Lula Ann connaît dés son enfance un rejet dû à sa couleur de peau puisque sa mère elle-même ne comprend pas sa couleur de la peau de sa fille et répugne à la toucher. Plus tard la petite Lula Ann se fera appeler Bride et transformera ce qu'elle a ressenti dans les premières heures comme une faiblesse en force. Devenue une femme brillante travaillant dans les cosmétiques, elle se construit une image mettant en valeur sa peau noire ébène. Mais le jour où son petit ami la laisse sur le bord de la route sans réelles explications, lui disant juste "T'es pas la femme que je veux", elle est perdue, comme si, à nouveau, elle revivait les rejets de son enfance. Elle part alors sur les traces de cet homme pour mieux comprendre qui elle devrait être, pour savoir, enfin, pourquoi on ne peut pas l'aimer pour ce qu'elle est.
Se délivrer, ce sera sans doute alors faire le deuil de l'enfance et de ses stigmates :
"Chacun va s'accrocher à une petite histoire triste de blessure et de chagrin : un problème et une douleur anciens que l'existence a lâchés sur leurs êtres purs et innocents. Et chacun va réécrire cette histoire à l'infini, tout en connaissant son intrigue, en devinant son thème, en inventant sa signification et en rejetant son origine. Quel gâchis. Elle savait d'expérience ô combien difficile, ô combien égoïste et destructible était le fait d'aimer." p. 176
La délivrance vient de la nécessité de se délivrer des rets de l'enfance et du passé pour avancer. Souvent dans ce roman, les enfants se retrouvent victimes des adultes, du racisme, des prédateurs sexuels, et ce n'est qu'au prix d'une lutte acharnée contre les autres et contre eux-mêmes qu'ils peuvent espérer conquérir un peu de quiétude dans ce monde tourmenté.
Ce roman choral, porté de surcroît par une écriture fluide, touche à la pureté de l'identité. Essentiel. Au sens premier du terme.
Délivrances, Toni Morrison, traduit de l'anglais (EU) par Christine Laferrière, Bourgois éditions, 2015, 196 p., 18 euros