa « terra entrepreneuria » et raconte ce déjeuner au cours duquel un investisseur chinois s’enquit auprès de la ministre française déléguée à l’économie s’il devait changer d’avocat car le sien ne cessait de lui réclamer de nouveaux documents pour créer sa société et ouvrir un compte en France et comment il fallait développer une affaire sans personnel car tout le monde – banquier, comptable et épicière – lui déconseillait vivement d’en embaucher. Cette anecdote, puisée dans ce livre bouillonnant de réflexions et d’idées, à lire absolument, ne suffit-elle pas à montrer où le bât blesse dans notre modèle de société ?