Football, de Jean-Philippe Toussaint

Publié le 07 octobre 2015 par Francisrichard @francisrichard

Qu'est-ce que créer, aujourd'hui, dans le monde dans lequel nous vivons? C'est proposer, de temps à autre, dans un acte de résistance non pas modeste, mais mineur, un signal - un livre, une oeuvre d'art - qui émettra une faible lueur vaine et gratuite.

Mis à part qu'une lueur n'est jamais vaine, le dernier livre de Jean-Philippe Toussaint est bien un signal lumineux et chaleureux, émis gratuitement dans le monde d'aujourd'hui. S'il affirme donc, dans un court prologue, que ce livre ne devrait plaire à personne, ni aux intellectuels ni aux amateurs de football, il se trompe ou il dupe.

Car ce livre devrait au moins plaire à ceux qui aiment lire ce que Jean-Philippe Toussaint écrit sur le temps qui passe. Et, pour cela, il n'est nul besoin d'appartenir à l'une des deux catégories de lecteurs évoquées par lui. Il suffit d'avoir un penchant, même mineur, pour une vision poétique et littéraire des êtres et des choses.

Jean-Philippe Toussaint fait seulement mine, dit-il, d'écrire sur le football. Mais il écrit tout de même, dans ce livre, sur le football et sur l'aventure des Coupes du monde qui a commencé pour lui avec celle de 1998. Cette anné-là, pour la première fois de sa vie, il assiste dans un stade à un match de l'événement planétaire.

Les Coupes suivantes ne laisseront dès lors pas indifférent cet écrivain qui écrit sur un mode mineur, même si, pendant chacune d'elles, son esprit est peu ou prou saisi par une humeur vagabonde et digressive.

Quand il se livre à des considérations sur le football, il le fait de manière singulière: il utilise les mots de la poésie et de la littérature. Il s'agit pour lui d'effleurer le football, de saisir son mouvement, de caresser ses couleurs, de frôler ses sortilèges, de flatter ses enchantements.

Il ne s'agit décidément pas pour lui de se lancer dans de grands débats théoriques qui concernent le football, comme phénomène social ou politique. Il ne traite jamais que de sujets accessoires, insignifiants ou mineurs, qu'il confronte aux piliers immuables du temps et de la mélancolie.

Lors de la Coupe du monde, organisée en 2002, par la Corée et le Japon, il décrit ainsi ce qu'il voit cet été-là à Kyoto, ville qui n'a jamais été portée sur le football:

J'écoute des bruits d'eau diffus qui se font entendre au loin. Qu'importe au fond le football. Le temps passe, et, sur les ponts, s'éloignent en silence de fugitives silhouettes féminines à bicyclette, une ombrelle à la main.

Les Coupes du monde se suivent et ne se ressemblent pas pour Jean-Philippe Toussaint. Lors de la dernière en date, celle de 2014, au Brésil, il innove. Il regarde pour la première fois un match en streaming sur l'ordinateur portable dont il se sert pour écrire.

Il est en Corse et s'est pourtant promis de consacrer son été à la littérature... Il installe cependant son ordinateur portable sur un canapé, le surélevant telle une offrande, sur un petit autel profane, composé de deux ou trois tomes de l'encyclopédie Universalis (hommage paradoxal de la vertu au vice).

Dans son court prologue, Jean-Philippe Toussaint dit aussi à propos de Football: Il me fallait l'écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde. Il faut lui en être reconnaissant, parce que ce fil peut être conducteur pour les autres. Et il serait donc dommage qu'il soit rompu.

Francis Richard

Football, Jean-Philippe Toussaint, 128 pages, Les Éditions de Minuit

Livre précédent chez le même éditeur:

Nue (2013)