À l’heure même où s’écrivent ces lignes, la vie d’Ali Mohammed, en Arabie saoudite, est suspendue à un rien. Ce rien nous hante, il nous est insupportable.
Il y a des moments où nous devons accepter que certains hommes deviennent des symboles, parce que l’ignominie du sort qui leur est réservé a valeur universelle. Ainsi en est-il d’Ali Mohammed Al Nimr, désormais âgé de 20 ans, mais aux mains de ses tortionnaires de la monarchie théocratique saoudienne depuis l’âge de 17 ans. Son crime ? Avoir participé à une manifestation antigouvernementale, en 2012, dans la province chiite de Qatif. Que risque-t-il? D’être décapité, avant que son corps ne soit crucifié jusqu’à son pourrissement. En Arabie saoudite – comme dans l’espace occupé par
Daech –, la loi, issue de la Charia, prescrit en effet la crucifixion comme sanction possible pour des «cas graves» de sorcellerie, d’hérésie, d’injure à l’égard du prophète, mais également pour fait de révolte contre l’État, considéré autant comme un crime politique que religieux. Cette obscurantiste sentence a été prononcée, puis confirmée, et l’ultime appel définitivement rejeté. Cette mise à mort peut donc survenir à n’importe quel moment. À l’heure même où s’écrivent ces lignes, la vie d’Ali Mohammed est suspendue à un rien. Ce rien nous hante, il nous est insupportable.
D’autant plus insupportable que les «puissants» du monde se trouvent au siège des Nations unies, ces jours-ci, et que, du côté de la diplomatie française, l’une des principales alliées de l’Arabie saoudite, rien ne semble trop beau pour ne pas indisposer le roi Salmane, ce grand acheteur de Rafale, de vedettes et d’hélicoptères de combat. La vie d’un manifestant vaut-elle quelques avions de chez M. Dassault? François Hollande a bien sûr demandé à son interlocuteur privilégié de renoncer à l’exécution, la France étant «opposée à la peine de mort». Ces mots a minima résonnent comme une défaite, sinon une allégeance, à l’image de l’ONU d’ailleurs, qui vient de nommer un représentant de l’Arabie saoudite pour diriger son Conseil des droits de l’homme... La disponibilité pour se battre – même pour un homme du bout du monde – dépend et se nourrit toujours de la conscience de l’utilité de le faire. L’Humanité juge utile et indispensable de lancer une grande mobilisation pour sauver Ali Mohammed de ses bourreaux. Le temps presse. [EDITORIAL publié dans l'Humanité du 29 septembre 2015.]