Il n'y a pas un Drame, mais des drames. [...] Il y a eu des drames , il y en aura d'autres et il faudra continuer à vivre malgré tout. Les drames sont inévitables. Ils n'ont pas beaucoup d'importance au fond. Ce qui compte, c'est la façon dont on parvient à les surmonter.
C'est ce que dit un des personnages à la fin du nouveau roman de Joël Dicker, Le livre des Baltimore.
Ce roman commence par un prologue intitulé: Dimanche 24 octobre 2004. Un mois avant le Drame. Pendant tout le récit il n'est en effet question que du Drame, dont on ne saura qu'à la fin de quoi il s'agit.
Le narrateur, Marcus Goldman, l'écrivain, est le même narrateur que dans le roman précédent de Dicker. Il est tout auréolé du succès de son premier livre, G comme Goldstein, inspiré de la vie de ses cousins.
Cette fois il raconte l'histoire plus élargie des Baltimore, c'est-à-dire celle de ses deux cousins adorés, certes, mais aussi de leurs deux parents, et de ceux qui gravitent autour d'eux tous.
Le grand-père paternel de Marcus s'appelle Max. Il est marié à Ruth. Ils ont deux fils Saul et Nathan. Pour différencier les familles de l'un et de l'autre, les grands-parents Goldman parlent des Baltimore et des Montclair.
Dans leur langage, Baltimore est un raccourci pour "Goldman-de-Baltimore", la famille de l'oncle Saul, qui habite cette ville du Maryland. Les Baltimore, ce sont Saul, donc, avocat brillant, sa femme Anita, médecin non moins brillant, leur fils Hillel, auquel s'ajoutera Woodrow Finn, Woody, un garçon qu'ils adopteront, en quelque sorte.
Montclair est un raccourci pour "Goldman-de-Montclair", la famille de Marcus, qui habite cette ville du New Jersey. Son père est ingénieur, sa mère vendeuse dans une succursale d'une enseigne new-yorkaise de vêtements chics.
Les Baltimore, au début de cette histoire, sont mieux considérés que les Montclair par les grands-parents Goldman: Au sortir de leur bouche, le mot "Baltimore" semblait avoir été coulé dans de l'or, tandis que "Montclair" était dessiné avec du jus de limaces.
Hillel, Woody et Marcus, adolescents, forment le Gang des Goldman. Ils sont tous trois nés en 1980, et sont comme des frères. Mais ils vont tous trois aimer la même fille, Alexandra, qui ne se donnera qu'à Marcus, alors qu'ils se sont tous juré, un jour, de renoncer à elle pour ne pas mettre le Gang en péril.
Alexandra, fille de Gillian et Patrick Neville, "Neville-de-New-York", a deux ans de plus qu'eux. En 1995, ils figurent tous les quatre sur un cliché qu'Alexandra a fait parvenir à chacun d'eux et au dos duquel elle a écrit: JE VOUS AIME LES GOLDMAN.
Les quatre rêvent de devenir célèbres et ils accompliront ce rêve (pour un temps seulement pour certains): Hillel, en tant qu'avocat, Woody, en tant que joueur de football, Marcus, en tant qu'étoile montante de la littérature américaine, et Alexandra, en tant que vedette de la chanson.
Le livre des Baltimore est subdivisé en cinq livres qui se suivraient presque chronologiquement si le troisième n'était pas un retour aux origines des Goldman, nécessaire et éclairant: Le Livre de la jeunesse perdue (1989-1997), Le Livre de la fraternité perdue (1998-2001), Le Livre des Goldman (1960-1989), Le Livre du Drame (2002-2004) et Le Livre de la réparation (2004-2012)
A l'intérieur de ces cinq livres, le narrateur fait des incises temporelles hors de la période considérée, et l'année 2004, celle du Drame, fait alors office d'année de référence, autour de laquelle toute l'histoire tourne, comme on tourne autour d'un pot, sans le dévoiler.
Ce procédé de narration, a la vertu de ne livrer les éléments du puzzle que morceau par morceau et de ménager le suspense jusqu'au bout, ce dont le lecteur n'est pas dupe mais se réjouit. D'autant que le récit est émaillé de drames qu'on découvre peu à peu, et qui préparent au point d'orgue du Drame avec un grand D.
Il n'y aurait évidemment pas de drames s'il n'y avait pas de jalousies infondées, de rivalités mal placées, de préférences supposées, de non-dits bien (ou mal) intentionnés, en tous cas générateurs de quiproquos, d'ascensions suivies de chutes et inversement. Comme dans la vraie vie.
Le même personnage, qui parle de drames au pluriel, dit, justement, toujours à la fin du roman: Nos vies n'ont de sens que si nous sommes capables d'accomplir ces trois destinées: aimer, être aimé et savoir pardonner.
Ce livre bien construit, sous une apparence foisonnante - Marcus attrape ses souvenirs dans le filet à papillon de [sa] mémoire - signifie un tel accomplissement. Le verbe aimer s'y conjugue à l'actif et au passif et le pardon ultime s'y trouve dans l'épilogue intitulé Jeudi 22 novembre 2012. Le Jour de Thanksgiving.
Dans cet épilogue, et dans cet esprit, Marcus l'écrivain répond à la question: Pourquoi j'écris? Parce que les livres sont plus forts que la vie. Ils en sont la plus belle des revanches. Pourquoi je lis de tels livres? Pour la même raison que Marcus les écrit.
Une fois refermés, je me rends compte en effet que, mine de rien, de tels livres sont de ceux qui me font passer, d'une seule traite, un long et bon moment, sans que je lève le nez de leurs pages pour regarder ailleurs.
Francis Richard
Le Livre des Baltimore, Joël Dicker, 480 pages, Éditions de Fallois / Paris
Livres précédents, coédités par les Éditions de Fallois et l'Âge d'Homme: