- n° 1000 : Raymond Queneau, Les fleurs bleues
- n° 2000 : J.M.G. Le Clézio, Le chercheur d'or
- n° 3000 : Daniel Pennac, Monsieur Malaussène
- n° 4000 : Philip Roth, La tache
- n° 5000 : Annie Ernaux, Les années
Adam Haberberg ne va pas très bien. Marie-Thérèse Lyoc lui dira qu'elle l'a vu tout de suite, à la fin de la soirée qu'ils vont passer ensemble après s'être retrouvés par hasard. Ils ne se sont pas revus depuis le lycée. Et, au lycée, Haberberg avait plutôt l’œil sur Alice Canella, dont le nom lui revient tout de suite et dont il demande des nouvelles à Marie-Thérèse, pour apprendre qu'elle s'est suicidée vingt ans plus tôt. Tout semble dit. A-t-on vraiment envie d'accompagner chez elle, à Viry-Châtillon, une femme quelconque qui, dans les souvenirs, était déjà une lycéenne quelconque ? Pourtant, Haberberg accepte l'invitation. Il n'a rien de mieux à faire, n'a pas envie de se retrouver chez lui entre les enfants qui regardent des dessins animés et Irène avec qui les rapports se sont depuis longtemps dégradés. Faut-il qu'il soit au bout du rouleau pour s'entendre proposer Viry-Châtillon. En réalité, Haberberg ne pense qu'à lui-même et au problème de l'heure : à quarante-sept ans, alors qu'il écrit sans enthousiasme des romans populaires, il vient de se découvrir un problème à l’œil gauche. Il avait masqué son œil droit avec sa main et dit à sa femme : je vois trouble. "Ça nous manquait, fut son commentaire." Le soutien moral censé venir du conjoint manque, à l'évidence. Les consultations chez l'ophtalmologue n'ont pas rassuré Haberberg. Et, ce jour-là, le jour de la rencontre avec Marie-Thérèse, il est assis sur un banc au Jardin des Plantes, à s'apitoyer sur lui-même. Arrive donc Marie-Thérèse, surprise même pas agréable, puis la route, la soirée... Est-ce que cela va faire un roman ? Yasmina Reza, bien entendu, est surtout connue pour son théâtre. Un atout pour les dialogues, sans aucun doute. Encore faut-il qu'à travers eux quelque chose se passe, que les personnages acquièrent l'indispensable épaisseur sans laquelle il sera impossible de croire en leur existence, serait-ce pendant moins de deux cents pages. Au fil de la lecture, la méfiance s'estompe. La banalité de la situation est, paradoxalement, un excellent point de départ à questionner les insondables mystères de deux existences creuses dont la confrontation est une source permanente d'étonnements. Car on se demande comment ils ont fait pour tenir le coup jusque-là après l'extraordinaire monotonie qui a suivi le lycée. Il n'y a même plus Alice Canella pour justifier le moindre enthousiasme. En réalité, ce sera le seul coup de théâtre (si l'on ose dire en parlant de Yasmina Reza), il y a encore Alice Canella. Une lettre d'elle, que Marie-Thérèse a gardée depuis trente ans et fait lire, après le repas, à Haberberg. Alice écrivait, entre les anecdotes d'une vie aventureuse comme on peut en rêver à la fin de l'adolescence : "Adam Haberberg a peut-être été amoureux de moi, comme la moitié du lycée (pas prétence la fille !!!), mais d'abord rassure-toi, il n'est pas du tout mon genre, trop lisible ! Maintenant c'est toi qui l'intéresses, j'en suis sûre." Pourquoi faut-il qu'en amour tout le monde se trompe toujours ? Et quel piège était-ce, en définitive, que l'invitation de Marie-Thérèse ? Une occasion de revoir, floue en raison des yeux d'Adam, une vieille photo de classe ? Ou bien Marie-Thérèse attend-elle davantage, trente ans après ? Et qu'est-ce qu'il y aura ensuite, pour autant qu'il y ait quelque chose à raconter ? Le roman s'interrompt abruptement. Il était temps : de la banalité du sujet, qui n'est pas rédhibitoire, il allait tomber dans la banalité du traitement, ce qui aurait été plus inquiétant. Yasmina Reza a réussi l'ellipse.