Patrick Laupin publie Le Dernier Avenir à la rumeur libre.
Lys et vous tous pour l’ingénuité dit
Mallarmé La Poésie c’est tout ce qu’on
veut pourvu que ça balance. C’est le
langage qui nous attend sous l’aile
immobile de la merveille des pas à
chansons Un cœur qui parle Une âme
qui tombe c’est nous tel qu’on sera la
seconde suivante si on vient C’est le mal
conscient des Ténèbres qui cogne au
carreau des fenêtres C’est Midi des anges
écrasé sous les pas consistoires du géant
C’est le Noli me tangere de Madeleine
au désert dans cette toile de Delacroix
où on ne sait si les yeux de l’héroïne se
ferment ou s’ouvrent pour la première
fois Mais il faut trouver son élan et passer
la ligne en son nom Que l’esprit prenne
intact son envol puis frémisse au surplis
végétal du rêve des ébauches et du règne
de l’œuvre accompli
Ceux de là-bas sont habitués aux barques
du silence Ce sont gens qui demandent
à la lumière de se taire pour explorer
vraiment Ils ont gravé dans leurs
poitrines l’image des mineurs silicosés
dans les prés Cette vision est sacrée en
moi Les hommes des tailles du fond
avaient moins de quinze ans de durée
d’existence Face au mur du travers-banc
ils prenaient toute la silice dans leurs
poumons La silicose c’est terrible On a
mal quand il fait froid On a mal quand
il fait chaud On les voyait assis dans un
pré l’après-midi au pied des arbres Une
bouteille de lait à leurs côtés Seule le lait
calme leurs blessures On les voyait porter
la bouteille à leurs lèvres et la poser d’un
geste lent dans l’herbe À l’aube chacun
connaît le désespoir vivant de ce geste du
désert et des maisons natales
La parole laisse un trou On assemble à
la va-vite l’effort et l’élan On combine
avec un soin de maraudeur, d'artificier,
des conduites en épouvantail Beaucoup
d'artifices, pour retarder, reléguer la
trace, dans le moment avant qu'elle
fasse mal Je retourne dans le réduit
obscur faire les 100 pas À découvert
dans l'anagramme du fou Il y a du triste
Je m'avance en lui Je lui demande son
nom Je m'amarre le plus fermement possible
au Livre du dedans Je cherche
un courage des mots conforme à la vie
C’était bête de vouloir mourir cafard
comme ça quand l'ennui n'avait pas de
cœur Je me suis désabusé des chimères
de la vertu J'écrivaille Je me fais docile
par empire admissible du temps Je vois
bien que beaucoup d'automnes ont
encore des rues à leur nom
Patrick Laupin, Le Dernier Avenir, poèmes, La Rumeur libre, 2015, pp. 76-77 et 79.
Patrick Laupin dans Poezibao :
bio-bibliographie, lecture aux Parvis Poétiques (05), L’homme imprononçable (par R. Klapka), in notes sur la poésie, ext. 1