Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de IronMaiden.
Bonjour, depuis quand es-tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est-ce venu progressivement ?
Ma découverte du féminisme... C'était une progression lente, au fil des années. J'ai une vie compliquée, donc je me dois de l'expliquer un peu.
J'ai grandi dans une famille un peu spéciale. Aristocrate par mon père et ma mère, on peut dire que j'ai été élevée dans une certaine idée de la France et des valeurs familiales. J'ai été une parfaite jeune fille de bonne famille. Résultats brillants, tenue et éducation irréprochables, j'étais un pilier de la communauté traditionaliste de ma petite ville d'origine. J'ai été bien sûr aux Scouts d'Europe, j'ai même été assistante et cheftaine guides et louvettes. Ma mère dirigeait le rallye de ma ville et j'organisais les nouvel ans, dîners, sorties de mon petit cercle social, j'étais vue comme un boute-en-train et une personne à la spiritualité forte, citée en exemple par beaucoup de mères qui complimentaient la mienne, une version française de Bree Van de Kamp dans Desperate Housewives.
Poussée par les ambitions de mes parents, j'ai compris très tôt que pour être aimée il fallait que je sois exactement ce qu'on attendait de moi. Je devais avoir l'air impeccable en toutes circonstances, cheveux attachés, habillée classique mais pas trop coincée non plus, jamais vulgaire. Ne pas trop manger, ne pas trop parler hors conversations mondaines et ne pas avoir d'opinions différentes dans ce joli petit monde qui tourne bien rond. Ou pas. Il y a un truc à savoir avec les tradis: ils sont persuadés d'être à contre-courant de la société actuelle débauchée et qu'ils doivent se battre tous les jours pour "maintenir" les valeurs dont ils se réclament, puisqu'ils sont "persécutés" à cause de ce racisme "anti cathos" (Si si je vous jure!). Ils se pensent donc comme plus forts que les autres lambdas qui cèdent aux sirènes de notre société de consommation. Ils pensent qu'ils sont à ce titre de plus grands "rebelles" que les autres "anti-tout donc anti-rien".
Sauf que voilà. J'avais beau essayer, je n'arrivais pas à rentrer dans ce moule idyllique.
Physiquement déjà, contrairement à la plupart de ces jeunes filles de ce milieu, je n'ai jamais été super mince. Je suis grande, "bien bâtie" comme dirais ma grand-mère et assez pulpeuse. Ma poitrine vulgaire me causait de grands tracas parmi ces jeunes frêles qui pouvaient se permettre les tenues à la Coco Chanel faites pour ce genre de gabarit sans hanches. Je dominais physiquement la plupart des hommes autour de moi et j'avais bien compris que ça, c'était inacceptable. La seule alternative possible était d'être maigre pour compenser, comme ma sœur. J'ai donc été anorexique et boulimique pendant des années. Comme elle d'ailleurs. Et comme ma mère. Et comme beaucoup de ces minettes qui s'affament en ayant l'air "naturelles". Mais bon ça aussi c'est un tabou. Car dans ma tribu d'origine, rien ne doit jamais paraître. Il y ce masque de "dignité" derrière lequel on cache toutes nos misères. Les tabous règnent en roi, rendant tout le monde malade mais personne ne fait rien et surtout tout le monde entretient ce système de façon assez masochiste. Certains diront qu'ils sont parfaitement heureux ainsi et qu'ils n'ont pas de problèmes, que j'extrapole à toute une communauté des problèmes et un mal-être personnels. Mouais. La grande farce continue donc, ininterrompue. Quiconque brisera le silence des apparences se verra jeter l’opprobre d'un milieu qui ne veut pas voir sa propre laideur en face. Et puis parce que c'est comme ça. On dit rien, ma grand-mère a subi donc moi aussi et toi aussi. Chacun porte sa croix, à l'image du Christ, omniprésent dans ces familles. L'individu ne compte pas. Le sacrifice et la soumission au "devoir" est une seconde nature.
Donc je reviens à mon éveil féministe... Je disais physiquement différente, trop grande, trop formée mais aussi trop bavarde, trop d'idées, trop de passions. Je dominais intellectuellement les jeunes hommes qui m'entouraient. Et ça, y faut pas non plus. Alors on fait comme ma mère, on se tait et on déprime gravement pendant 30 ans de mariage à faire la bonne chez soi avec 2 doctorats, et un vin rouge tous les soirs pour oublier tout ça. Bah oui, c'est normal les femmes on doit choisir entre travail et famille hein. Pour les enfants. L'idée d'avoir rendue ma mère malheureuse, vu qu'elle avait fait ce sacrifice pour moi, a été la source d'un très gros chantage affectif sur de longues années. Abnégation, toujours. Je faisais donc tout pour leur plaire vu qu'ils étaient mes parents et que c'était mon devoir.
