Ce n'est pas un livre facile. Inutile de l'ouvrir si vous n'acceptez pas de vous dépouiller d'un surmoi judéo-chrétien bien pensant. Vue de loin la couverture évoque deux mains qui s'apprêtent à se refermer comme un étau. C'est vrai que La petite barbare ne vous lâchera pas.
Même si les propos sont souvent dérangeants la cause de l'héroïne est plaidée avec fulgurance.
On pense à Tout, tout de suite, de Morgan Sportès, inspiré par l'affaire du gang des barbares. Et on peut croire que cet auteur, qui avait auparavant écrit l'Appât, a fortement inspiré Astrid Manfredi.
Il n'empêche que la construction du roman, passant sans cesse du présent au passé, tout en évoquant le futur, est très habile pour éviter aussi bien le rejet que la compassion de bon aloi. La rage de vivre finit par forcer le respect. On lui donnerait presque les circonstances atténuantes.
A elle en particulier qui a enclenché une vie de faussaire qui reproduit les déceptions à l'infini. Mais aussi à tous ces grands fauves qui se gavent d'ultraviolence pour encaissser l'ineptie d'un monde fabriqué sans leur avis (p.52). Il y a quelques pages d'analyse sociale qui sont d'une justesse affolante.
On ne cautionne pas pour autant. Avoir regardé à vingt ans un mec se faire buter en fermant sa gueule après avoir fait du shopping chez Zara (p. 96) ça vaut sept ans de privation de liberté. Preuves à l'appui, elle est coupable. Faut payer.
Sa mère porte à longueur d'année une doudoune rose qui n'aura jamais vu la neige. Ça lui a forgé des goût de luxe à la petite, mais pas que. Ce qu'elle souhaite au bout de la taule c'est s'envoyer des granny smith et des chips goût barbecue avec une demi-bouteille de champ. Cela suffira. Les rêves ont évolué. Devenir libraire par exemple, aller voir la mer en Normandie, sans doute du coté des Roches noires, porter un chapeau et puis, si elle a de la chance, rencontrer celui qui lui fera oublier ce David qui a provoqué la goutte de larme qui a fait déborder la piscine du désespoir.
On s'endurcit au contact de la barbare et l'approuver : le romantisme c'est ne pas obtenir ce qu'on veut et pleurer. Une longue lamentation et le vide pour réponse. (p.77)
La rédemption s'effectue par la littérature. Parce que écrire c'est réel, même si c'est un rêve et qu'on peut en crever tellement on rêve. En premier lieu l'écriture de Marguerite Duras dont l'Amant agit comme un révélateur sur une plaque ultra sensible.
Le roman est traversé de citations explosives comme des comètes. Ce sont les mots de Henri Michaux, en exergue, de Boris Vian (p. 69), de Brecht (p. 65) ... Si fatigué soit Baal, Baal ne sombre jamais : Baal emmène son ciel avec lui vers en bas.
Même Jean d'Ormesson dont elle détourne la parole. Je suis plein du silence assourdissant d'aimer devient je suis pleine du bruit assourdissant de vivre. (p.134)
A défaut de changer le monde, La petite barbare a le pouvoir de nous faire réfléchir. C'est déjà ça. Et c'est très fort pour un premier roman.
Astrid Manfredi intervient ponctuellement pour le Huffington Post, dans son domaine qui est la littérature. Elle a créé le blog de chroniques littéraires Laisse parler les filles dont j'ai lu quelques chroniques. Je partage souvent son avis, par exemple sur Chambre 2 de Julie Bonnie, avec qui je lui trouve des points communs.
La petite barbare d'Astrid Manfredi chez Belfond, en librairie depuis le 13 août 2015