La réforme de la politique de défense au Japon

Publié le 12 octobre 2015 par Infoguerre

Le 1er juillet 2014, la décision du conseil des ministres a profondément changé la politique de la défense du Japon d’après-guerre, en modifiant l’interprétation d’une partie de l’article 9. Cette résolution tolère l’utilisation du droit collectif (toujours avec certaines limites) et dessine une orientation vers un assouplissement de l’utilisation des armes.
Le 27 avril 2015, de nouvelles lignes directrices de la coopération militaire entre le Japon et les Etats-Unis (« Guidelines for Japan-U.S. Defense Cooperation ») ont été approuvées. Le précédent “Guidelines”, publié en 1997, avait pour objectif de faire face à d’éventuelles crises touchant la peninsule coréenne. Le contexte a changé depuis 18 ans : les nouvelles lignes directrices tiennent compte à la fois la protection du Japon face à la montée de la puissance chinoise dans la région et la préoccupation au sujet de l’arme nucléaire en Corée du Nord, et l’implication plus significative de FAD (Force d’Auto Défense, l’armée japonaise) dans l’alliance JP-US, y compris l’élargissement géographique du champ d’intervention. Elles soulignent le fait qu’il y a un « caractère global » dans l’alliance et que le mécanisme de coordination qui fonctionne en temps de crise aussi bien qu’en temps de paix sera établi afin d’améliorer la coordination opérationnelle et de renforcer la planification bilatérale.
Prononcé le 29 avril dernier devant le Congrès américain, le discours d’Abe a été un succès. L e premier Ministre japonais a été ovationné lorsqu’il a montré l’engagement très ferme du Japon pour le renforcement de la relation américano-japonaise. Il a precisé à ce propos qu’il était déterminé à faire adopter le projet de loi.
Avec le consensus américain en amont, le gouvernement Abe (coalition PLD-Komeito) conduit la réforme de la politique de défense. Le projet de loi de défense (nommé “projet de loi relatif à la legislation paix et sécurité” 平和安全法制関連法案) a été présenté à la Diète en mai. Très critiqué par les partis adversaires et une partie de la population, ce projet de loi a été néanmoins adopté le 16 juillet à la Chambre basse, puis le 19 septembre à la Chambre haute, et ce, malgré le blocage de l’opposition qui a eu recours à une motion de censure.
Shinzo Abe avait une cote de popularité assez élevée, mais le passage en force de ce projet de loi a quelque peu terni son image. Au début août, sa cote a baissé jusqu’à atteindre 40% (le niveau le plus bas depuis que Abe est revenu au poste de Premier Ministre en décembre 2012) et le taux d’opinion défavorable a depassé celui d’opinion favorable.
Ce projet de loi permettrait d’élargir les attributions de la Force Autonome de Défense dans d’éventuelles situations de conflits. Il renforce notamment l’alliance Japon-Etats-Unis et démontre que le Japon est en train de franchir une étape dans sa politique de défense.

Les tensions régionales soulevées par l’expansionnisme chinois

Le Japon se trouve dans un contexte géopolitique en pleine mutation avec le changement d’équilibre Etats-Unis-Chine. La Chine est devenue un acteur incontournable dans le monde, avec la position de deuxième puissance économique mondiale. Le budget de la défense chinoise augmente tous les ans depuis 1989 et est à deux chiffres (10,1% pour 2015), en se plaçant 2e au monde pour la dépense militaire.   La Chine essaie d’étendre son influence en mer de Chine Méridionale et Orientale : récemment, on a constaté la construction d’îles artificielles (avec des pistes d’atterrissage et des postes d’observation) dans la mer de Chine Méridionale qui ne respectent pas des règles et des normes internationales. Les photos des plateformes pétrolières dans les eaux contestées de la mer de Chine Orientale par le Japon et la Chine ont été publiées. Notons à ce propos que les deux pays avaient signé un accord en 2008 pour qu’il y ait une exploitation commune des ressources (il y a 16 plate-formes dont 12 ont été construites ces deux dernières années). En novembre 2013, la Chine avait établi une zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) incluant des îles japonaises Senkaku (revendiquées par la Chine et Taiwan). Cette décision avait déjà provoqué à l’époque des tensions dans la région.
Le 3 septembre 2015, l’arsenal militaire présenté lors du défilé à Pékin était une démonstration de puissance qui véhiculait un message de mies en garde à l’égard des Etats-Unis, du Japon et de Taïwan. Plusieurs types de missile ont été montrés à cette occasion : les missiles balistiques intercontinentaux DF-5B et DF-31B, les missiles balistiques à portée intermédiaire qui sont au cœur de la stratégie A2/AD, le DF-21D (possibilité de détruire les porte-avions américains), le DF-26 (capable d’atteindre la base américaine à Guam) et le DF-16 (menaces pour Taïwan et Okinawa). Pour le président chinois Xi, le défilé était le moyen de consolider son pouvoir face au pouvoir militaire et le clan Zémin, et légitimer sa gouvernance auprès de la population.