Seulement voilà. Je lisais. Je n'ai jamais adhéré à la religion de façon littérale, je la voyais comme une structure sociale nécessaire, une tradition qui n'empêchait pas mes propres philosophies plus abstraites de me tenir de lieu de Foi. Méditer. J'ai lu mon premier livre de philosophie à 12 ans. Platon. Je m'en souviens. J'adorais réfléchir. Pourquoi, comment, pourquoi. C'est peut-être ce qui a causé ma perte et a changé ma vie à jamais. Si je n'avais pas eu de cerveau, peut-être que j'aurais pu être plus heureuse et rentrer dans le moule. Les hommes n'aiment pas les femmes intelligentes me disait ma mère.
J'étais donc trop impressionnante, c'était pour ça que les garçons ne m'invitaient pas à danser. Trop jolie, trop trop trop... Il fallait que je me ratatine pour ne pas être trop. Sous des apparences parfaites j'étais donc une adolescente mal, très mal. Je ne m'aimais pas, quelque chose n'allait pas avec moi malgré tous mes efforts pour faire taire mon cerveau et mes questions.
Ah et puis mon premier copain... Chassé par mes parents parce qu'ils avaient peur que j'y perde ma virginité. J'ai donc compris à 16 ans aussi que j'avais une sexualité, un désir anormaux, trop puissants. "Monstrueuse". Alors que les autres filles ça n'avait pas l'air de les travailler. Elles n'en parlaient jamais, restaient dans leur petit monde de princesse. Donc ça aussi je le retenais, même si je ne comprenais pas donc je ne sortais jamais.
A 18 ans j'ai intégré une Ecole d'excellence en France. J'avais réussi tous les concours, j'étais la fierté de ma famille, j'ai fait le défilé du 14 juillet avec ma promo devant Sarko, super.
Puis je suis sortie avec un catho tradi, comme moi. Puis on a couché ensemble, on a craqué, on n'a pas attendu avant le mariage. Et là, là j'ai eu mon déclic féministe. C'était génial, c'était beau, on s'aimait, je me sentais bien, j'adorais ça! Mais bon voilà, après ses week-ends scouts il revenait en disant "Faut qu'on arrête, c'est pêché, tu es monstrueuse, tu me tentes, ce n'est pas bien etc". Comment peut-on qualifier quelque chose d'aussi beau et bon de pêché? Mon corps n'est pas mauvais. Le désir qu'il suscite n'est pas démoniaque. C'est là que je me suis rendue compte de l'absurdité de tout ça. Et puis le prêtre auquel je me confessais a bien enfoncé le clou en me disant que c'était la responsabilité de la femme de maintenir la pureté parce que les hommes "c'est pas de leur faute, ils sont plus faibles, leurs besoins sont là et la nature est ainsi faite, on ne peut pas le leur reprocher". Mais moi si, on peut le reprocher? Moi je dois me taper 10 Ave Maria et pas lui? Non mais oh!
Du coup j'en ai eu marre. Cela m'a dévasté. Et puis honnêtement, autour de moi il y avait tellement de ces "jeunes filles de bonnes famille" qui prenaient la pilule et couchaient avec leur fiancé avant le mariage. Et ces mecs qui chopaient en soirée. Mais bon, premier rang à l'église, et les premiers à dire "salope, pute" etc. J'en ai eu ma claque. Et mon beau-frère connu pour coucher partout avant de rencontrer ma sœur, non ça ne dérangeait pas. Faut bien qu'ils tirent leur coup et qu'ils aient de l'expérience pour un bon mariage! Mais ma sœur non non, vierge. Il faut bien. Et puis pas de pilule ça rend stérile. Bref...
Je suis partie un an à l'étranger, et là, démolie par ma rupture, j'ai couché avec tout ce qui me plaisait. J'ai peut-être commencé à 20 ans, mais j'ai bien rattrapé. Et j'ai ainsi découvert que j'étais bisexuelle. Non les filles hétéros ne ressentent pas ces papillonnements dans le ventre quand elles croisent une très bonne amie. Elles ne tombent pas amoureuse des autres filles. Tous mes complexes ont disparus. Je me suis sentie entière, et bien pour la première fois. Une partie de moi manquait, et je me l'étais rendue. J'ai repris possession de mon corps.
