" Madame Saint-Clair, Reine de Harlem "
Mercure de France, Paris, 2015, 327p.
Lectrices Hot, lecteurs Swing, la rentrée littéraire vous ennuie? Faites confiance à Raphaël Confiant pour vous réveiller. Avec " Madame Saint Clair, Reine de Harlem " il ressuscite le personnage de Stéphanie Saint Clair, née en Martinique en 1886, morte à New York en 1969, qui régna sur les loteries clandestines de Harlem des années 1920 aux années 1940, gagnant assez d'argent pour vivre en paix jusqu'à la fin de ses vieux jours.
Née Noire en Martinique d'une fille mère, elle était vouée à devenir servante ou prostituée, ce qui revenait à peu près au même dans son île natale à cette époque. Sa mère morte, elle partit d'abord en France puis, de Marseille, en 1912, elle prit le bateau pour New York.
Là, elle fit son chemin. Elle ne parlait pas anglais (elle ne sut jamais prononcer le " th " à l'anglaise) et, au lieu de vendre son corps, elle vendit son cerveau, sa ruse, sa détermination, son intelligence. Question de survie. Ceux qui se mettaient en travers de son chemin furent éliminés de diverses manières: en les tuant soit elle-même soit par ses hommes de main, en les détruisant socialement (elle dénonça à la Justice une dizaine de policiers corrompus du New York Police Department ce qui freina fortement les enquêtes sur elle) ou en négociant lorsqu'elle n'avait pas le choix comme avec Lucky Luciano lorsque Cosa Nostra s'intéressa aux affaires des Noirs après la Prohibition.
Implacable en affaires, c'était aussi une femme généreuse et impliquée socialement qui finança de nombreuses entreprises et causes noires, du restaurant de quartier à Marcus Garvey (1887-1940) et son projet fou de compagnie de navigation transatlantique pour ramener les Noirs d'Amérique en Afrique, la Black Star Line. Elle n'eut pas d'enfant et ses amants ou son mari payèrent très cher leurs trahisons à son égard.
Raphaël Confiant se met dans la peau de cette femme, parlant à la première personne, racontant sa vie sous forme autobiographique à un neveu de Martinique. Je ne suis qu'un homme, blanc de peau de surcroît et je ne peux qu'admirer la crédibilité de l'auteur, certes Martiniquais et noir de peau, mais qui est un homme en somme. Qu'il parle de sexe, de lutte pour la vie, de pouvoir ou d'argent, il est cette femme. L'auteur utilise un français créolisé qui se comprend très bien et, lorsqu'il écrit en créole, prend le soin de traduire pour les non créolophones comme votre serviteur, lectrices Hot, lecteurs Swing.
Son ascension sociale la mena dans le beau quartier de Harlem (Sugar Hill bien connu pour avoir donné Sugar Hill Gang le premier groupe à classer un morceau de rap dans le Top 40 aux USA: " Rapper's delight " en 1979). Ses voisins d'immeuble s'appelaient Wiliam Edward Burghardt Dubois (1868-1963), le premier Noir docteur de Harvard et cofondateur de la National Association for the Advancement of Colored People et Duke Ellington (1899-1974). Tous respectaient Madame Sinclair ou Queenie (rien à voir avec la " Little Queenie " de Chuck Berry).
" Madame Saint Clair, Reine de Harlem " est à lire avec, en fond sonore, " Creole Love Call " de Duke Ellington , son sublime solo de trompette par Bubber Miley et la voix d'Adelaide Hall, pionnière du scat au féminin. Rien à ajouter.