(anthologie permanente) Patrick Laupin

Par Florence Trocmé

Patrick Laupin publie Le Dernier Avenir à la rumeur libre.  
 

Lys et vous tous pour l’ingénuité dit 
Mallarmé La Poésie c’est tout ce qu’on 
veut pourvu que ça balance. C’est le 
langage qui nous attend sous l’aile 
immobile de la merveille des pas à 
chansons Un cœur qui parle Une âme 
qui tombe c’est nous tel qu’on sera la 
seconde suivante si on vient C’est le mal 
conscient des Ténèbres qui cogne au 
carreau des fenêtres C’est Midi des anges 
écrasé sous les pas consistoires du géant 
C’est le Noli me tangere de Madeleine 
au désert
dans cette toile de Delacroix 
où on ne sait si les yeux de l’héroïne se 
ferment ou s’ouvrent pour la première 
fois Mais il faut trouver son élan et passer 
la ligne en son nom Que l’esprit prenne 
intact son envol puis frémisse au surplis 
végétal du rêve des ébauches et du règne 
de l’œuvre accompli 
 
 
Ceux de là-bas sont habitués aux barques 
du silence Ce sont gens qui demandent 
à la lumière de se taire pour explorer 
vraiment Ils ont gravé dans leurs 
poitrines l’image des mineurs silicosés 
dans les prés Cette vision est sacrée en 
moi Les hommes des tailles du fond 
avaient moins de quinze ans de durée 
d’existence Face au mur du travers-banc 
ils prenaient toute la silice dans leurs 
poumons La silicose c’est terrible On a 
mal quand il fait froid On a mal quand 
il fait chaud On les voyait assis dans un  
pré l’après-midi au pied des arbres Une 
bouteille de lait à leurs côtés Seule le lait 
calme leurs blessures On les voyait porter  
la bouteille à leurs lèvres et la poser d’un 
geste lent dans l’herbe À l’aube chacun  
connaît le désespoir vivant de ce geste du 
désert et des maisons natales 
 
 
La parole laisse un trou On assemble à 
la va-vite l’effort et l’élan On combine 
avec un soin de maraudeur, d'artificier,  
des conduites en épouvantail Beaucoup 
d'artifices, pour retarder, reléguer la 
trace, dans le moment avant qu'elle 
fasse mal Je retourne dans le réduit  
obscur faire les 100 pas À découvert 
dans l'anagramme du fou Il y a du triste 
Je m'avance en lui Je lui demande son 
nom Je m'amarre le plus fermement possible  
au Livre du dedans Je cherche  
un courage des mots conforme à la vie  
C’était bête de vouloir mourir cafard  
comme ça quand l'ennui n'avait pas de 
cœur Je me suis désabusé des chimères  
de la vertu J'écrivaille Je me fais docile  
par empire admissible du temps Je vois  
bien que beaucoup d'automnes ont  
encore des rues à leur nom 
 

Patrick Laupin, Le Dernier Avenir, poèmes, La Rumeur libre, 2015, pp. 76-77 et 79.  
 
Patrick Laupin dans Poezibao : 
bio-bibliographie, lecture aux Parvis Poétiques (05), L’homme imprononçable (par R. Klapka), in notes sur la poésie, ext. 1