Interview de féministe #13 : Marushah

Publié le 09 octobre 2015 par Juval @valerieCG

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

Interview de Marushah.
Son compte twitter : @Marushah

Bonjour Marushah peux-tu te présenter ?

Je suis une femme blanche de 40 ans, ingénieure en informatique, hétéro en couple avec 2 mômes.

Je milite (un peu) au Planning depuis quelques mois. Je me suis aussi syndiquée il y a peu, à SUD, et suis élue au CE.

Quoi dire d'autre... J'ai eu été assez "féminine" jeune, mais j'ai pas mal abandonné tout ca, s'occuper de mon apparence me gonfle, maintenant. J'ai pris pas mal de kilos avec l'arrivé des mômes. je dis ça car ça change beaucoup le regard des autres, ce qui est assez structurant.

J'aime la cuisine, la voile, et fabriquer des trucs (déco, bricolage etc.)

Depuis quand es tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est-ce venu progressivement ?

Je lie beaucoup mon féminisme à l'arrivée de ma fille (l'ainée, va avoir 9 ans le mois prochain). Je me souviens halluciner devant les magazines genrés pour la jeunesse. Je ne sais plus depuis quand je me dis officiellement féministe mais ca me semble dater de mon arrivée sur twitter.

Oui, j'ai vraiment l'impression que c'est venu progressivement.

Après, je suis issue d'une famille de gauche, où les femmes sont plutôt "fortes". Ma sœur, qui a 17 ans de plus que moi, me faisait lire des livre pour enfant féministe quand j’étais petite.

Mais jeune adulte, ma sœur s’était embourgeoisée et j’étais plutôt dans l'idée que c’était un combat gagné, youpi.

Au boulot aussi, je me suis doucement rendue compte que j'avais de la peine à me valoriser, que j’étais moins écoutée que les mecs, que je stagnais à un niveau. J'ai eu deux personnes a gérer qui, quasi ouvertement, méprisaient les femmes et ne supportaient pas d'en avoir une comme chef.

Qu'est-ce qui t'a décidé à militer au Planning ? Qu'y fais-tu ?

Par connaissance. L'asso me plait par son positionnement à l’écoute des femmes, sur le terrain, l'éducation populaire sans iérarchiser les gens.

Pur l'instant, je fais des perm' de temps en temps, des formations, j'ai participé à un stand sur un festival.. j'ai un problème de temps pour vraiment réussir a m'investir.
Tu parles des magazines genrés pour la jeunesse. As-tu l'impression que les magazines pour enfants et ados sont davantage genrés que lorsque tu étais enfant ?
Oui.

J'ai grandi dans une période post 68 (née en 75) où, j'ai l'impression, il y a eu un gros effort sur le sujet.

Actuellement, les modèles/jeux/histoire main stream proposés aux filles sont hyper genré, vers le "tout princesse".

Apres, on trouve aussi une offre beaucoup plus large que quand j’étais petite, je crois. Du coup, en cherchant, on a aussi beaucoup de choses vraiment cool.
C'est peut-être moins vrai pour les garçon qui (comme d'hab), ont une offre de modèles/jeux/histoire beaucoup plus large. Et je sais pas ce qu'on leur proposait avant.

Mais pour eux aussi, c'est un peu galère de trouver des histoires avec des garçons sensibles, respectueux, qui pleurent.. etc.
En fait, je trouve qu'il y a une fabrication de 2 mondes sans lien possible : le monde fille, le monde garçon.

Par exemple, Lego a fait des boîtes filles avec des personnages 2 fois plus grands que les persos "normaux" (hahaha). Comme si l'idée qu'une fille et un garçon pouvaient jouer ensemble aux legos était inimaginable.
Tu évoques des problèmes de sexisme au bureau avec des collègues misogynes ; as-tu pu régler cette situation ? Comment t'y es-tu prise ?
J'ai complètement désinvesti l'affaire. J'en ai plus rien a battre de ne pas progresser. Du coup, aussi, je me suis investie dans le syndicat pour avoir des choses intéressantes a faire.

