De plus en plus de femmes témoignent sur leur blog ou les réseaux sociaux, des agressions sexuelles, attouchements, exhibitions sexuelles, tentatives de viol ou viols qu'elles subissent.
C'est un phénomène assez récent car la plupart des femmes n'osaient pas en parler parce qu'elles en avaient honte ou parce qu'elles n'étaient pas sûres d'avoir vraiment vécu une agression.
Les féministes ont largement contribué à cette libéralisation de la parole des femmes en parlant beaucoup des violences sexuelles et en déconstruisant les stéréotypes autour d'elles.
On constate que, chaque fois qu'une femme témoigne d'une agression subie, les réactions de beaucoup d'hommes sont de deux ordres :
- ils expliquent à la victime ce qu'elle aurait du faire
- ils expliquent ce qu'ils auraient fait si ils avaient été présents.
Ces réactions suscitent beaucoup de tensions sans que les hommes ne comprennent réellement pourquoi ils sont mal accueillis alors qu'ils pensent bien faire. Essayons donc d'analyser ces réactions.
Expliquer à la victime ce qu'elle aurait du faire
"Là aussi, pour que les femmes puissent se penser capables de se défendre, il faudrait des images de femmes décidées, sachant dire non, capables de poser leurs limites et de répondre efficacement aux agressions verbales ou physiques." Irène Zeilinger NON C’EST NON Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire.
Très souvent, la victime témoigne de ce qu'elle aurait aimé faire ou du faire selon elle. On a tendance après une agression, quelle qu'elle soit, à retourner en tout sens la situation pour voir comment on aurait pu agir. Ainsi on se dit, lors d'une tentative de vol à l'arraché, qu'on a eu tort de s'accrocher comme un damné à son téléphone, ca ne valait peut-être pas le coup de se faire casser le nez. A contrario, si le téléphone nous a été arraché, on se dit qu'on aurait pu davantage résister, qu'on a été lâche, nul, qu'on n'a pas été vigilant ou qu'on a réagi trop tard.
Cette impression d'avoir mal agi, quelle que soit la façon dont on l'a fait, est démultiplié dans les cas d'une agression à caractère sexuel. Ce sentiment de culpabilisation de la victime existe quel que soit le genre de la victime ; si c'est une femme, on lui expliquera que le risque de viol est grand surtout si elle "se conduit mal". On ne parlera que très rarement du risque du viol aux hommes (peut-être quand ils sont très jeunes) mais nombreux estimeront que si cela arrive à un homme c'est qu'il ne s'est pas assez défendu. Les victimes d'agressions sexuelles portent donc très souvent une culpabilité due aux discours extrêmement accusateurs qu'on entend à peu près partout.
Une victime qui témoigne est donc souvent en plus du choc de l'agression, en pleine incertitude. Il n'est pas rare qu'elle témoigne de sa culpabilité et de ses regrets de n'avoir pas agi si elle ne l'a pas fait.
Très souvent des hommes lui expliquent donc ce qu'elle aurait du faire et comment elle devra agir la prochaine fois (ce qui est assez maladroit, une victime n'a aucune envie de penser à "la prochaine fois").
Il importe de comprendre qu'hommes et femmes ne sont pas socialisés de la même manière. J'avais écrit il y a quelques années ce texte Tu seras violée ma fille qui avait suscité beaucoup de partages chez des femmes (y compris des femmes peu sujettes à partager des textes féministes) et beaucoup d'incompréhension chez les hommes. Beaucoup de femmes se retrouvaient dans cette description où je démontrais combien les femmes sont éduquées à avoir peur de l'agression sexuelle.
Le texte Le trottoirgate ou comment la peur vint aux femmes suscita lui aussi le même type de réaction. Il était difficile pour les hommes de comprendre deux choses ; que les femmes aient peur et qu'elles aient peur d'eux. L'idée que les femmes sont éduquées à avoir peur est une idée difficile à faire passer tant on inculque le contraire aux hommes ; les hommes sont éduqués dans l'idée qu'ils ne doivent avoir peur de rien sinon ils ne seront pas virils. Un homme est poussé à prendre des risques, à dépasser les limites, à ne jamais montrer sa peur. Une femme au contraire est davantage censée faire attention, se méfier des inconnus, se méfier de ce qu'elle fait, de ce qu'elle porte, de ses attitudes ; bref à avoir peur.
Beaucoup de femmes sont élevées dans la peur ; on leur enseigne jour après jour que si elles se conduisent mal (sans vraiment expliquer ce que le "mal" signifie. ca peut commencer par "sortir le soir seule") elles sont violées. Pour autant, on n'apprend pas aux femmes à se défendre. Dans le texte Les avantages à naître et grandir homme en France, je montrais combien on apprend aux femmes à être douces et calmes. Ainsi dés à l'âge de 5 ans, les filles commencent à inhiber leur agressivité tant cela n'est pas considéré comme une attitude féminine. Au contraire, on encourage fortement l'agressivité chez les petits garçons ; c'est assimilé au fait d'avoir "du tempérament" de la "testostérone" ; celui qui sera jugé comme trop doux sera souvent malmené, insulté, harcelé.
