(anthologie permanente) Claire Malroux

Par Florence Trocmé

  

La malédiction du cerf 
 
     

G.F. 
 

   Tuée net par l’enfant, la petit souris blanche qui l’avait agacé ne laissa sur la dalle qu’une goutte de sang 
   Elle revint bientôt sous la forme d’oisillons, puis d’un pigeon de bonne taille, avant de l’entraîner dans une chasse au gibier autrement plus grisante 
   Lièvres dans les prés, loutres à la rivière, renards, loups, cerfs et sangliers dans la forêt, ours et taureaux, sans parler de tout ce qui vole, cailles, oies, hérons, halbrans et milans, corneilles et vautours 
   Jusqu’au jour où comme d’une épine peut naître un grand hallier, un cerf noir et branchu, sur un ciel de flamme, maudit par trois fois le chasseur enragé 
   Il y eut une accalmie, le chasseur s’abstint pour un temps de tuer, mais d’autres animaux inconnus vinrent de régions exotiques peupler ses cauchemars 
   Gazelles, autruches, rhinocéros, lions, éléphants, léopards 
   Alors ce fut la rechute et de nouveau la chasse au loup et au sanglier de jadis, mêlés à la panthère, aux hyènes et aux fouines, serpents, choucas, écureuils, hiboux, chats sauvages, singes, perroquets, vipères, porcs-épics, chacals, perdrix 
   Un bestiaire dévergondé 
  
Le cerf ne reparut plus, seul un bramement s’éleva après le meurtre par le futur saint de ses père et mère prophétisé de longue date 
   Du reste, noir et monstrueux de taille, avec une barbe blanche, de qui au juste était-il le messager ?  
 
 
 

La dernière harde 
 

Et qui ne viendra plus, farouche
Dont je guettais la course libre hors la horde et le froid
P.C.


   Pourquoi remettre en scène l’animal-roi dans un trompe-l’œil de Moyen Age  
   Abandonner le vif réel du poème pour le faux merveilleux du conte 
   Tisser une tapisserie de haute lice où la nature manque de naturel ?  
 
   Il y a longtemps que le dernière harde s’est éteinte et la forêt perdue 
 
   Le Grand Cerf meurt de la plus belle mort que puisse lui donner l’homme 
   Mais le trop lucide chasseur échoue à atteindre le cœur de la forêt qui recule bleue comme un songe 
 
   Adieu à l’émerveillement, au mythe et à la grandeur, et le pressentiment 
   Qu’à jamais le cerf forlongera la forêt blessée à mort de ce deuxième millénaire 
   Qu’il n’y aura plus de rencontre possible avec lui hors la horde et le froid des temps futurs.  
 
Claire Malroux, dits du cerf et de quelques biches, L’Escampette Éditions, 2014, pp. 33 et 36 
 
 
Claire Malroux dans Poezibao :  
bio-bibliographie Compte rendu du livre de Claire Malroux, autour d’Emily Dickinson, Chambre avec vue sur l’éternité, entretien avec Claire Malroux autour d’Emily Dickinson, extrait 1, extrait 2 + traduction Marilyn Hacker), rencontre avec Marilyn Hacker sur la traduction réciproque, extrait 3, extrait 4, La Femme sans paroles (fiche de lecture), extrait 5, extrait 6, extrait 7, extrait 8, note sur la poésie, Traces, sillons (par F. Trocmé), ext. 9, [revue Sur Zone] "Mémoires", de Claire Malroux