Mon divorce a donc commencé avec le patriarcat. Le féminisme est venu en même temps avec mes deux amies de l'Ecole. On a eu ce même éveil, ensemble. Sauf que contexte militaire hyper sexiste et homophobe n'aidant pas, plus ça allait et moins on allait bien, moralement. On se rendait compte de toute l'horreur du patriarcat et des violences faites aux femmes. On se partageait les liens, les articles, les sites, on parlait, on réagissait, on écrivait des textes, on se soutenait et on apprenait toutes ensembles. Cette amitié là est la plus importante de toute ma vie.
Non ce n'était pas normal. Tous se vautraient dans cette folie illogique et misogyne comme si c'était le paradis. Mais non, ce n'était pas le paradis. Quand en soirée d'Ecole, les mecs ont le droit de se mettre à poil et toi tu te fais rembarrer parce que tu enlèves ton T-shirt (et menacer de viol) ce n'est pas juste. Quand tu te pointes vers ton supérieur hiérarchique qui te dis que tu aurais pu au moins mettre un peu de maquillage vu la mauvaise mine que tu tires, non ce n'est pas professionnel. Quand tu dois apprendre tous ces chants paillards insultants et dégoûtants et on te le fait passer pour des "traditions amusantes" et que ton malaise est dû à ton "manque d'humour", non ce n'est pas normal. J'ai vécu mon bizutage comme un traumatisme. Dieu merci depuis ça été interdit et des plaintes sont remontées. Faire un concours de cris de jouissance aux filles de l'Ecole devant un parterre d'anciens en rut ne m'apprend rien d'autre que l'humiliation parce que j'ai un vagin. Et un vagin, c'est la honte bien sûr, espèce de "con".
Quand on te fait sentir mal parce que tu existes, c'est qu'il n'y a pas de place pour toi dans cette société phallocrate. Parce que si on interdit à quelqu'un d'être là physiquement, intellectuellement, verbalement, émotionnellement elle n'existe pas. C'était donc ça ce mal-être que je me suis traîné toutes ces années. C'était mon fort intérieur qui luttait parce qu'on lui intimait de ne pas exister. Je n'étais donc pas anormale. Le fait que je réagisse mal à quelque chose de malsain prouvait que j'étais en très bonne santé justement. Pourquoi il y a plus de femmes que d'hommes qui sont malades et dépressives? Moi je vous le dis il y a de quoi.
Je dirais donc que je me suis découverte féministe il y a 4 ans, mais que cette révolte et ces questions ont toujours été au fond de moi et ont enfin trouvé leur écho dans ce mouvement.
Est-ce que ta famille sait que tu es féministe, bisexuelle ?
La boulimie et l'anorexie sont des maladies essentiellement féminines ; dans ton cas - même si les choses sont toujours complexes bien sûr - penses tu que cela était lié au fait que tu ne rentres pas dans l'image idéalisée de la Femme ?
Es-tu toujours catholique ?
Tu dis "Quand on te fait sentir mal parce que tu existes, c'est qu'il n'y a pas de place pour toi dans cette société phallocrate." ce sont des mots très forts. Penses-tu qu'on nie aux femmes le simple droit d'exister ?
En rentrant de l'étranger ma famille a commencé à devenir agressive, cherchant le débat permanent (sourd bien entendu) dès que j'étais en contact avec eux parce que petit à petit ils s'apercevaient que je changeais, je sortais avec des amis, soirées étudiantes, j'avais un copain, je ne leur téléphonais qu'une fois tous les deux jours au lieu de tous les jours, faisais du shopping avec l'argent que je gagnais (et bien d'ailleurs)... Ils se sont mis à imaginer pas mal de choses sur la vie soit disant déjantée que je menais. Ils étaient persuadés que je me droguais car j'avais dit une fois que niveau sous c'était un peu tendu bref... Je me souviens de l'air choqué de ma mère le jour où je lui ai dit que je n'allais plus à la messe tous les dimanches et prenais du recul par rapport au catéchisme.
Et un jour j'ai appris par ma sœur lors d'une dispute récente que ma mère avait lu à l'époque mon journal intime, caché au fond de ma valise lors d'un week-end chez eux. C'est ainsi qu'ils ont su pour ma bisexualité. Ils ne m'avaient rien dit bien sûr. Mais j'avais remarqué qu'ils devenaient odieux avec moi, pour n'importe quel prétexte.