Pour l'instant ca va, mais j'ai un peu peur de ma fin de carrière où on me reprochera d'avoir stagné. Je pense que je vais le payer cash à ce moment là, mais tant pis.
Pour le sexisme quotidien, ya pas grand chose a faire. Je relève de temps en temps histoire que les gens autour ne se sentent pas tout permis, mais je laisse passer beaucoup de choses pour pas être "la chieuse".
En quoi le fait que les jouets, magazines soient autant genrés pose un problème selon toi ?

L'éducation des enfants me parait un des axes de travail efficace pour casser le patriarcat, comme pour le consolider et mon impression est qu'à ce niveau là il se consolide.

L'éducation des filles est poussée a fond sur la princesse qui fait rien et qui attend que son prince fasse tout. Elle doit être belle et attentionnée aux autres.

Surtout la beauté, d'ailleurs. Ma môme de 8 ans qui me dit qu'elle a du gras au cuisse alors qu'elle est largement en dessous de la moyenne de son âge, ca me fait peur.

Comme je le disais avant, j'ai de plus en plus de problèmes avec ce concept de beauté. C'est hiérarchiser les gens sur des critères sans intérêt et la pression là-dessus est très forte sur les filles. Du coup, on est obligé de dépenser un temps/savoir énorme pour ça et si on ne le fait pas on est très mal vue. Ca nous empêche de se consacrer a des choses plus "constructives" et ça crée des frustration terrible car le but est inatteignable.

Bon, je pars un peu dans tous les sens.
Pour l'éducation des garçons aussi, c'est un gros problème. On valorise la force, l'écrasement de l'autre, le mépris du féminin. En plus, si j'arrive à peu prés à élever ma fille dans des valeurs pas trop "fille", pour mon garçon, quitter les valeurs "garçon", c'est très difficile. Le regard des autres est hyper dur. Il est exclu (en partie) par ses camarades par exemple, et je suis profondément persuadée que c'est a cause de ca.

Parce qu'il aime les bisous, qu'il a un sac hibou rose, les cheveux longs (enfin plus maintenant, il a demandé a les couper) etc.

Lui qui n'avait manifesté aucun intérêt pour la bagarre avant, est devenu plus violent a la fin du CP.
Tu dis avoir peur d'être "la chieuse" au boulot ; penses-tu que  beaucoup de femmes laissent couler lorsqu'elles entendent des propos sexistes pour cette raison là ?

Oui.

Ca et le fait qu'elles n'analysent pas le propos obligatoirement comme sexistes.

Genre les blague de culs. Quelqu'un en parlait sur twitter. Soit tu te réappropries le cul (ce que j'ai tendance a faire, même si en vrai c'est pas une activité qui me fascine tant que ca) et tu met les hommes mal à l'aise, soit tu gueules que c'est sexiste et ils se foutent de toi. La réaction attendue d'une femme est qu'elle s'offusque. La discussion ne doit pas être pour elle.
Dans mon monde pro très masculin (l'informatique), il est compliqué d'aller contre le groupe des hommes. Ça arrive, parfois, si on est plusieurs et qu'on se soutient. Sur ma dernière mission, j'avais une collègue plutôt dans le "je suis pas féministe mais" et parfois elle réagissait et je la soutenais, ou l'inverse. Mais pas toujours. Par exemple, les stéréotype H/F ne la gérait pas au contraire elle les validait, ce qui m'attristait pas mal.
Quels sont les sujets féministes auxquels tu es le plus sensible ?

C'est étonnant comme elle est pas facile, cette question.

Je dirais femme et pauvreté, les femmes qui subissent plusieurs oppressions, parce que c'est là que ca devient le plus terrible. Du coup, plus concrètement, la prostitution, le voile, les mères célibataires, les femmes racisées... etc.

Apres, ce n'est pas des choses que je subis, du coup c'est dur pour moi d'en parler, mais c'est ce qui me parait le plus important. Je vais plus parler des sujets qui me touchent directement, comme l'éducation des mômes et le sexisme au boulot.