Une alliance Japon/Etats-Unis renforcée mais une opinion publique japonaise réticente

Pour les Etats-Unis, le Japon est un point d’ancrage important en Asie, et il ne peut pas imaginer sa défense sans alliance avec les Etats-Unis.  La FAD va s’engager plus activement dans les missions extérieures (appui aux autres forces étrangères, logistique…), par exemple les missions au maintien de la paix. Reste à préciser des détails : sur quels théâtres d’opérations s’engager ? Jusqu’où ?…etc.  Les Etats-Unis diminuent le budget défense, donc le besoin d’une FAD plus impliquée pour la protection de la région face à la Chine est patent. Mais la majorité de l’opinion publique japonaise reste réticente, très pacifiste, manifestant sa peur de voir un jour des militaires japonais tués dans un conflit. La population japonaise est majoritairement allergique aux sujets “défense” (armée, guerre, industrie de défense…), cet état de fait résultant de l’éducation d’après-guerre.
Le 8 septembre dernier, Abe a été reconduit à la tête du parti PLD pour 3 ans. Il va essayer d’approfondir le débat sur la réforme de la politique de défense. Son objectif est la révision de la Constitution, notamment son article 9, pour “sortir du régime d’après-guerre”. Cependant, la tâche s’avère difficile, d’autant plus que la politique de défense sera modifiée du fait des nouvelles lois. La population japonaise qui est pacifiste et très attachée aux valeurs de paix aura du mal à comprendre la nécessité de la révision de la constitution. Abe aura besoin de faire des efforts pour l’expliquer aux Japonais et changer leur mentalité. Les élections sénatoriales se tiendront en juillet 2016, l’augmentation de la TVA à 10% étant prévue en avril 2017. Après avoir fait adopté la loi de defense, Abe essaiera d’abord de redynamiser l’economie japonaise sur la ligne de la “2e étape de Abenomics”, pour ensuite relancer le débat sur la défense.

Les marges de manoeuvre créées par le calendrier électoral américain

La rencontre Obama-Xi qui a eu lieu à Washington le 25 septembre, a donné lieu à une discussion sur les activités expansionnistes chinoises en Mer de Chine Orientale et Méridionale, ainsi que sur les problèmes de cyber-attaques et la politique monétaire chinoise. La Chine n’a pas changé sa posture concernant les disputes territoriales en mer de Chine. Les Etats-Unis veulent garder leur influence dans la région Asie-Pacifique, mais l’élection présidentielle américaine en 2016 pourrait non seulement créer un vide dans la politique extérieure américaine, mais pourrait aussi attiser les actes de provocation de la part de la Chine qui est devenue de plus en plus confiante dans sa capacité militaire.
Il conviendra de surveiller le sommet trilatéral Japon-Chine-Corée du Sud qui devrait avoir lieu le 31 octobre ou le 1er novembre en Corée du Sud. Le dernier sommet date de mai 2012. Les sujets evoqués seront la stabilisation de la région, la Corée du Nord, FTA (Free Trade Agreement)… Améliorer la relation Japon-Corée du Sud (qui est très mauvaise en ce moment) sera la clé pour parvenir à un rééquilibrage des puissances dans la région.
Il faudra tenir compte également de l’évolution de la croissance économique chinoise qui est au ralenti. Xi devrait continuer la réforme structurelle pour une croissance plus stable et durable. L’initiative “One Belt One Road (OBOR)”, la création de NDB (New Development Bank : banque de BRICS) et AIIB (Banque asiatique d’investissement pour les Infrastructures (le Japon et les Etats-Unis ne participent pas à ce projet), sont des sujets à suivre.

Saiko Yoshida