Le summum de la crise a été le mariage pour tous. Ils étaient contre bien sûr, faisaient toutes les manifs... Je m'étais positionnée ouvertement pour. C'était humiliation sur humiliation. Seule contre tous, je me retrouvais le bouc- émissaire de tous les maux de la société, de la pédophilie à la zoophilie en passant par le taux de suicide des jeunes enfants élevés sans père et divorcés. Tous leurs discours du dimanche répétant les clichés de Frigide Barjot sur les homosexuels... Ils sont instables, infidèles, pervers, sexualité animale, fous, immatures, traumatisés Freudiens, créatifs et sympas, mais ce n'est pas de l'amour, ils en sont incapables, pauvres folles dominées par leur désir. Et puis "Je les connais les homos, j'ai un pote homo, etc etc". "Un papa une maman, sinon les enfants sont dérangés donc c'est pour leur bien. L'homosexualité est un choix qu'on ne demande pas aux enfants".
Sauf qu'en attendant, j'entendais et écoutais tout. C'était de moi qu'ils parlaient. Avec le recul je me rends compte de leur sadisme. Ils disaient tout cela en sachant pertinemment que j'aimais aussi les filles. C'était horrible. Je me sentais agressée de partout. Je ne pouvais pas regarder la télé, lire un journal ou aller voir des amis sans entendre les débats violents et le déchaînement homophobe qu'il y a eu dans ces mois-là. Oui oui, c'est bien de moi dont ils parlaient. J'ai commencé à me fissurer intérieurement. Une longue descente aux enfers. Les gens oublient que quand ils parlent ou agissent il y a des enfants pour écouter. Et que peut-être ces monstres à qui ils adressent leur haine sont en fait dans leur propre foyer. J'ai commencé à sombrer. Ils le savaient, le voyaient mais continuaient. Je sais bien que tout ce qui s'est passé par la suite était de la pure peur de leur part (on ne refait pas toute une vie de formatage) mais nul parent digne de ce nom ne fait subir ça à son enfant. Surtout quand on clame avoir des valeurs familiales et vouloir protéger les enfants, alors qu'au final, ils ont failli tuer le leur avec leurs imbécillités.
Et en plus cette année-là j'ai avorté. Seule, à 20 ans. J'ai tout gardé pour moi, à tel point que mes deux meilleures amies n'ont su que le jour-même par hasard en me téléphonant. "T'es où?" "A l'hôpital". "Pourquoi?" "J'attends pour me faire avorter" "QUOI? On arrive". J'avais tellement honte que j'en avais même pas parlé à mes amies féministes. Je ne prenais pas de contraception à l'époque parce que j'avais réellement peur de devenir stérile. Et les avortements alors... "Meurtrière", "irresponsable", "Fallait prendre ses précautions avant", "Fallait pas faire ta salope" etc... Les phrases entendues tellement de fois destinées à d'autres femmes résonnaient maintenant pour moi. Mais je passe sur ce moment qui n'est pas la question.
J'ai fait mon coming-out bisexuel et "non pratiquante" (attention même pas athée!). Mes parents ont retiré leur garantie pour mon appartement via leur avocat le lendemain, lundi 10 juin 2013. J'ai donc failli être expulsée de ma location à cause d'eux, et c'était l'effet recherché. Mon statut de militaire m'a protégée auprès de mon agence qui a été conciliante. Pourquoi est-ce que je connais la date par cœur? C'est ce jour-là j'ai fait ma première tentative de suicide. Après avoir écouté les messages vocaux laissés par mes parents le matin même, me disant que j'étais un monstre et que je les faisais souffrir, j'étais égoïste et qu'ils devaient se protéger ainsi que le reste de la famille de moi, ils ne me reconnaissaient plus, je n'étais plus la bienvenue.
Mon foie a survécu, avec 3 fois la dose toxique dans les veines. Je n'ai eu aucune séquelle. Ce sont mes meilleures amies qui m'ont tenu la main toute la nuit en service de réanimation. C'est elles que j'ai appelé en premier lorsque je me suis sentie partir, chez moi dans mon appartement. Juste avant j'avais appelé le curé de mon école pour tout lui raconter et lui ai demandé de m'aider. Vous savez ce qu'il m'a répondu? "Si tu pries assez fort et es vraiment sincère dans ton repentir, alors seulement Dieu pourra te pardonner". Voilà. Depuis je ne peux plus mettre les pieds dans une Eglise ou croiser un prêtre sans avoir une violente douleur dans la poitrine, comme une crise cardiaque et j'ai l'impression que je vais mourir. Donc pour répondre à ta question, non je ne suis plus catholique, et même si je le voulais, je ne pourrais plus nerveusement. Il n'y a pas de mots pour décrire la douleur ressentie ce jour-là. C'est au-delà de la douleur (et pourtant, j'ai été très malade, des douleurs à 10/10 je connais). Mais là c'est... une désintégration intérieure. Elle est tellement forte qu'on ne ressent plus rien. Qu'un grand vide qui vous bouffe. Vous n'entendez plus rien, vous ne voyez plus rien. Une mort intérieure. C'est assez étrange, cette sensation d'être mort à l'intérieur d'ailleurs. On sait qu'on est là, le corps bouge, réactif, chaud, vivant. Mais on ne ressent plus rien. J'ai commencé ma psychothérapie à ce moment-là.
