La banque de demain

Publié le 09 octobre 2015 par Allo C'Est Fini

A l’occasion du lancement du livre « La banque, reflet d’un monde en train de naître« , le cabinet Athling organisait une conférence ce vendredi avec Benoît Legrand, Président d’ING Bank France et Head of FinTech pour ING group, Didier Moaté, Directeur de la Banque de détail de La Banque Postale et Guillaume Rousseau, Directeur général du Crédit Agricole Brie Picardie. Les débats étaient orchestrés par Nicolas Doze, journaliste économique sur BFM. Voici les quelques notes prises à l’occasion de cette conférence.


Les banques et leurs clients

Les banquiers se foutent-ils du monde, comme le disait Fiorentino? Et les français se laissent-ils plumer? Nicolas Doze attaque fort, et c’est Didier Moaté qui lui répond en expliquant que les français se sentent mal à l’aise, parce qu’ils ne comprennent rien à la banque et à la finance.

Pourra-t-in changer de banque, un jour, comme on change d’opérateur télécom? Seulement 28% des français recommandent leur banque, et pour 100 clients qui veulent quitter leur banque, 30 ne le disent pas, et à 60 des 70% restants, on ne répond rien. Quelle industrie peut se permettre un tel comportement? La raison, c’est que seulement 3% des français passent à l’action et changent de banque. L’exemple des opérateurs télécom est instructif: à partir du moment où la qualité de service était au rendez-vous et que les tarifs étaient abordables, on a vu les français se mettre à changer d’opérateur.

Autre raison: les clients ne changent pas parce qu’ils se « multi-bancarisent »: ils ont souventplusieurs comptes dans des banques différentes, rajoute Didier Moaté. Pour Guillaume Rousseau, l’univers de la banque incarne un modèle universel, pour lequel la relation s’inscrit dans la durée, très localement, une relation basée sur des offres et des services.

Les banques et les entreprise

Les entreprises délaissent-elles le crédit bancaire, demande Nicolas Doze? Depuis la crise de liquidités de 2011, dans un modèle anglo-saxon, les entreprises se sont recentrées vers les banques françaises: la crise a conduit les banques à se recentrer sur leur marché national (protectionnisme quand tu nous tiens?). Ce phénomène a été favorisé en France par le modèle de l’épargne et du livret A, largement adopté par nos compatriotes.

Les grandes PME se prêtent entre elles, d’abord; ensuite, elles vont voir le banquier qu’elles connaissent, celui avec qui la relation de confiance a été construite dans la durée. La relation de proximité entre un conseiller et un client est celle du modèle avec les PME.

Le crowdfunding permet-il de se passer de sa banque? Pour Benoit Legrand, ce n’est pas un épiphénomène, mais dans la banque, le temps est long, et la disruption s’opère lentement. On ne voit rien en un ou deux ans; mais quand cela deviendra visible dans quelques années, le phénomène connaîtra une croissance exponentielle. Guillaume Rousseau précise que le Crédit agricole fait du crowdfunding depuis 120 ans…

Les banques et leur modèle économique

Benoit Legrand convient que le modèle « physique » est prédominant, surtout en France, et pour ING (qui n’a que deux agences). Mais la rentabilité de ce modèle physique doit être questionnée sur le long terme: doit-on imposer les coûts au client, ou faire évoluer le modèle? Reste AirFrance ou devenir Uber?

Apple fera-t-il irruption avec l’iBank? Les trois interlocuteurs conviennent qu’avec cette question, on est au coeur du sujet. Les paiements représentent un pan entier de l’univers des banques. Apple, c’est autre chose que Paypal: c’est un cheval de Troie, une entreprise qui a une relation exceptionnelle avec des centaines de millions de clients, qui lèvent des questions essentielles sur la sécurité et la préservation des données. Une étude BCG évoque le doublement du volume des paiements grâce aux nouvelles technologies.

Et les FinTechs? L’enjeu du digital n’est pas digital, il est humain et culturel, rappelle Benoit Legrand. Les FinTech vont-elles bousculer le secteur? Il y aura probablement quelques bouleversements, mais attendons de voir, on oppose deux systèmes et on fait beaucoup de spéculations, sans bien savoir de quoi il ressort. Les Fintechs aident à ouvrir les yeux sur les besoin de demain, mais ne remplaceront pas les banques; elles participeront au système.

La banque de demain sera-t-elle 100% en ligne? Info ou intox? Le défi est essentiellement humain, pour Guillaume Rousseau, qui n’y croit pas, et pense que le modèle agence perdurera. Mais ça fait rire le patron d’ING France, qui évoque le modèle de la poule et de l’oeuf: si on commence sa relation en agence, et bien oui, on finit en agence; mais si on commence en ligne, ça marche très bien, voire mieux.

