Toujours ce lys devant la fenêtreComme passe le vent d'été;Ce n'est plus le temps de renaîtreC'est celui d'avoir été. (Henri Thomas, À quoi tu penses)
1.
30 mai 2015.- Ciel changeant (23°C) Vu un film, L'Amant de Cinq Jours de Philippe de Broca. La désinvolture de Jean Pierre Cassel, l'accent de Jean Seberg, la fantaisie de Micheline Presle, la drôlerie désabusée de François Perrier et ce simple constat : Au cinéma il FAUT que les personnages soient aimables et l’essentiel est fait… Lu Savannah de Jean Rolin. Où le goût de Rolin pour la topographie (les portes-conteneurs, les friches urbaines et les bestioles), rejoint l’intime, cette relation qu'il eut avec Kate Barry, ce voyage qu'ils firent tout deux à Savannah à la recherche de Flannery O'Connor, puis la mort de Kate Barry, les souvenirs et cette envie de « retourner voir » sept ans plus tard. Livre aussi magnifique qu'il est court, le meilleur de son auteur puisqu'il n'y est plus question de journalisme ni de récit encombré de prétextes fictionnels. Rolin a vraiment trouvé son sujet et son sujet est un tombeau : « Mon violon d'Ingres, c'est d’élever des paons, une occupation qui repose entièrement sur les paons… » D'autre part entamé le livre que Jerome Garcin consacre à Jacques Lusseyran, écrivain non voyant, résistant héroïque, déporté à Buchenwald, certainement de la littérature « grande presse », mais pourquoi pas après tout ?31 mai 2015.- Beau temps tiède, quelques rares, mais replets nuages, assurant une climatisation toute naturelle (26°C) Le Voyant : un résistant aveugle, les couleurs du Jardin du Luxembourg, Buchenwald et l'ignominie, la France de l'immédiat après guerre, un gourou un peu margoulin, l’Amérique des années soixante, des complications sentimentales, la mort au coin d'une route… On aurait beaucoup de peine à vouloir faire un mauvais livre avec la vie de Jacques Lusseyran, encore faudrait-il connaître cette vie et c'est le grand mérite de Jerome Garcin que de la connaître. Joli livre ému, parfois un peu pelucheux… Pas grand-chose à en dire d'autre, je suis flapi (ah si ! Le lisant on passe un peu de Primo Levi à Modiano et de Modiano à Philip Roth, en amoindri, certes, mais il y a de ça…)
1 juin 2015.- Moiteur, pluie tiède, quelque chose de tropical, mais en postiche (26°C) Proust contre la déchéance. Court volume, une conférence donnée par Joseph Czapski, officier polonais prisonnier dans le camp soviétique de Griaziowietz pendant l'hiver 1939/1940. Au milieu d'un froid réfectoire désaffecté où sont rassemblés quelques prisonniers attentifs, il évoque le salon des Guermantes, les amours de Swann et la chambre enliègée du père Proust. Nous n'apprenons pas grand-chose, ce n'est pas un grand livre, mais c'est à coup sûr un grand exemple de résistance par le savoir (et la mémoire puisque cette conférence fut prononcée sans plus de matériel que les souvenirs de son auteur.)4 juin 2015.- Tentation caniculaire (32°C). Amorphe, trop de tiédeur. Quelques Greguerias de l'ami Ramón, rien de plus : « face au “moi ” et au “surmoi ” il y a le “qu'est ce que j'en sais moi ! ” ».Rien (ou presque) : Le temps passe, notre nombril est toujours là. 5 juin 2015.- Ciel céruléen, grande tiédeur, très grande tiédeur (36°C). Lu le Monde des Livres sous l'ombre portée d'un cerisier lourdement chargé de fruits. Assez bon feuilleton de Chevillard qui m'a donné l'envie d'acquérir Les souris gloussent, les chauves-souris chantent, somme naturaliste potentiellement sautillante parue chez José Corti. À lire également : Maurice Garçon, Journal (1939 -1945), Vilnius Poker de Ricardas Gavelis chez Monsieur Tousaint Louverture. Pour le reste pas d'inspiration, plutôt de la transpiration, je vous laisse. 6 juin 2015.