Les appels dans le même genre ont continué tout l'été, de la part de tous les membres de ma famille, et même des anciens amis du lycée du même "cercle social". Encore aujourd'hui j'ai eu une "altercation" avec l'un d'entre eux sur Facebook. Je reçois des appels de ces gens-là pour me dire qu'ils prient pour moi, pour le salut de mon âme, et qu'ils gardent en eux l'image de cette jeune fille bien et pure qu'ils ont connue autrefois. Des années après! Et moi pendant ce temps je laissais faire. Je retournais les voir quand même. J'étais tellement out, ils avaient une telle emprise sur moi, je faisais mon "devoir" de bonne fifille. Je m'en fichais de moi-même, je ne me rendais pas compte.
J'ai survécu. J'ai travaillé très dur, mais j'ai fait un burnout et une rechute de burnout qui m'ont valu l'exclusion de mon école. Je me suis retrouvée sans école, sans travail, sans famille. Je leur ai demandé de l'aide pour vivre et ils m'ont donné 40 euros pour mon anniversaire. "Tu veux être indépendante, vas-y. On verra si tes choix de vie et tes valeurs sont les meilleurs". Pendant ce temps j'ai continué à lire et me "former" avec des articles féministes, traitant de tout. Du racisme aussi, ma famille étant FN (j'ai même rencontré Jean-Marie Lepen alors que je faisais du babysitting chez les meilleurs amis de mes parents, les élus locaux du parti!). Le militantisme virtuel m'a permis de découvrir un nouveau monde et d'en apprendre sur moi-même. Toutes le peurs et préjugés avec lesquels j'ai été éduquée tombaient les uns après les autres. Je publiais mes articles sur Facebook, sachant que ma famille les lirait vu qu'ils étaient dans mes contacts. Une provocation indirecte, en quelque sorte. Ou plutôt de la résistance, de mon point de vue.
Je suis retournée l'été d'après chez eux parce que j'étais en arrêt maladie, épuisée, malade (tumeurs et anémies de stress, migraines, insomniaque etc) et n'avais nulle part où aller. Un soir ma mère s'est lâchée, me traitant de folle hystérique, féministe catin, crachant dans la soupe etc etc... Ils s'y sont tous mis. J'ai pleuré tout ce temps en leur demandant d'arrêter, sans pouvoir en placer une. Ça a duré de 16h à 21h, le 5 août 2014. J'ai fini par gifler ma mère. Je suis remontée dans ma chambre et j'ai pris mes cachets pour dormir. C'était ma 2e tentative de suicide.
J'ai passé une semaine en isolement à l'hôpital. On a eu un entretien familial et je crois que c'est là que mon père a commencé à comprendre enfin qu'il y avait un problème. Il a longuement parlé avec les médecins, au contraire de ma mère qui s'est fermée complètement. "On ne lave pas son linge sale en public". Et puis tout était de ma faute de toutes façons. Je me suis mise toute seule dans cet état, parce que c'est ce qu'on gagne à vouloir vivre sa vie de femme de façon "non naturelle", avec des responsabilités, des charges trop importantes, sans homme. C'était ma mère et ma famille les vraies victimes, vu comme je les faisais souffrir. Et il y a des enfants qui battent leurs parents, la preuve. Etc etc...
J'ai dû m'arrêter 1 an complètement pour me soigner. J'ai eu pas mal d'opérations (quand on somatise le corps prend cher). J'ai coupé les ponts plusieurs mois. J'ai depuis compris les notions de famille toxique, chantage affectif, groupe de survie, culpabilisation, manipulation, parentalisation des enfants, déni, idéalisation (l'enfant préférera se blâmer et se faire du mal à soi-même plutôt que de remettre en question le mythe parental, à la base de sa survie vu que les parents sont tout-puissants pour le tout petit). J'ai compris aussi que je n'étais pas vraiment boulimique/anorexique, les symptômes ayant disparu quand j'ai quitté le foyer familial et mon milieu social à 18 ans. Il s'agissait d'un transfert de trouble par ma sœur et ma mère, qui elles avaient un comportement d'addiction à la maigreur/régimes. Donc oui cela était lié au fait que je ne rentrais pas dans l'image idéalisée de la Femme que mon entourage et mon "monde" de l'époque m'imposait. Une fois débarrassé de cette pression, j'ai été guérie. J'ai compris que j'avais ce qu'on appelle une capacité de résilience. C'est à dire une capacité à guérir des traumatismes, à me recréer toute seule des fonctionnements cognitifs sains (c'est là que le féminisme m'a aidée) sans prendre modèle sur celui familial toxique et malsain. Donc le suicide était une réaction logique face à une situation et une accumulation d'événements, un appel à l'aide sur un moment de panique.
