La malédiction du cerf
G.F.
Tuée net par l’enfant, la petit souris blanche qui l’avait agacé ne laissa sur la dalle qu’une goutte de sang
Elle revint bientôt sous la forme d’oisillons, puis d’un pigeon de bonne taille, avant de l’entraîner dans une chasse au gibier autrement plus grisante
Lièvres dans les prés, loutres à la rivière, renards, loups, cerfs et sangliers dans la forêt, ours et taureaux, sans parler de tout ce qui vole, cailles, oies, hérons, halbrans et milans, corneilles et vautours
Jusqu’au jour où comme d’une épine peut naître un grand hallier, un cerf noir et branchu, sur un ciel de flamme, maudit par trois fois le chasseur enragé
Il y eut une accalmie, le chasseur s’abstint pour un temps de tuer, mais d’autres animaux inconnus vinrent de régions exotiques peupler ses cauchemars
Gazelles, autruches, rhinocéros, lions, éléphants, léopards
Alors ce fut la rechute et de nouveau la chasse au loup et au sanglier de jadis, mêlés à la panthère, aux hyènes et aux fouines, serpents, choucas, écureuils, hiboux, chats sauvages, singes, perroquets, vipères, porcs-épics, chacals, perdrix
Un bestiaire dévergondé
Le cerf ne reparut plus, seul un bramement s’éleva après le meurtre par le futur saint de ses père et mère prophétisé de longue date
Du reste, noir et monstrueux de taille, avec une barbe blanche, de qui au juste était-il le messager ?
La dernière harde
Et qui ne viendra plus, farouche
Dont je guettais la course libre hors la horde et le froid
P.C.
Pourquoi remettre en scène l’animal-roi dans un trompe-l’œil de Moyen Age
Abandonner le vif réel du poème pour le faux merveilleux du conte
Tisser une tapisserie de haute lice où la nature manque de naturel ?
Il y a longtemps que le dernière harde s’est éteinte et la forêt perdue
Le Grand Cerf meurt de la plus belle mort que puisse lui donner l’homme
Mais le trop lucide chasseur échoue à atteindre le cœur de la forêt qui recule bleue comme un songe
Adieu à l’émerveillement, au mythe et à la grandeur, et le pressentiment
Qu’à jamais le cerf forlongera la forêt blessée à mort de ce deuxième millénaire
Qu’il n’y aura plus de rencontre possible avec lui hors la horde et le froid des temps futurs.
Claire Malroux, dits du cerf et de quelques biches, L’Escampette Éditions, 2014, pp. 33 et 36
Claire Malroux dans Poezibao :
bio-bibliographie Compte rendu du livre de Claire Malroux, autour d’Emily Dickinson, Chambre avec vue sur l’éternité, entretien avec Claire Malroux autour d’Emily Dickinson, extrait 1, extrait 2 + traduction Marilyn Hacker), rencontre avec Marilyn Hacker sur la traduction réciproque, extrait 3, extrait 4, La Femme sans paroles (fiche de lecture), extrait 5, extrait 6, extrait 7, extrait 8, note sur la poésie, Traces, sillons (par F. Trocmé), ext. 9, [revue Sur Zone] "Mémoires", de Claire Malroux