- Grande chaleur (33 °C) Entamé les Coins coupés de Philippe Garnier. Autobiographie un peu déguisée où Garnier s'invente un double (Stretch) pour mieux se raconter tout en fictionnant un peu autour de ses souvenirs. Livre pour l'instant formidable, plein de coqs à l’âne et d’anecdotes sautillantes. Les débuts de Garnier comme disquaire au Havre, son exil américain, ses pérégrinations dans le milieu des collectionneurs de disques. New York, San Francisco puis LA dont il fait un portrait pointilliste et topographique tout à la fois. Des rencontres Poison Ivy et les Cramps, Crocus Behemoth et Pere Ubu, Terry Melcher et Charles Manson, beaucoup d'autres… Garnier raconte toujours ses histoires (son histoire, l'Histoire) par le petit bout de la lorgnette, les détails croquignolets, les arpents fétichistes, on pourrait lui reprocher ce ne sera pas mon cas : « Il avait véritablement cessé de s'intéresser au rock, en fait, à peu près quand les Smiths avaient cessé de manger de la viande. Mais c'était vrai que le décrochage correspondait à peu près à l'avènement de ce groupe, de cette voix qu'il ne pouvait encaisser, de la “ligne claire” qu'il ne pouvait lire. »7 juin 2015.- Beau temps chaud (31°C) Belle journée. Presque fini les Coins coupés de Garnier. Vie sociale, psychogéographie dans le vieux Lyon. Tour chez les bouquinistes. Acquis Épaves de Julien Green (2€), Bouddha vivant de Morand (5€), Hello, Plum ! L'autobiographie de PG Wodhouse (5€). Bu quelque bières au débotté, regardé les touristes et les péniches passer. Retourné chez moi, encore une bière, un vent léger, quelques nuages, tout est pour le mieux même si l’orage guette. 8 juin 2015.- Moiteur mékongaise (31°). Incapable d'aligner plus de trois lignes je me contenterai d'une.9 juin 2015.- Ciel bleu pâle, quelques nuages de moyenne altitude, plus de fraîcheur (24°C). Slight return in Stendhal’s diary. On passe son bras sous le bras de quelques gourgandines, on regarde passer le Roi (l'Empereur?) sur le Pont de la Révolution, on vit légèrement, on aime beaucoup, on est rempli de sentiments… Rien (ou presque) : Les périodes d’indifférence blasée et d'ennui taciturne sont les brindilles qui charpentent le nid de notre curiosité.11 juin 2015.- Chaleur, nuages tardifs (32°C). Cioran, Cahiers. Le 10 mars 1963. Cioran sort se promener, il rentre bien vite, incapable qu'il est de regarder les passants, leur simple « existence », qui ne peut être qu'inconcevable : « On ne peut pas se promener la tête baissée, dans les déchirements de la honte… » Stendhal, diary. Le 24 septembre 1811, l'ami Beyle part de Mantoue à deux heures, il passe le Pô à quatre, il est bien réveillé, sens tout. Mourant de faim il dîne à Modène : « la plus propre et la plus gaie ville d'Italie… »
Rien (ou presque) : Il n'y a pas d'indignés heureux, ou alors avec un peu de folie dans la main droite et un gros mouton dans l'autre.12 juin 2015.-Tendance orageuse, quelques gouttes tièdes (25°C) Le Monde des Livres, des « écrivaines » et des « auteures » de l'ennui et cette question : « Quoi de neuf ? Le roman ! » Pour Cécile Minard (écrivaine et auteure), le Roman doit être l’œuvre de « fictionneurs » marchant de travers, faisant des pas de côté, des écarts. Pour Thomas Clerc le type de roman contemporain le plus intéressant est le Biolitt (roman biographique), j'ai des doutes. Pour Cloé Korman (auteure, écrivaine), le roman est une « manière puissante d'essayer de comprendre comment s'enclenchent les scénarios de cauchemar qui nous entourent, ces capitales de la douleur qui ont pour nom Alep, Bangui, Tripoli où les bateaux qui coulent en méditerranée… » J'ai encore des doutes. Pour Fabrice Humbert (écrivain, auteur), le roman est un « art bâtard composé de mille déchets ». Très bien, très bien, lisant tout cela j'ai envie de crier QUANT EST-IL DE LA METAPHYSIQUE ?! Je ne le ferai pas au risque de paraître réactionnaire, fou ou illuminé. De toutes les façons le roman-roman, hein !