J'ai eu la confirmation par les médecins que je n'avais aucun trouble psychiatrique aussi (à la grande déception de ma famille, ça les aurait bien confortés). Seule, sans cet environnement toxique, j'allais bien. Je n'ai même jamais réellement été dépressive. Le burnout est une façon de l'éviter. D'ailleurs, ce n'est pas bien du tout parce que c'est nécessaire de déprimer et de pleurer de temps en temps. Il faut lâcher prise. Sans sous-papes on craque!
J'ai beaucoup, beaucoup lu dans cette période. De tout, psychologie, économie, philosophie... Freud aussi, j'ai vu à quel point ce misogyne était à l'origine entres autres de cette conception "un papa une maman" comme condition sine qua non pour l'équilibre de l'enfant, et du fait que la femme intrinsèquement n'aurait pas de libido active et que sinon c'était pathologique, une femme phallique, masculine, hystérique. Les analyses de nombreuses féministes sur la question m'ont permis de comprendre à quel point toutes ces théories dépassées étaient entrées dans l'inconscient collectif et déterminaient beaucoup de réactions des gens aujourd'hui dans leurs relations aux femmes. Je me suis intéressée au bouddhisme aussi. J'ai eu une grosse fausse route quand j'ai lu les enseignements du Bouddha concernant les femmes. Qu'elles n'avaient pas accès à la formation de ses disciples parce que leur esprit était trop lié au physique et à la chair de par leur nature plus faible. Ce ne sont pas les seuls: ce n'est qu'au VIe siècle que l'Eglise de Rome a reconnu à la femme la possession d'une âme, et il n'y a toujours pas de femmes prêtre chez les catholiques. Pourquoi? Parce qu'elles ont déjà le "privilège divin" d'être maman! Bah oui! De quoi tu te plains grognasse?
J'ai compris aussi combien de pressions et d'attentes contradictoires pesaient sur les femmes. Tout d'abord cette perfection physique. Et ensuite celle de fonder une famille, parfaite bien entendu. Et puis la carrière, la sexualité... Faut être performantes partout! Mais d'où viennent toutes ces injonctions? Pourquoi est-ce qu'on se complique la vie? Qui édicte les règles? Qui décide des tendances, des "traditions" et des lois de notre société? La réponse est simple. La plupart des postes de dirigeants étant occupés par des hommes depuis plus de 2 000 ans... Tada! Et voilà. Une société faite par des hommes. Ce sont eux qui prennent la parole en politique, eux qui font les discours, eux qui publient des livres, sont réalisateurs, écrivains, penseurs, créent des œuvres artistiques... Encore aujourd'hui en majorité (regardez les statistiques) même si ça s'améliore mais ce n'est pas encore ça. Voilà pourquoi je dis qu'on n'existe pas, pas vraiment si on n'est pas assez représentées et notre parole n'est pas suffisamment relayée. Vu le temps qu'il m'a fallu pour m'extraire de mon mode de fonctionnement familial, alors des fonctionnements au niveau d'une société...Une psychothérapie collective, sur des siècles, c'est ainsi que je conçois le féminisme. Des groupes de paroles pour se remettre de ces millénaires d'oppression et d'automatismes qui partiront enfin petit à petit. Il faudra beaucoup de générations pour ça. Voilà pourquoi il y a des mouvements féministes. Des femmes se sont mises ensemble, pour faire bloc et contrebalancer cet effet de masse et d'héritage. Que d'autres femmes le fassent seules, sans structure ni mouvement, tant mieux. Heureusement qu'on a pas besoin de passer par cette case... Mais l'effet de groupe est utile et franchement ça aide.
