Il était une fois deux Sages ,chenus et blanchis sous le harnois , trottinant , enigmatiques , enchassés dans leur robe de soie pastel rehaussée d'un carmail écarlate ... Ils cheminaient doucement dans une anse du grand fleuve , repaire des aigles irascibles ; la litanie du vent portait encore la complainte des conques ,les envolees des homélies , le fracas des cymbales et les effluves d'hydromel qui enfièvraient les dieux . L'infinitude de l'ogive du ciel vert emeraude etait telle une aurore boréale ...
L'un des Sages se pencha vers son compagnon à la barbiche sereine , perdu dans ses pensées . Il lui murmura à l'oreille : " T'en souvient- il ?..Dans les jardins incendiés de pourpre ,des jets d'eaux jaillissaient parmi les parterres de fleurs . Nous remplissions de vins sacrés les calices d'or et les jattes de jaspe , nous offrions des offrandes dans les vases de bronze et nous recherchions les présages dans les entrailles des corbeaux , pris dans les filets des oiseleurs ..."
" Oui , nous chassions du temple les odalisques nues aux courbes chatoyantes et les égéries cachees dans les alcoves , aux fossettes de cannelle , les ongles teintés à la balsamine , le corps couvert d'opales et de tourmalines , et nous fuyions les vesprées incandescentes sous les tourelles ..."
" T'en souvient - il ? Les sacrifices affreux sur l'autel expiatoire , tandis que les paons indifferents se miraient dans les vasques de marbre , les épaisses murailles de pierre rouge les tenant prisonniers ...."
" Mais désormais , sous les voutes effondrées et les arches brisées , gisent les vestales ,et le feu sacré est éteint ...
Les deux Sages , imperturbables , penetrerent lentement dans le fleuve , leur robe soulevée par le vent comme des voiles, et disparurent dans l'obscurite des eaux ..
Michel Humbert
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