Quatrième de couverture (en partie – ne lisez pas tout, ça en raconte beaucoup trop !) :
En août 1937, le jeune Franz Huchel quitte ses montagnes de Haute-Autriche pour venir travailler à Vienne avec Otto Tresniek, buraliste unijambiste, bienveillant et caustique, qui ne plaisante pas avec l’éthique de la profession. Au Tabac Tresniek, se mêlent classes populaires et bourgeoisie juive de la Vienne des années trente.
Si les rumeurs de la montée du national-socialisme et la lecture assidue de la presse font rapidement l’éducation politique du montagnard mal dégrossi, sa connaissance des femmes, elle, demeure très lacunaire. Ne sachant à quel saint se vouer avec Anezka, la jeune artiste de cabaret dont il est éperdument amoureux, il va chercher conseil auprès du « docteur des fous », Sigmund Freud en personne, client du tabac et grand fumeur de havanes, qui habite à deux pas. Bien qu’âgé et tourmenté par son cancer de la mâchoire, le professeur va finir par céder à l’intérêt tenace que lui témoigne ce garçon du peuple, vif et curieux.
Voilà un roman qui, à l’instar de son héros, m’a fait passer par des émotions riches et variées.
D’abord c’est un roman de formation ou d’initiation, un genre que j’aime bien, et quelle joie, quelle fraîcheur de suivre Franz Huchel débarquant de sa forêt, de son lac, et de découvrir avec lui la ville, Vienne, la Grande Roue du Prater, les divertissements populaires ou plus raffinés mais aussi la presse, la lecture, grâce à Otto Tresniek qui le forme au métier de buraliste. La conscience du jeune homme s’éveille alors que la vague nazie envahit peu à peu l’Autriche en cette année 1937-1938.
Franz découvre aussi l’amour avec Anezka et la rencontre avec le docteur Freud mise en scène par Robert Seethaler nous offre des scènes à la fois irrésistibles d’ironie et glaçantes dans la prémonition de la peste qui va s’abattre sur l’Europe.
C’est toute une palette des sentiments d’amour et d’amitié qui est ici vécue et écrite avec finesse : l’amitié entre Franz et Freud, la paternité (en quelque sorte) d’Otto envers Franz, le coup de foudre avec Anezka, l’amour maternel d’une femme pleine de bon sens et la nostalgie du pays qui serre souvent le coeur de Franz.
Et l’esprit de résistance déjà incarné dans le personnage d’Otto. Et le salut à la psychanalyse avec Freud bien sûr mais aussi cette idée géniale d’afficher ses rêves à la vitrine du tabac, peut-être une manière de dire que Franz assume sa part inconsciente, même s’il ne la comprend pas, tandis que la majorité des Autrichiens oublient leur identité, se bouchent le nez et les oreilles pour mieux acclamer Adolf Hitler.
Et la fin (que je ne vous raconterai pas, bien sûr) que l’on ne peut qu’admirer la gorge serrée…
Une très très belle découverte que je dois à Kathel et Marilyne qui vous présentent des extraits marquants (j’en ai trouvé un autre intéressant). Dasola et Eimelle ont aimé aussi. Encore une fois c’est le genre de bouquin coup de coeur sur lequel je trouve que mes copines blogueuses ont parlé bien mieux que moi et qui me donnerait envie d’arrêter de bloguer pour lire « sans pression » (les guillemets sont évidemment nécessaires).
« Il n’y a pas grand-chose à attendre de ma tête, murmura Franz. Et mon coeur s’est brisé en mille morceaux dans une maison de la Rotensterngasse. »
« Tu n’as pas d’autre solution. Si tu persistes à demander conseil à de vieilles barbes, tu continueras à obtenir ce genre de réponses peu éclairantes. Et si tu interroges le contenu de ton pantalon, la réponse en sera certes dénuée d’ambiguïté, mais grosse de complications ! »
« Hum, fit Franz en posant une main sur son front pour étouffer un peu le chaos des pensées tumultueuses qui se débattaient derrière. Est-ce qu’il se pourrait que votre méthode du divan ne fasse que détourner les gens des chemins confortables où ils usaient leurs semelles jusque là, pour les expédier sur un champ caillouteux totalement inconnu, où il leur faut chercher péniblement un chemin, sans savoir à quoi il peut bien ressembler ni même s’il débouche quelque part ? »
Freud leva les sourcils et ouvrit lentement la bouche.
« Est-ce que ça se pourrait ? répéta Franz. Freud avala sa salive.
« Pourquoi me regardez-vous comme ça, monsieur le Professeur ? »
« Comment est-ce que je te regarde ? »
« Je ne sais pas. Comme si j’avais dit quelque chose d’incroyablement idiot. »
« Non, absolument pas. C’était loin d’être idiot. » (page 141)
« Mais n’oublie pas que même si les Juifs sont des gens convenables, ça risque de ne pas leur servir à grand-chose, vu que tout le monde autour d’eux a renoncé à l’être depuis longtemps ! » (p. 169)
Robert SEETHALER, Le Tabac Tresniek, traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes, Sabine Wespieser éditeur, 2014
Premier volet d’une mini-série qui s’est imposée naturellement et que j’intitulerais « Nazisme, entre ravages et résistance ».
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