J'ai compris beaucoup de choses. Et surtout que ma famille ne changera jamais, qu'ils ne m'accepteront jamais et ne m'aimeront jamais. Du moins pas telle que je suis vraiment. On n'aime pas quelqu'un pour ce qu'on veut qu'il fasse ou soit pour nous. Sinon vous êtes un gros pervers narcissique. Je ne parle plus à ma mère. Ma sœur ça va mieux depuis 2 mois... Mon père a décidé de m'aider. Il n'approuvera jamais mais préfère me voir même si je le déçois plutôt que pas du tout, c'était trop dur sinon. Voilà où on en est...
Avec le recul, je me rends compte à quel point le féminisme a été ma bouée de sauvetage. Il est tellement important de dire aux femmes qu'elles sont fortes, qu'elles sont intelligentes, qu'elles sont capables, qu'elles peuvent TOUT, absolument TOUT faire aussi bien qu'elles le veulent. Si seulement on le pensait, beaucoup comme moi n'auraient pas perdu autant de temps à s'enfermer dans des relations de maltraitance physique ou émotionnelle parce qu'elles n'envisagent pas une seule seconde le fait qu'elles n'ont pas besoin de dépendre de la famille ou d'un homme pour vivre. Pourquoi y a-t-il autant de femmes battues à votre avis? Ou de femmes victimes d'agressions sexuelles? Ou tout simplement, le nombre de femmes qui n'ont pas confiance en elles et sont complexées? ça aussi c'est un dommage psychologique handicapant! Si on nous éduque à être victimes, on apprend aux hommes à être des bourreaux. C'est pour ça que c'est vital de défaire les clichés "typiquement masculin-féminin" car c'est comme ça qu'on se ferme les opportunités dans la vie. Cela crée de la peur et des limites. Il n'y a pas de pute, de salope ou de frigide. Ce sont des inventions pour faire peur aux femmes avec une morale superficielle, parce qu'il y aurait des femmes "respectables" et d'autres pas. Comme le loup-garou pour faire comprendre aux enfants que le soir il faut dormir. Sinon... Fessée! (je m'égare...)
En fait le pire dans tout ce que je te raconte, c'est qu'après tout ce que j'ai vécu, ma parole de femme est toujours remise en question. C'est ça le pire. Ne pas être prise pour crédible. Quand un mec, ton pote, te sort "Non mais c'est faux quand tu dis que tes opinions féministes sont sous-représentées, on en parle tout le temps dans les médias. Il n'y a pas de haine des femmes, tu exagères, il y a un profond respect général je trouve au contraire... Tu projettes des trucs perso sur la société... Les hommes aussi souffrent. Et puis tu interprètes mal ce que je dis, ne te braque pas, t'as rien compris". Les gens vous disent quoi ressentir. Si je te dis qu'en tant que femme je ressens ça et ça, tu ne vas pas me dire que c'est faux. Si je dis que telle attitude me blesse, tu n'as pas à me dire que je ne comprends rien. C'est ne jamais prendre en compte la souffrance de l'autre en face, et surtout ne pas changer son attitude pourtant à l'origine de cette souffrance. Au lieu de s'excuser et arrêter, on va demander à l'autre d'arrêter de souffrir et changer son ressenti, s'obliger à aimer ça. J'ai l'impression que c'est ce qu'on demande à beaucoup de femmes. Prendre sur elles encore et toujours. Il ne viendrait jamais à l'idée de quelqu'un d'aller voir un enfant alors qu'il vous raconte sa journée en rentrant à la maison "Non non, tu n'as pas eu cours de maths aujourd'hui. Tu as eu français, et d'ailleurs tu ne t'es pas écorché le genou à la récré, tu t'es cogné la tête" "Mais regarde ça saigne!" "Te braques pas, tu vois tu es intolérant et tu ne supportes pas qu'on ne soit pas d'accord avec toi! Et puis moi aussi j'ai mal, je me suis fait piquer par un moustique!". Absurde! Tu es dans ma tête? Tu as une caméra pour savoir ce que je vois et entends? Non mais. C'est mon cerveau, je le garde merci.
Peux-tu témoigner sur le viol que tu as subi ? As-tu pu en parler autour de toi ?
