LE MONDE | 06.10.2015Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Le parquet de Bobigny a ouvert, fin septembre, une enquête préliminaire susceptible d’embarrasser Claude Bartolone, à quelques semaines des élections régionales (les 6 et 13 décembre), dont le président de l’Assemblée nationale sera l’une des figures – il conduit la liste socialiste en Ile-de-France. L’enquête judiciaire, qui vise d’éventuels détournements de fonds publics, a été confiée à la direction centrale de la police judiciaire.
Elle porte sur un possible emploi fictif, en l’occurrence le recrutement par le conseil général de Seine-Saint-Denis, présidé par M. Bartolone de 2008 à 2012, de Didier Segal-Saurel. Pour l’opposition de droite, cet élu de Pantin a été embauché par le conseil général, pourtant exsangue sur le plan financier, pour le récompenser d’avoir cédé une place élective à M. Bartolone.
Les magistrats s’étonnent du nombre pléthorique de collaborateurs affectés à la présidence sous le mandat de M. Bartolone
L’affaire trouve son origine dans un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) d’Ile-de-France sur la gestion du département de la Seine-Saint-Denis depuis 2010. Dans leurs conclusions, rendues publiques début juillet, les magistrats s’étonnent du nombre pléthorique de collaborateurs affectés à la présidence sous le mandat de Claude Bartolone.
Le cas de « Monsieur S »
« Toutes les personnes qui occupent des emplois ont vu leur recrutement décidé et leur niveau de rémunération fixé directement par le président ou son directeur de cabinet », écrivent-ils, regrettant en outre que le processus de recrutements se soit « écarté de la procédure ». Mais la CRC s’attarde surtout sur le cas d’un salarié, pudiquement baptisé « Monsieur S. ». Il s’agit de Didier Segal-Saurel.
Au début de l’année 2008, ce dernier laisse sa place dans le canton de Pantin-Est, dont il était l’élu sortant, au profit de M. Bartolone, qui a besoin d’être élu à l’assemblée départementale pour pouvoir en briguer la présidence. De fait, la gauche l’ayant emporté, M. Bartolone accède au fauteuil qu’il convoitait. Et il embauche dans la foulée M. Segal-Saurel à son cabinet, où ce dernier sera en poste du 1er avril au 1er décembre 2008. Puis, jusqu’en 2012, M. Ségal-Saurel conseille le président de Seine-Saint-Denis Avenir, organisme satellite du conseil général, dont la disparition va inciter le département à lui trouver une nouvelle affectation.
C’est chose faite à l’été 2012 : alors que Claude Bartolone, après la victoire de François Hollande, accède au « perchoir » de l’Assemblée nationale, M. Segal-Saurel est nommé « chargé de projet » à la direction de la culture du département. Son contrat de trois ans, note la CRC, est signé le 21 août 2012 « par le président du conseil général lui-même ». A cette date, M. Bartolone est encore à la tête de l’assemblée départementale – il sera remplacé par Stéphane Troussel le 4 septembre 2012.
Un emploi « très peu défini »
Or, les magistrats émettent des doutes sur l’embauche de M. Segal-Saurel, dont le contrat a pris fin cet été. Rappelant que sa lettre de mission le chargeait de publier « un ouvrage historique » sur la Seine-Saint-Denis, ils constatent que près de trois ans après, « aucun ouvrage de cette nature n’avait encore été publié ». Ce n’est pas tout : la chambre des comptes observe que « le recrutement de ce collaborateur a été effectué précipitamment au cours de l’été 2012, sans que les besoins du département soient explicites ». « De surcroît, ajoute-t-elle, le niveau de diplôme de l’intéressé [le bac] ne correspondait pas à celui requis s’agissant d’un administrateur territorial. »
Conclusion des magistrats : « Le contenu de l’emploi de l’intéressé (…) semble très peu défini et une incertitude existe sur la réalité de son service au sein de cette direction. » Convaincu que la CRC a mis au jour l’existence d’un emploi de complaisance, le président du groupe Les Républicains au conseil départemental, Jean-Michel Bluteau, a saisi d’une plainte, dès le 9 juillet, la procureure de Bobigny, qui a donc décidé, au vu du dossier, de déclencher une procédure judiciaire. Interrogé par Le Monde, M. Bluteau a assuré : « La question est de savoir si M. Bartolone s’est payé le poste de président du conseil général aux frais du contribuable. »
Si M. Segal-Saurel n’a pu être joint, Jean-Luc Porcedo, qui dirigeait le cabinet de M. Bartolone au conseil général, a affirmé au Monde que « parler d’emploi fictif est à la limite de la diffamation. M. Segal-Saurel a effectué un vrai travail ; il était d’ailleurs à son poste tous les jours. Il est par ailleurs totalement faux d’affirmer que cet élu avait laissé sa place éligible à M. Bartolone. Il est regrettable que la droite fasse une campagne de caniveau ».
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