"Elle pensait à la mystérieuse permanence de l'amour, dans le tourbillon incessant de la vie."
Dans son roman précédent Mr Gwyn, Alessandro Baricco mettait en scène un personnage anglo indien Akash Narayan qui écrivait un petit livre intitulé Trois fois dès l'aube. Alessandro Baricco a ainsi eu envie de donner vie à ce livre imaginaire, comme il l'explique dans une note liminaire. Les deux récits peuvent se lire indépendamment, ayant chacun leur autonomie.
Deux personnages se rencontrent à trois reprises à l'aube "mais chaque rencontre est à la fois l'unique, la première, et la dernière.", le temps est distendu, les âges se confondent. La première rencontre a lieu dans le hall d'un hôtel entre un homme désoeuvré et une femme intrigante. De fil en aiguille, ils passent leur nuit à discuter, et l'homme se confie de plus en plus, dangereusement. La deuxième rencontre met en scène une jeune fille et son petit ami, toujours dans cet hôtel. Le réceptionniste discute avec la jeune fille revenue chercher des serviettes et l'enjoint rapidement à fuir cette vie qui ne semble pas lui convenir. Dans la troisième, une policière prend en charge un jeune garçon.
L'aube est ce moment suspendu durant lequel tout est encore possible avant que la lumière cru ne voit le jour. Il est question de tout laisser tomber, de recommencer, ailleurs, mieux, de reconquérir sa liberté, de laisser le jour s'installer après la nuit.
"Mais la femme dit que beaucoup de gens rêvent de recommencer à zéro, et elle ajouta qu'il y a avait là-dedans quelque chose d'émouvant, non de fou. Elle dit que presque personne, en réalité, ne recommence vraiment à zéro, mais qu'on n'a pas idée du temps que les gens consacrent à ce fantasme, souvent alors même qu'ils sont noyés dans leurs problèmes, et dans la vie qu'ils voudraient laisser tomber."
"On recommence à zéro pour changer de partie, dit-elle. On a toujours cette idée qu'on est tombé à la mauvaise table. (...) Comme je vous l'ai dit, ajouta-t-elle, changer de cartes est impossible on ne peut que changer de table de jeu."
Les rencontres se concentrent autour des choix que l'on fait ou que l'on ne fait pas, des actes passés et à venir... L'hôtel est un lieu de passage, un lieu de transit dans lequel on ne reste pas non plus, déjà tourné vers un ailleurs qui sera peut-être différent.
Dans une forme très dialoguée, théâtrale, Alessandro Baricco et son Demain dés l'aube s'interrogent sur la permanence des choses et nous installent dans la magie du maintenant.
Trois fois dès l'aube, Alessandro Baricco, traduit de l'italien par Lise Caillat, Gallimard du monde entier, février 2015, 128 p., 13.50 euros