Jamais deux sans trois, dit-on. J’ai découvert le travail de la romancière Khadi Hane, il y a quelques années en me plongeant dans un roman étonnant, Le collier de paille. Un de ces romans dont vous n’oubliez pas la trame. Un de ces romans, dont vous vous souvenez les sentiments complexes, violents qui secouaient le personnage principal. Un de ces romans dont le style était complètement au service du discours. On retrouvait la même approche dans Les fourmis dans la bouche, un roman publié il y a deux ans aux éditions Denoël où toute la hargne de Khadi Hane portait cette mère seule qui soutenait à bout de bras ses enfants, en plein coeur du quartier Château rouge de Paris, et luttait contre le conservatisme d’une communauté malienne en banlieue parisienne très rigide. Une femme qui était à la limite de rupture.
Mon regard sur le nouveau roman de Khadi Hane, Demain, si Dieu le veut...
Khadi Hane ne choisit pas la facilité dans les thèmes qu’elle aborde dans ses romans. Sa force est toutefois dans cette énergie avec laquelle elle propulse ses personnages et bouscule le lecteur. Dans son nouveau roman, Demain , si Dieu le veut, la romancière sénégalaise aborde de nouveau des sujets complexes. L’homosexualité. La Chinafrique. L’amour au sein d’une fratrie. Son personnage central est un homme. Joseph sort de prison, 25 ans après le meurtre de son patron chinois, quelque part à Dakar. C’est un peu difficile de vous présenter ce texte. Parce que si ce roman n’est pas linéaire, la construction ne me permet pas de dire que l’on a de vrais flashbacks. J’ai du mal à poser la narration avec un ancrage précis dans le temps autour duquel Joseph s’emploierait à déployer son discours. Joseph parle-t-il de France où il se retrouve après sa libération pour traiter un cancer de la prostate qui le ronge? Parle-t-il de la prison dakaroise? Parle-t-il de sa chambre d'adolescent?
Son frère est mort. Assassiné. Il en a la conviction. Tué par ces propriétaires de chalutiers chinois qui ratissent les côtes sénégalaises au grand dam des pêcheurs sénégalais. Le petit frère adolescent s’est promis de venger son aîné. Promesse tenue. Prison assurée. Quand le livre commence, on est en univers carcéral. Joseph s’est épris de Ching, son compagnon de cellule. Un homosexuel qui s’assume dans cet univers fermé. Comme les choses ne sont jamais simple chez Khadi Hane, Joseph est épris de son compagnon de cellule tout en taisant en lui des sentiments complexes. Comme celui qu’il a ressenti quand il a étranglé son patron, une jouissance malsaine qui dépasse le cadre de la satisfaction d’avoir vengé son frère. Une nature psychopathe tue qui se révèle.
Où nous mène Khadi Hane?Jamais deux sans trois? Je n’ai pas retrouvé dans ce roman cette plume enragée qui portait les deux romans précédemment cités. Ce qui en tant que le lecteur de Khadi Hane est son atout indéniable. La cohérence d’un style qui porte un discours. Je n’ai pas également saisi le fil conducteur de ce roman. Cette relation entre Ching et Joseph n’est pas vraiment traitée. Les raisons du suicide de Ching sont obscures. De nombreux points sont annoncés comme le sadisme ou la psychopathie, sujets rarement traités en littérature africaine et abandonnés sur le bas-côté de l’écriture. La relation familiale prend une place importante sans susciter la moindre empathie pour le lecteur que je suis. La pluralité des sujets dessert fortement ce projet littéraire. Sur le style, j'aimerais souligner le fait que je n'attends pas forcément Khadi Hane dans une écriture agressive, mais dans ce rythme qu'elle peut vouloir lent ou rapide, cadencé ou monotone, à dessein. Ici, ce n'est pas le cas.
La ChinAfrique ou le moteur d’une vengeance stérileParce que j’ai aimé mes deux premières lectures de Khadi Hane, je peux dire sans détour que je ne me suis pas retrouvé dans celui-là. D’ailleurs, j’avoue que je trouve que le traitement de la question chinoise en Afrique particulièrement agaçante dans le monde de la fiction africaine. Que ce soit au théâtre ou en littérature. Dans Ala te sunogo de la compagnie malienne du Blonba, ou Une nuit à la présidence de Jean-Louis Martinelli on retrouve un discours sur l’impérialisme chinois de plus en plus récurrent chez les créateurs francophones. On peut saluer Bofane qui dans Congo Inc, donne un peu d’humanité à ces nombreux migrants chinois qui viennent faire du business en Afrique parce que les dirigeants de ce continent leur ouvrent les portes. Il n'en fait pas que de dangereux prédateurs. Cette quête ressassée de la vengeance de Joseph a donc ceci d’exaspérant qu’elle est veine et très peu construite pour des conséquences trop lourdes à l'échelle d'un individu.
Il est toutefois essentiel de se faire un avis personnel sur cet ouvrage.
Demain, si Dieu le veut Editions Joelle Lösfeld, première parution en 2015