Ces femmes oubliées ou sous-estimées des prix Nobel

Publié le 09 octobre 2015 par Blanchemanche
#Nobel
Le Monde.fr | 09.10.2015 Par Mathilde Damgé
En couronnant deux femmes cette année, la Biélorusse Svetlana Alexievitch en littérature et la Chinoise Youyou Tu en médecine, le comité Nobel confirme une tendance qui s’accentue depuis le début des années 2000 : la féminisation des prix.
Evolution du nombre de femmes nobélisées jusqu'en 2014 NOBEL PRIZE
Si les progrès sont notables, reste que les femmes ne représentent que 5,35 % des nobélisés, avec 48 femmes sur 897 lauréats depuis la création du prix en 1901.
Non pas que les femmes n’aiment pas les prix Nobel : elles n’en ont jamais refusé, contrairement aux hommes (Jean-Paul Sartre en 1964 et Le Duc Tho en 1973). Mais les récompenses ne se sont pas ruées sur elles. Et quand il y a distinction, avec un prix, elle est souvent partagée et sert de prétexte à une diversité de façade.
Le rôle mésestimé des épouses ou des proches collaboratrices
Difficiles d’entrer dans les coulisses des laboratoires et des carrières, parfois tortueuses, des Nobel, mais en parcourant les biographies des uns et des autres, on croise souvent des noms féminins, épouses ou assistantes, sans qui les découvertes récompensées auraient été beaucoup plus difficiles, voire impossibles.
Parmi celles qui sont restées dans l’ombre du « grand chercheur », citons Clara Haber, épouse de Fritz, qui obtint le prix Nobel de chimie en 1918 pour ses travaux sur l’ammoniac. Première femme à obtenir un doctorat de chimie à l’université de Breslau, elle a contribué aux travaux de son mari, traduisant ses articles en anglais, tout en étant cantonnée à la vie familiale.
C’est aussi le cas de Mileva Maric, brillante étudiante qui rencontra Albert Einstein lors de leurs études à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Des lettres attestent de leurs échanges sur les travaux de physique d’Albert mais elle dut, elle aussi, se consacrer à sa vie de famille jusqu’à leur séparation.
L’un des exemples les plus flagrants d’oubli du comité Nobel est celui de Lise Meitner, collaboratrice d’Otto Hahn (prix Nobel de chimie en 1944) et qui joua un rôle majeur dans la découverte de la fission nucléaire. Juive autrichienne, elle dût fuir l’Allemagne nazie en 1938 et refusa ensuite de participer à la construction d’une bombe atomique.
Autre assistante « utile », Jocelyn Bell, qui découvrira le premier pulsar (une étoile qui émet des signaux très régulièrement), découverte pour laquelle son directeur de thèse, Antony Hewish, obtint le prix Nobel en 1974.
Une présence plus forte à travers les prix partagés
Les femmes bénéficient toutefois de la tendance, de plus en plus forte, au partage des prix, entre deux ou trois lauréats. Moins représentées dans l’ensemble des lauréats, elles le sont en revanche largement plus pour les prix « divisés » en deux ou trois parts. Même si cela reste modeste : sur les 246 prix partagés, 25 le sont par des femmes. Nombreuses sont celles, en l’occurrence, qui ont reçu une récompense en couple (sur la page que l’institut consacre aux couples, on peut voir les lauréats, souris de laboratoire sur l’épaule) ou dans le cadre d’un groupe.
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 2 ou 3 lauréats: 33 prix partagés
Source : Nobel Prize
Une sous-représentation dans les matières scientifiques
S’il y a donc de plus en plus de femmes distinguées par un prix, les heureuses élues le sont le plus souvent dans des catégories « non scientifiques » (littérature et paix), souvent perçues comme moins prestigieuses que les sciences « dures », ou économiques.
Les statistiques de l’institut suédois montrent que les femmes ont obtenu 30 prix « littérature » et « paix » sur les 49 prix collectionnés au total par la gente féminine. Il faut dire que le monde de la science n’est pas exempt de clichés sexistes. On se souvient du cas récent du prix Nobel de médecine 2001, Tim Hunt, qui avait défrayé la chronique cet été en estimant :
« Vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent. »
Ces propos avaient créé l’émoi, même si leur auteur s’était ensuite excusé, avant de démissionner.
La minimisation des contributions des femmes dans les sciences a d’ailleurs été théorisée : c’est l’« effet Matilda », nom donné par une historienne des sciences américaine, Margaret W. Rossiter, au déni et à la minimisation, systématique selon elle, des contributions des femmes à la recherche.
Marie Curie a reçu à la fois le prix de chimie et de physique (avec son mari). Il y a donc 59 prix pour 58 lauréates.024681012141618nombre de prix décernés à des femmesphysiquechimiemédecinelittératurepaixéconomiepaix
 nombre de prix décernés à des femmes: 16
Source : Nobel Prize


Le seul point sur lequel les femmes peuvent se targuer d’être plus « en avance »que les hommes, lorsque l’on analyse les prix Nobel qui ont été remis, c’est la diversité de leur origine par pays : celle-ci est bien plus équilibrée chez les femmes que chez les hommes.
Source : Nobel Prize
5814791198141111373413561211551812193181121442108171129222111Etats-Unis

 hommes: 341
Source : Nobel Prize


  •  Mathilde Damgé

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