Dans ce contexte-là il est extrêmement difficile pour un homme de comprendre ce que vit une femme, au regard de leurs socialisations extrêmement différentes. Là où lui a été poussé, tiré pour savoir se battre, elle a été inhibée et contrainte jusqu'à ce que la violence, y compris pour se défendre, lui apparaisse comme un comportement impossible à avoir. J'en parlais dans ce billet Les mensonges faits aux femmes où je démontrais qu'on ne cesse de dire aux femmes qu'elles risquent d'être violées, que c'est ce qui peut leur arriver de pire dans la vie, que c'est presque pire que la mort mais on ne leur donne aucun moyen de se défendre. Pire on leur ment en leur disant que ne rien faire est mieux que se défendre.
Les hommes ne sont pas élevés dans la peur de l'agression sexuelle et du viol (ils sont davantage élevés dans la terreur qu'on pense qu'ils ne sont pas assez virils), ils ne connaissent donc pas ce sentiment diffus, complexe à expliquer que connaissent beaucoup de femmes. Le viol et les agressions sexuelles sont vues par beaucoup de femmes comme quelque chose d'atroce, une salissure extrême, qui cause une peur panique d'où le fait que beaucoup de victimes de viol soient en état de sidération pendant l'acte. C'est ce qu'explique Virginie Despentes au sujet de son viol ; elle était armée, aurait pu se défendre et pense d'ailleurs que si elle avait subi un autre type d'agression (pour la voler par exemple), elle aurait réagi. Mais face à cette menace de viol, qui constitue pour beaucoup de femmes, une peur absolue et panique d'être tuée, elle n'a pas réagi.
Les hommes sont au contraire éduqués à réagir à toute agression envers eux (quitte à de mettre en danger) et ne sont pas éduqués dans la crainte du viol ; il leur est donc extrêmement difficile, voire impossible de comprendre les peurs et inhibitions des femmes à ce sujet. J'ai coutume de citer l'anecdote d'un homme féministe que j'estime et qui avait choisi de donner des cours de self defense aux femmes puisqu'il était prof d'art martial. Il a vite compris qu'il n'arriverait pas à comprendre et travailler sur les peurs des participantes et leur inhibition de la violence. Il a donc passé la main à une enseignante avec qui cela s'est beaucoup mieux passé.
Il est donc vraiment inutile - sauf si cela vous est demandé expressément - de donner des conseils aux femmes en matière de défense face aux agressions sexuelles. Ce ne sont pas des situations que vous appréhendez de la même manière (j'avais d'ailleurs un jour fait un bref sondage sur twitter au sujet des agressions sexuelles dans le metro ; les hommes agressés avaient ressenti de la surprise dans leur grande majorité et les femmes de la peur) ; vos conseils ne sont pas utiles. Lisez et écoutez plutôt ce que les femmes disent sur le sujet.
Expliquer ce que eux auraient fait
On assiste également très souvent lors de ces moments où les femmes témoignent de leurs agressions à des démonstrations viriles où les hommes témoignent de ce qu'ils auraient fait. En clair, à les entendre, si nous avions eu la chance qu'ils soient là, l'agresseur aurait passé une sale quart d'heure. Et ces réactions virilistes sont évidemment présentes à grand nombre à chaque témoignage.
Mais le fait est que l'immense majorité des femmes agressées dans l'espace public sait que les chose ne se passent pas ainsi. On connait déjà l'effet du témoin : plus un grand nombre de personnes assistent à une agression, moins la probabilité d'aide est élevée.
Très peu de femmes ont pu bénéficier d'aide lorsqu'elles ont été agressées ; c'est malheureusement un constat récurrent, nous avons du nous débrouiller.
Constatons en plus que nous sommes déjà face à une situation sexiste et violente puisqu'une femme raconte son agression. Pour celles qui lisent, cela rappelle souvent des souvenirs d'agressions passées. Est-il bien nécessaire et utile de rajouter de la violence verbale en expliquant ce que vous auriez fait à l'agresseur ? On sait tous et toutes qu'il y a un très petit nombre de gens qui réagissent face à une agression. Pourtant le nombre d'hommes (car il ne s'agit que d'hommes) à expliquer ce qu'ils auraient fait est toujours très élevé. Quel en est l'intérêt ? Nous faire regretter de ne pas nous être promené avec un homme ? De nous être promenée seule ? de ne pas vous connaître ? D'avoir l'impression que vous avez quelque chose à dire sur le sujet ? D'instituer une atmosphère violente où les hommes méchants agressent les femmes et où les hommes gentils les défendent ?
Posons nous simplement la question de l'anormalité de l'agression sexuelle. Il n'y a pas à la voir comme quelque chose de normal, d'ancré dans les mœurs ou selon un cycle bien établi les femmes sont agressées et ou les chevaliers blancs fantasment sur ce qu'ils auraient fait.
En clair, il est important - je le répète depuis assez longtemps - d'écouter les femmes lorsqu'elles témoignent d'une agression et de leur témoigner votre soutien. Et cela sera déjà largement suffisant et nécessaire.
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