Jusqu’à ce fatal mois de février 1944, il vivait petitement et sans faire de bruit, s’étant depuis longtemps converti au catholicisme, mais de cela, obnubilée par ses quotas d’arrestation, la Gestapo locale ne se souciait nullement. Il occupait ses journées à de menus travaux intellectuels, avec des moments réservés à la prière et à la méditation, ressassant sans trêve le destin tragique de ses deux sœurs déportées, en particulier celui de la plus jeunes, Myrté-Léa, disparue à Drancy, dont il était sans nouvelles.
En composant ce Carnet retrouvé de Monsieur Max, Bruno Doucey a pris la liberté de lui donner la parole pendant ses derniers mois passés pour l’essentiel à attendre et anticiper ce qui va arriver. Il faut une audace certaine pour se mettre à la place de qui se croit intimement condamné à mort et pour dévoiler les pensées désespérées qui l’habitent. Cela ne peut se faire qu’à la condition de retrouver les lignes de force d’une vie entière, autant qu’elles peuvent être connues. Celles de Max Jacob combinent la passion de la poésie, de la peinture, la foi catholique la plus ardente, et le feu brûlant de ses multiples amitiés qui sont l’incarnation quasiment charnelle de son amour des autres. Rien de cela n’est simple à recréer, surtout dans ces mois lugubres qui vont de novembre 1943 à mars 1944. De fait, Bruno Doucey s’est lancé dans l’entreprise d’écrire un chapitre inconnu de la biographie de Max Jacob, un chapitre dont il porte l’entière responsabilité et qu’il a parfaitement réussi.
Ces carnets sont un condensé de ce que Max Jacob a toujours voulu être, en même temps qu’un aperçu de ce qui se passe en France, l’un éclairant l’autre. Le moindre détail prend alors signification et montre le tragique d’un temps auquel l’humour ou la profondeur de certaines scènes confère sa dimension atroce. Ainsi, ayant quelque peu souffert du froid dans sa voiture, le gestapiste qui l’arrête déclare avec politesse : « La Traction avant tes une bonne voiture mais les ingénieurs français doivent améliorer le système de chauffage. » Et un peu plus tard, livrant sa prise au greffe de la prison, laconique : « Voici Monsieur Max Jacob, homme de lettres, chevalier de la Légion d’honneur. » Dans cette prison, où sont ignominieusement entassés un grand nombre d’israélites, le gendarme n’est pas antipathique. Max Jacob l’imagine après la guerre : « J’ai surveillé Monsieur Jacob le jour de son arrestation. J’avais de la peine pour lui, mais je ne l’ai pas montré. (…) Ce vieux poète, cela me faisait de la peine de le voir là, en prison, sans savoir pourquoi. Ce n’était pas du tout un hurluberlu. Le bon Dieu ne peut pas laisser faire ça, surtout à ce pauvre monsieur Jacob qu’était toujours en prière. » Pour sa part, une vieille femme tranchera : « Par les temps qui courent, le vrai courage devant Dieu et les hommes est d’être né catholique et de se convertir au judaïsme. » Finalement, Max Jacob se lance dans une évocation de ce qu’il adviendra de lui plus tard : « Des oiseaux se diront : c’est là que vécut le poète ; son chant, c’était de la musique que le vent confiait aux étoiles… »
Autant de jalons pour un calvaire qui se résume en « je crois en Dieu, je crois en mes amis », mais qui n’empêche pas de constater que ni ses amis ni Dieu n’ont été capables de sauver celui qui voulait croire, désespérément, et que ces carnets nous rendent si proches.
François Eychart
Le Carnet retrouvé de monsieur Max, de Bruno Doucey. Éditions Bruno Doucey, 178 pages, 15,50 euros.