C'était pendant mon année à l'étranger, je suis rentrée en France pour fêter le nouvel an avec ma bande de potes du lycée avec qui j'étais encore en contact. Nouvel an 2011-2012... C'était dans la demeure familiale (bah oui, entre aristos forcément! XD) et on avait vidé les caisses de champagne (bah oui pas de bièèèères très chèèèèère!!). On s'était bien éclatés, pendant la fête on avait fait des échanges de déguisements, trop cool. Sous le gui, le cousin de ma pote m'a roulé une pelle. Bon... Je m'en fichais un peu, une pote est ensuite venue m'en rouler une juste après bref c'était le grand n'importe quoi classique et drôle des soirées entre potes. Vers 4:00 du matin je suis montée me coucher. J'avis mes règles, fatiguée, jetlag, je change mon tampon et me vautre sur le lit, complètement inconsciente. Et là le cousin arrive. J'étais tellement out et surtout choquée que j'ai rien pu faire. Il a fait sa besogne, j'avais mon tampon. Je peux vous dire que j'ai eu très mal. J'ai crié, il a mis sa main sur ma bouche. Mes potes ont cru que je jouissais. Le lendemain matin je me suis même excusé auprès du mec pour l'état dans lequel j'étais. J'étais tellement choquée que sur le coup j'ai complètement refoulé et nié ce qui s'était passé. J'ai rigolé devant mes potes qui me faisaient des blagues sur "Le bruit que vous avez fait hier soir, hein? (clin d'œil)". Puis après le covoiturage je rentre chez moi et je me douche. Pendant 3 heures. Attendez, maintenant que j'y repense... Rentrée 15h, j'en suis sortie à 20h00. J'avais horriblement mal. Je saignais en plus de mes règles, le tampon avait ouvert le col de l'utérus vu comme j'avais été forcée. Je n'ai pas pleuré, je n'ai rien dit. Je me suis couchée et ai gardé ma douleur. 2 semaines de maux de ventre et de saignements. Je n'ai même pas consulté, je n'avais encore jamais vu de gynéco à l'époque vu que je n'étais pas mariée ou mère. J'ai eu de la chance de ne pas choper une infection ou quelque chose quand j'y pense. Et puis j'étais persuadée que c'était de ma faute, j'avais qu'à pas être bourrée je l'avais bien cherché et chauffé pendant la soirée. Bah oui, salope, tu l'as mérité. Et c'était trop tard. Si je revenais vers mes amis en disant que "Non en fait c'était un viol etc" "Bah pourquoi tu nous as pas dit? Pourquoi tu ne t'es pas défendue?".
Ce n'est que pendant une soirée avec mes 2 meilleures amies féministes qu'à un moment on discutait et A. a parlé de ce témoignage d'une jeune fille qui avait été violée par son copain. Son copain! Et là ça a fait tilt. 1 an après. J'ai pleuré. Et c'est sorti. Ma pote F. a balancé son verre contre le mur de rage tellement elle était en colère et choquée parce que je racontais. C'est là enfin que j'ai compris une vérité élémentaire, simple. Le viol c'est une relation sexuelle non consentie. Point. J'étais persuadée avant qu'il fallait avoir été battue, violentée par un inconnu etc... Comme dans les scènes spectaculaires des films. Et bien non. Le simple fait d'être ivre= droguée donc incapable d'être consentante, ou non, c'est donc profiter d'un état de faiblesse et donc un viol. Même si je n'avais pas eu mes règles et un tampon sur le coup mon viol aurait été quand même vrai et crédible.
J'en ai reparlé depuis, avec de nouvelles potes. Et surtout mon mari. Enfin, futur, on se marie dans quelques mois. Je ne peux juste plus sortir avec un homme qui n'est pas pro-féministe. Je précise homme parce qu'une femme ne n'est pas pareil, nous vivons toutes le sexisme donc il y a une empathie et une identification/compassion plus facile à créer. J'ai essayé depuis, mais quelqu'un qui n'a pas la notion de bodyshaming, slutshaming, consentement etc... Ce n'est juste pas possible. A cause de ce viol entre autres. Un de mes ex m'a quand même sorti qu'il ne fallait plus que je sorte sans lui, qu'il fallait que je me protège et que je n'avais pas été assez prudente. Je l'ai plaqué dans l'heure qui suivait. Aucune femme ne mérite d'être violée. Je refuse de vivre dans la peur. C'est au violeur de changer son comportement, pas le mien. Ça suffit avec la culpabilisation.
Rst-ce-que tu souhaiterais rajouter quelque chose ?
On a fait le tour je crois ^^
Sinon je vais écrire un livre autobiographique ce sera fait héhé
Bien sûr qu'il y aurait d'autres choses à dire, le féminisme est un sujet tellement passionnant parce qu'il touche précisément TOUS les domaines... On en aurait pour des heures. Pas assez d'une vie pour s'y consacrer, comme Simone de Beauvoir =)
Merci en tous cas me m'avoir donné la parole, ça m'a fait du bien de témoigner. Mon petit bilan de rentrée. Et maintenant que je le vois, ça va, je suis plutôt fière de moi, suis assez costaud en fait! ^^ (faut bien s'autocoacher sinon personne ne le fait pour vous)
Partager