(anthologie permanente) Fernand Ouellette

Par Florence Trocmé

à la mémoire de Lisette Corbeil, 
mon épouse.
 
1931-2014 
 

Parcours 
 
Visage déserté 
Qui soudain parle 
Dans un silence de cire et d'or. 
 
S'approchait de l'âme 
La sérénité entière 
De la mer au levant. 
La mort avait ciselé sa beauté 
En condensant les âges, 
L'immortalisant sans défaillance 
Ni restriction. 
 
Tout l'être était prêt 
Pour l'accueil de l'Amour 
Qui lui ouvrait son parcours, 
Prévoyait le mien dans son sillage, 
Annonçait notre moment de retrouvailles. 
 
 
Déni 
 
Son absence m'emmure. 
Ce qui est demeuré en désaccord m'oppresse, 
De même que la douleur de ne pas découvrir 
Les pensées les plus espérées. 
Il faut tant d'innocence 
Pour que l'affection nous unisse 
Jusqu'au seuil de la séparation… 
 
Je ne suis plus de force 
à noter certains souvenirs, 
Ni les quelques mots qui ne sont pas apaisés 
Ou se sont jetés hier à bouche perdue 
Dans de vains défis. 
 
Comme on manque de lucidité 
Dans les parages de la fin ! 
Comme la pensée s'avance aveugle, 
Mais sans imposture, dans le déni 
De ce qui est proche, et bouscule 
Ce qui se voudrait de la pure tendresse ! 
 
 
La Vie 
 
J'envoie à tâtons une pensée 
à la plus chère, 
à celle qui dorénavant est devenue 
à jamais radieuse 
Par la seule puissance de l'appel. 
 
Des mots parfaitement ailés 
Se forment peu à peu. 
Et dans dans un silence rougi, à peine replié 
Dans l'ombre, 
J'accepte le lumineux qui m'allège l'esprit, 
Effleure le faîte des grands cyprès. 
 
Or la mort n'a point ravagé l'unique : 
C'est une force secrète, intérieure, 
Qui a d'abord chassé la vie 
De son cœur, de son cerveau, 
Abandonné dehors sa dépouille. 
Puis la mort l'a conduite fidèlement 
Par son désir le plus caché 
Jusqu'au seuil où la Vie l'attendait 
 
Et la mer, notre mer,  
Largement s'est mise à bruire, 
Semblable à la brise silencieuse 
Du prophète Élie. 
 
 
à l'unique 
 
à l'unique, à son corps, je revenais 
Avec une mémoire nourrie 
Depuis le premier éblouissement. 
Toute caresse était imprégnée 
D'images incrustées dans l'intemporel, 
De frémissements qui avaient escorté 
L'union de deux êtres qui se soudent. 
Les tonalités de jadis en moi continuaient 
D'irradier, de sonner le matin 
Dans chaque étreinte. 
Ainsi l'éternité esquissait 
Et gravait en nous son enracinement. 
 
Maintenant, dans la détresse, 
à l'infini de l'aimée, 
Je perds de vue les saisons.  
Ne reste que le mot lui-même en berne, 
Comme un signal d'adieu. 
 
Fernand Ouellette, 4 poèmes extraits de « Avec l'unique », in Avancées vers l'invisible, L'Hexagone, 2015, p. 337-340 
 
Jean-Paul Louis-Lambert 
 
Fernand Ouellette dans Poezibao :  
bio-bibliographie, Présence du large (parution), ext. 1, "A l'extrême du temps", par Jean-Paul Louis-Lambert