... Face à ce monde en délitement qui m’apparait tel un grand désert social, je me réjouis de voir que des oasis de vie se multiplient de toutes parts, répondant au besoin émergeant de répondre par nous-mêmes à nos nécessités vitales, de nous relier à nos semblables et à la nature, de retrouver le sens de la vie, la joie d’être en vie. Ainsi, tandis que la politique continue à faire de l’acharnement thérapeutique sur un système moribond, des milliers de créatifs s’affairent à construire les alternatives sur lesquelles le futur pourra s’appuyer. Que ce soit en termes d’agriculture vivrière, de sobriété énergétique, d’éco-construction, de mutualisation et d’échange de biens et de services, de convivialité et d’entraide, d’éducation alternative, ces lieux de vie ou de transmission expérimentent de nouvelles manières d’être et d’agir afin de retrouver une coopération avec la vie.
Comme nous l’avons mis en évidence dans notre livre avec Jean-Marie Pelt, Le Monde a-t-il un sens ?, la coopération et l’associativité sont deux lois fondamentales du vivant. Aucun élément naturel ne roule pour lui-même. Tous les éléments constitutifs de la nature entrent dans le cycle du donner et du recevoir. Avoir cru pouvoir s’extraire de cette logique du vivant fut une dangereuse illusion. Chercher des moyens de construire un vivre-ensemble harmonieux et respectueux de la terre à laquelle nous devons la vie est la seule voie possible pour demain...
En plein désert, l’oasis est cet ilôt de vie que l’homme a su faire fleurir de ses mains en recréant une synergie au sein des différents maillons de l’écosystème – végétal, animal, humains – et des différents éléments indispensables au vivant : terre, eau, chaleur, ombre…
L’oasis m’apparait ainsi comme un lieu d’équilibre, entre l’épanouissement de chacun et l’harmonie du groupe, la valorisation des ressources naturelles et le respect de leurs limites, la prise en compte des enfants comme des aînés, la recherche d’autonomie et l’ouverture sur le monde, les valeurs qui nous portent et les actes qu’elles induisent. ...
Ainsi, en vingt ans, le phénomène oasis n’a fait que s’amplifier comme une réponse au déclin du système actuel. La multiplication des alternatives de ce type est magnifique et je rêve maintenant qu’elles soient fédérées, valorisées et révélées comme une véritable énergie politique, au sens noble du terme, force de proposition et de démonstration d’une nouvelle organisation du vivre-ensemble basé sur le respect de l’humain et de la nature...
Finalement, ces oasis n’incarnent-elles pas un retour au sacré ? Un mode d’existence qui exalte la beauté de la vie et nous replace dans notre véritable vocation qui n’est pas de produire et consommer sans fin, mais d’admirer, aimer et prendre soin.
Pierre Rabhi
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