Les métiers autour de l'informatique sont des métiers très masculins ; as-tu l'impression que la profession se féminise un peu ? Si c'est le cas en quoi est-ce un bien selon toi ?

Hélas, 3 fois hélas, c'est plutôt l'inverse : il y a moins de femmes dans les nouvelles générations que dans la mienne. Mon mec qui est prof d'info confirme (moins de filles dans ses cours).

En plus, les filles sont "orientées" vers le métier plutôt que le technique pure. Moi par exemple je ne fais plus de programmation, mais du dialogue avec le client ainsi que la rédaction de ce qui est décidé avec eux de ce que doit faire l'appli, les documents à destination des développeurs : je suis l'interface entre le métier et le technique.

Au début de ma carrière, j'aimais les 2, mais (et c'est classique), les opportunités sont allées davantage vers le métier. Parfois je le regrette. Avec 25% de femmes, je crois, globalement dans l'info, on arrive à avoir des équipes "métiers" majoritairement féminines.
Est-ce que la féminisation serait un bien ? C'est surtout que ca signifie que c'est une carrière "fermée" aux femmes, qu'on apprend à ne pas désirer, même si ca aurait pu nous correspondre. Ca se fait très tôt, avec les maths vues comme pas féminines etc.

De plus, concrètement, ca signifie que pour les femmes dans l'informatique, on est assez seules. C'est plus compliqué de se défendre, donc ca reste un milieu misogyne. Plus que le reste de la société, ça je sais pas (mais un peu, je crois).
Et puis c'est un métier quasi sans chômage, qui paye bien, et comme par hasard réservé aux hommes :/
Tu parles de ta fille de 8 ans qui s'inquiète déjà des problèmes de poids ; à quoi est-ce du selon toi ? Comment essaies-tu d'aller contre cela ?

Parce que TOUT parle de ca autour de moi. Ma sœur par exemple, grosse ado est maintenant complètement flippée sur ca, malgré ses 50 kilos toute mouillée. Elle capte juste le message omniprésent.
Je lui tiens déjà un discours clairement féministe. C'est un peu lui raconter tôt les horreurs de la vie, mais j'ai pas du tout aimé me rendre compte si tard de tout ca, j'ai eu l'impression qu'on m'avait menti, alors je suis plus cash avec ma fille.

Du coup je lui ai déjà dit que fallait pas avoir pour but unique d'être belle ou mince, car c'est un discours qui pourrit la vie des femmes, faut pas se laisser avoir avec ca. Le but d'une vie n'est pas de faire plaisir aux garçons, d'essayer de leur plaire, mais d'être soi-même, heureuse.

De plus, je suis moi-même en surpoids et je sens que ca la gène. Du coup, je valorise mon surpoids, pour montrer que c'est pas un problème en soi. Genre "T'as froid ? pas moi, ma graisse me tient chaud !" ou "t'as aucune chance de me battre au judo, je suis beaucoup plus lourde que toi, c'est ma force" etc.
As-tu pu parler à ton fils de certains de ses goûts qui s'opposent aux goûts traditionnels masculins ?
Un peu mais il aime pas (plus) trop parler de ca.

Je dis souvent que chacun a le droit d'aimer ce qu'il veut, que c'est stupide de s’empêcher d'aimer un truc parce que c'est pas "garçon".

Un fois il m'a dit "Les autres, ils aiment pas les bisous. J'comprend pas, moi j'aime beaucoup les bisous !"
Mais ses problèmes, c'est surtout des problèmes de hiérarchie. "Machin a pas voulu jouer avec moi aujourd'hui" et machin a fait ca parce qu'il peut, Titouan est plutôt en bas de la hiérarchie de la cour de récré, parce que trop gentil, pas assez bagarreur, s'impose pas assez. Enfin je l'analyse comme ca.

Il est petit (5 ans). Je sais pas trop quoi lui dire sur le sujet, comment l'aider. Je peux dire ce que je veux : être rejeté c'est pas cool.

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