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Paul Bert - l'inventeur de l'école laïque, par Rémi Dalisson

Par Mpbernet

Je l’avoue humblement, de Paul Bert, un des plus célèbres scientifiques de son temps, j’ignorais tout, malgré une certaine connaissance des grandes figures de la Troisième République.

Paul Bert couverture

Patriote pétri de l’esprit de revanche, libre-penseur, docteur en droit, sciences et médecine, anticlérical acharné, promoteur de l’école laïque gratuite et obligatoire, partisan de l’éducation des filles, artisan de la création dans chaque département d’un école normale d’instituteurs, mais aussi coloniste professant des convictions racialistes (thèses fondées sur la supériorité de la « race » blanche) totalement infondées aujourd’hui : tel fut Paul Bert, né à Auxerre en 1833 et mort du choléra en 1886 dans la fleur de l’âge, à Hanoï où il était venu comme Résident général huit mois plus tôt.

Une carrière fulgurante, selon un parcours classique – réussite scientifique exemplaire, carrière à l’université, entrée en politique  - dans cette république née d’une lourde défaite et qui ne pense qu’à recouvrer ses provinces perdues. Le contexte scientifique de ce temps est propice à l’avènement des idées progressistes. Paul Bert est un positiviste : il entend bâtir une société fondée sur l’expérimentation et la raison, qu’il est nécessaire de régénérer par l’éducation, fondement du patriotisme.

Dans le domaine des sciences, Paul Bert étudie la physiologie, les greffes végétales et animales, la transfusion sanguine, l’anesthésiologie, l’asphyxie, la pression atmosphérique, milite pour l’expérimentation, le travail en petits groupes (à l’instar de ce qui se fait déjà en Allemagne, l’ennemi (mais aussi l’exemple à suivre !!!)

En politique, il se range derrière Gambetta, parmi les Républicains opportunistes. Il prépare les lois de Jules Ferry, avant de se détacher de lui. Son œuvre est marquée par sa haine viscérale des jésuites qui incarnent les tendances rétrogrades et anti progressistes de l’Eglise. Il faut bien se replacer dans le contexte de cette période qui prépare la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905…. Et qui continue d'influencer notre vie politique actuelle …

Mais en réalité, son passage au Ministère de l’Instruction publique et des Cultes ne dure que 9 semaines, du 14 novembre 1881 au 26 janvier 1882. Son œuvre n’en est pas moins remarquable, ainsi que son activité de rédacteur de manuels de vulgarisation, comme son opuscule « L’Instruction civique à l’école » publié en 1881, qui explique aux enfants les lois républicaines, les valeurs du régime, la morale laïque, ouvrage qui sera mis à l’index par l’Eglise. Car son crédo est de faire des enfants des citoyens qui réfléchissent par eux-mêmes et feront, le moment venu, de bons soldats prêts à donner leur vie pour la Patrie.

Le côté noir de la légende, ce sont les convictions profondes de ce scientifique, largement partagées à l’époque, sur la différenciation des races humaines et leur hiérarchisation, qui justifie la colonisation, l’érige même en devoir – et, en plus, procure un dérivatif à la défaite de 1870. Car tous ces républicains sincères prônent, en même temps que l’universalisme des Lumières, l’hérédité des caractères physiques et psychiques, l’inégalité des capacités et la hiérarchie des groupes humains : des notions totalement erronées qui continuent à polluer notre vie politique contemporaine malgré les désastres qu'elles ont provoqué – et pas seulement l’horreur de la Shoah.

Pourquoi cette biographie maintenant ? L’auteur annonce la couleur dès le départ. Son propos est clair : il s’agit de redresser l’oubli dans lequel est tombé ce grand acteur de la laïcité, replacer ses écrits dans une époque totalement ethnocentrée, évoquer son univers mental et ses références. La fin de l’ouvrage propose aussi une étude approfondie des caricatures parues de la Presse satirique de l’époque, bien plus mordantes et injurieuses que celles qui ont provoqué le carnage de Charlie Hebdo. Un rappel de ce que la résurgence du racisme actuel constitue donc un héritage du siècle de Paul Bert obsédé par le racisme légitimant la colonisation, une vision du passé complètement absurde aujourd’hui.

C'est un plaidoyer pour le retour à la morale civique et aux valeurs républicaines face aux tentations de communautarisme, à un moment où la laïcité serait malmenée …Un livre légèrement hagiographique, mais qui permet de se remettre dans le bain de la Troisième République naissante. Un seul regret : l'auteur parle des ses trois filles et de ses gendres, mais pas un mot du fils illégitime de Paul Bert, à la carrière atypique, fondateur de l’Espéranto … Un accroc dans le tableau ?

Paul Bert, l’inventeur de l’école laïque, par Rémi Dalisson, publié par Armand Colin, 331 p. 24,90€


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