Plusieurs spécialistes voient d’un bien mauvais œil le Partenariat transpacifique, l’accord de libre-échange que le Canada s’apprête à signer avec une douzaine d’États de la région Asie-Pacifique (dont les États-Unis).
En surface, le Partenariat transpacifique (PTP) se présente comme un partenariat centré sur l’industrie laitière et des pièces automobiles. Dans les deux cas, la proposition est essentiellement la même du point de vue canadien : ces secteurs devront faire face à plus de concurrence étrangère en échange d’une compensation financière de plusieurs milliards de dollars.
Toutefois, comme le souligne aujourd’hui Michæl Geist, davantage de concessions se retrouvent sur la table de négociations.
Le Partenariat transpacifique va bien au-delà de l’industrie laitière et des pièces automobiles.
D’une part, de nouvelles règles ouvriraient la porte à de potentielles poursuites de sociétés étrangères contre le gouvernement canadien à l’égard de politiques nationales ou de décisions judiciaires. Il serait également question d’une révision de la loi canadienne sur le droit d’auteur, ayant comme conséquence de prolonger le délai avant qu’une œuvre tombe dans le domaine public de plusieurs décennies, soit au-delà de la norme internationale. Enfin, l’un des effets les plus troublants et largement ignoré du PTP implique la vie privée.
Vie privée, vous avez dit vie privée?
Yep, on a dit «vie privée». En fait, on l’a écrit, mais c’est tout comme si on l’avait dit.
Si le droit à la vie privée n’est pas au cœur de ce partenariat, certaines mesures proposées sont susceptibles de venir entraver la capacité des gouvernements d’établir des garanties sur la confidentialité des informations sensibles de leurs citoyens.
D’abord, tel que le résume le gouvernement canadien, le Chapitre portant sur le commerce électronique «empêche les gouvernements des pays du PTP d’exiger l’utilisation de serveurs locaux pour le stockage de données». Cette mesure est bien entendu une demande des entreprises de la Silicon Valley, qui souhaitent à tout prix éviter d’avoir à gérer des centres de données à l’extérieur des États-Unis. Si le Canada n’exige pas pour le moment que les données confidentielles de ses citoyens soient stockées sur son territoire, la crainte d’une exploitation de celles-ci par le gouvernement américain (en vertu du Patriot Act par exemple) pourrait l’inciter à changer d’idées.
En adhérant au PTP, le Canada renoncerait non seulement à cette option, mais sa participation viendrait potentiellement invalider les efforts déployés par les gouvernements de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Écosse, qui ont justement adopté des lois pour conserver les données gouvernementales (telles que celles liées au système de santé) à l’intérieur de leur province.
L’une des nombreuses salles de serveurs de Facebook.
Ensuite, il est question de «dispositions qui protègent la libre circulation transfrontalière de l’information». Cette mesure est une arme à double tranchant : elle peut être perçue comme étant un moyen de contrer la censure, mais elle pose aussi de sérieuses limitations quant à la possibilité du Canada de restreindre les transmissions de données personnelles de ses citoyens vers l’étranger.
Difficile ici de ne pas faire le lien avec les récents démêlés entre l’Union européenne et les États-Unis à propos de l’invalidation du Safe Harbor, l’accord visant à protéger les renseignements personnels des citoyens européens lors de l’exportation de données commerciales vers les États-Unis. Par conséquent, les membres du PTP renonceraient ainsi à l’implantation de mesures servant à encadrer ces transferts.
FACIL s’oppose au Partenariat transpacifique
En réaction aux récents développements dans le dossier du Partenariat transpacifique, dont les négociations se sont déroulées presque essentiellement à huis clos, l’organisme à but non lucratif FACIL s’est prononcé ce matin contre celui-ci.
Le Canada s’apprêterait à abandonner le régime d’avis et avis, qui oblige notamment les FAI à relayer les avis de violation du droit d’auteur à leurs clients.
Dans son communiqué, l’organisme rappelle les dispositions du PTP à l’égard du droit d’auteur au pays, en ajoutant que selon des documents coulés par Wikileaks il y a quelques jours, le fait de contourner les dispositifs de verrous numériques (DRM) pourrait se voir criminalisé en vertu de cet accord.
«Ces mesures voulues par la grande industrie du divertissement mondialisé soi-disant pour “empêcher la copie non autorisée” sont complètement disproportionnées par rapport au but visé», mentionne FACIL.
Toujours selon l’organisme, le Canada s’apprêterait à abandonner le régime d’avis et avis, conçu pour minimiser les recours judiciaires et respecter la vie privée des individus en obligeant notamment les FAI à relayer les avis de violation présumée du droit d’auteur à leurs clients, afin de privilégier un système plus répressif.
Enfin, FACIL rappelle qu’il souhaite l’abrogation définitive de la Loi antiterroriste de 2015 (C-51), en invitant le gouvernement à adopter un plan de protection de vie privée comme celui proposé par OpenMedia en mai dernier.
La position des principaux partis politiques
Inutile de vous rappeler que les Canadiens sont appelés à voter le 19 octobre prochain. Bien qu’il ne soit pas présenté comme le plus important, le Partenariat transpacifique demeure un enjeu important de la campagne électorale fédérale actuelle.
Sans surprise, le Parti Conservateur défend le PTP, en insistant sur le fait qu’il représente une source de croissance économique pour le Canada. Le Parti Libéral est plutôt indécis étant donné que les détails de l’accord n’ont toujours pas été dévoilés publiquement. Enfin, le NPD s’est prononcé farouchement contre l’adhésion du Canada au PTP.