Il paraît que depuis Bâle III, le client est redevenu la première source de revenus des banques, est-ce vrai? Guillaume Rousseau explique que Bâle III impose un niveau de liquidité gigantesque, un tiers des réserves, qui sont rémunérées à à peu près 0%. Du coup, il faut trouver d’autres sources de financement que le crédit. Les banques se sentent désarmée, elles ne peuvent plus tenir leur rôle, car cela les expose en risque et en fonds propre. Là encore, Benoit Legrand sourit, à l’idée que le client redevienne la source de revenus…

Les banquiers refuseraient-ils de voir comment le monde bouge? Benoit Legrand est hilare, mais rappelle que la prise de conscience est réelle, de la part de tous les acteurs; sauf que tout le monde ne sait pas comment y répondre. Aux Pays-Bas, le nombre d’agences a chuté de manière spectaculaire, et cela arrivera aussi en France.

Nicolas Doze enfonce le clou, avec deux citations tirées de l’ouvrage pré-cité: « Les banquiers, nés chez les orfèvres, vont mourir chez les informaticiens« , « les banquiers sont des taxis qui s’ignorent« . Est-ce vrai? Au Crédit Agricole, le maillage territorial est encore fort, et Guillaume Rousseau assure que les agences sont toutes rentables, voire très rentables. Pour Didier Moaté, la confiance dans le secteur bancaire reste incarnée par des hommes et des femmes: une banque, c’est une promesse. Il aime bien l’idée de la banque ionique: une banque humaine, augmentée par le digital. La territorialité reste prédominante, dans cette vision, les banques doivent continuer à participer de cette vie locale, par les patrons des agences ou des bureaux de poste, avec une très forte implantation locale.

Benoit Legrand insiste sur les disruptions du modèle, avec l’entrée, par exemple, d’acteurs comme Amazon au Royaume-Uni, ou une société chinoise qui demande juste d’avoir accès à tout ce qu’on a stocké sur son iPhone. Ces sociétés savent analyser l’historique des transactions, les volumes d’achats, et savent évaluer le risque de crédit sur des bases différentes et beaucoup plus précises que les banques.

A la Banque postale, on porte un autre regard: rien ne se passait sur le mobile en 2010, puis on est passé à 12 millions d’interactions par mois en 2013 (soit le volume d’interactions physiques), et 30 millions en 2015. Cela signifie qu’il y a plusieurs publics. La banque de demain doit satisfaire tous les clients, et notamment ceux qui ne sont pas à l’aise avec le digital ou le mobile. Guillaume Rousseau porte un autre regard: il constate que même les jeunes, en matière de questions d’argent, se comportent comme les vieux.

Paradoxalement, explique Guillaume Rousseau, le consommateur français paie moins cher les services bancaires auquel il a accède qu’à l’étranger. Du coup, le modèle bancaire peut évoluer et embarquer de nouveaux services, tout en restant rentable.

Didier Moaté est d’accord sur la nécessité de revisiter les modèles de distribution: le client n’accepte plus de venir en agence pour faire des tâches administratives, et la révolution du digital est là. Le digital est là pour réduire les tâches fastidieuses, par exemple des pages Facebook pour les conseillers à la Banque Postale.


Tous les salariés de la banque de réseau deviendront-ils des conseillers premium? Pour Guillaume Rousseau, c’est un mouvement nécessaire, à la portée des hommes et des femmes, mais en allant chercher les certifications et les diplômes adéquats.

Il y a 40 ans, le rapport Nora-Minc évoquait « la banque, la sidérurgie de demain?« . Quarante ans plus tard, on se pose à peu près les mêmes questions, sur l’évolution du modèle. Qualité de service, nouveaux territoires de croissance, évolution du nombre de salariés, les mutations ne sont pas finies.

Didier Moaté conclue: les salariés des banques sont tout en demande de sens que les consommateurs. C’est dans a recherche de sens que clients et salariés des banques se retrouvent.

Nicolas Legrand conclue plus audacieusement: un jour peut-être, on n’aura plus besoin de la banque, et la difficulté pour un banquier, c’est de comprendre que le pouvoir change de main, passe de celles de la banque à celles du consommateur. Le banquier doit revenir vers un monde d’humilité et de service, et c’est ce qui fera la différence. Dans dix, quinze ou vingt ans, on pourra le constater.

La conférence s’achève par quelques questions de la salle.

Il y a deux temps dans la banque, celui de l’évolution rapide, des GAFA, et celui de l’évolution lente. Comment concilier ce problème avec les équipes? C’est par le sens et la vision partagée par les collaborateurs que se gèrent ces évolutions à deux vitesses: en gros, on leur propose d’investir dans leur futur. Un client pardonne de ne pas avoir la réponse dans la journée si on la lui donne demain, mais il ne pardonne pas de ne pas être écouté.

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