19 juin 2015.- Une paire de nuages matinaux puis un ciel limpide, bleu pâle (26°C). Social life. Quelques kilomètres de psychogéographie outdoor, me suis retrouvé par hasard au milieu d'un groupe de retraité allemands en bord de Basilique. Plus loin, pirouetté aléatoirement au cœur d'un vieux cimetière lyonnais, grande quiétude. Matin j'avais entamé le Bouddha vivant de Morand. Le volume achevé d'imprimer le 15 juin 1927 est rempli de senteurs noisettes, de mordoré latent. Il y est question d'un prince, d'une Bugatti et de l'Asie de l’extrême Sud-est. Les Clichés racistes qui pleuvent ici où là sont largement rachetés par un style toujours éblouissant, Morand est un con qui écrit divinement : « La voiture était à deux places. Renaud s'assit à du côté du Prince, qui mit le gaz et la Bugatti bondit hors de la cour de marbre, légère comme le cercueil d'un fumeur d'opium »
3.20 juin 2015.- Rares passages nuageux, temps agréable (25 °C). Un oiseau que j'imagine fluet c'est permis de me fienter dessus alors que je finissais le Bouddha Vivant de Morand, rien de grave puisque le volatile indisposé à eu la délicatesse de ne pas viser mon volume ouvert et s'est contenté de mon ventre qui offrait plus de surface. Voilà l'un des risques de la lecture en extérieur, je l'assume. En dehors de cette bucolique mésaventure le Bouddha Vivant était assez bon, presque parfois craquant sous la dent, un petit fatras bancal et joliment obsolète où Morand nous revend une histoire de prince Singapourien qui virera ascète bouddhiste en deux trois mouvements. Évidemment, le bouddhisme vu par Morand est un coquet machin plein de clichés colorés, mais il y a du charme (le charme du mufle?) et quant au style…. Morand derrière moi (et les oiseaux fienteurs hauts dans le ciel, j'ai entamé Une Vie Ordinaire de Georges Perros. C'est un « roman-poème » (ou plutôt une autobiographie-poème) d'une simplicité désarmante. (Moi je l'ai rencontré un jour
Valéry dans les vespasiennes
et fait pipi tout près de lui
écoutant la chanson bien douce
qui s'écoulait de sa vessie)
22 juin 2015.- Passages nuageux, moiteur torve (31°C) Reprise du labeur, lourdeur. Toujours dans le « roman poème » de Georges Perros (Une vie ordinaire), souvent admirable :
J'avance en âge mais vraiment
je recule en toute chose
et si l'enfance a pris du temps
à trouver en mou je pense
voilà qui est fait et je suis
devenu susceptible au point
qu'on peut me faire pleurer rien
qu'en me prenant la main Je traîne
en moi ne sais quelle santé
plus prompte que la maladie
à me faire sentir la mort
Tout m'émeut comme si j'allais
disparaître dans le moment
Ce n'est pas toujours amusant.
Nous aimons ce qui nous fais mal
et détestons ce qui nous plaît
De vivre rien ne nous console
Mais mourir nous fait de l'effet
pour un bon bout de temps je pense
La vie et la mort vont ensemble
bras dessus et puis bras dessous
Vierges et puceaux gardez-vous
quand le sexe un peu vous démange.
Le Monde littéraire et deux lourds pavés évoqués qui auront éveillé mon intérêt : L'Âge des ombres. Conspiration et conspirateurs à l'âge romantique, de la Restauration à la chute du Second Empire (1820-1870) de Jean Noël Tardy (672 pages), Histoire de la littérature en Suisse romande de Roger Francillon (1728 pages)
Rien (ou presque) : Le lymphatisme triomphant et l'ennui solide sont mes deux occupations favorites. Allez faire une « œuvre» avec ça !28 juin 2015.-Tendance caniculaire (33°C). Passé l'essentiel de ma journée à la recherche d'un filet d'air bien à même de rafraîchir un atmosphère d'ores et déjà brûlant. Presque parvenu à mes fins poursuivi la lecture du Journal de Paul Nizon, « garçon » assez antipathique, plus souvent immodeste que modeste, mais deux trois belles choses tout de même, quelques anecdotes sur Canetti, deux trois notes de lectures assez éclairantes et puis des enterrements, beaucoup d'enterrements, l'âge certainement.
Fini Une Vie Ordinaire de Perros. Beau livre.29 juin 2015.- Nous y sommes, canicule ! (34°C). Le ciel céruléen et mes intentions n'ayant rien de vraiment veilleitaire j'ai rouvert L'Air et les songes de l'ami Bachelard, qui ne déçoit jamais : « La volonté nietzschéenne prend appui sur sa propre vitesse. Elle est une accélération du devenir qui n'a pas besoin de matière. Il semble que l'abîme, comme un arc toujours tendu, serve à Nietzsche à lancer ses flèches vers le haut. Près de l'abîme, le destin humain est de tomber. Près de l'abîme, le destin du surhomme est de jaillir, tel un pin vers le ciel bleu.»
« Le ciel bleu est une aurore permanente. Il suffit de le contempler les yeux mi-clos pour retrouver ce moment où, bien avant les éclats d'or du soleil, l'univers nocturne va devenir aérien. C'est en vivant sans cesse cette valeur d'aurore, cette valeur d'éveil que l'on comprend le mouvement d'un ciel immobile. Comme le dit Claudel : “Il n'y a pas de couleur immobile. ” Le ciel bleu a le mouvement d'un éveil.»