A l’occasion du 3ème Festival de cinéma russe de Nice, nous avons pu assister à l’avant-première de La bataille de Sébastopol, long-métrage de Sergueï Mokritski qui porte mal son nom ; la bataille en elle-même n’étant que la trame de fond du dernier quart ; mais dont c’est bien le seul défaut. Le film russo-ukrainien retrace l’histoire passionnante de Ludmila Pavlitchenko, snipeuse soviétique puis diplomate qui devint amie d’Eleanor Roosevelt et qui joua un rôle primordial pour convaincre les États-Unis d’ouvrir un deuxième front en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Ludmila Pavlitchenko, fille d’un militaire ukrainien, élevée dans la tradition familiale, s’entraîna au tir à l’université. Le 22 Juin 1941, alors qu’elle apprend comme tous les soviétiques, que l’Allemagne a envahi l’URSS sans déclaration préalable, elle laisse son prétendant (Nikita Turasov) seul à l’opéra et pars s’engager. Ses qualités en tant que tireuse sont vite déceler par l’État-major qui lui confiera des missions de plus en plus périlleuses jusqu’à son ultime duel contre l’élite des snipers allemands. Blessée, souffrant d’un traumatisme crânien, elle est récupérée par la machine propagandiste de l’Union soviétique. Avec le secrétaire général des Jeunesses Communistes, Nikolaï Krassavtchenko (Sergueï Radtchenko), elle est envoyé en délégation à Washington pour convaincre les américains de porter main forte à l’URSS.
Contrairement aux autres pays belligérants qui cantonnaient les femmes à des rôles, tout au mieux d’infirmières, les soviétiques engagèrent sur le front des bataillons de femmes qui furent traitées à égalité avec les hommes. C’est ainsi que Ludmila Pavlitchenko put devenir un héros national et l’un des snipers le plus efficace de la guerre. Son premier amour, un juif d’Odessa, ne fut pas étranger à son engagement bien qu’elle lui reprocha dans un premier temps ce qu’elle ressentait comme de la couardise. Ce dernier, antimilitariste, finit par s’engager en tant que médecin dans l’espoir de pouvoir la croiser. La bataille de Sébastopol suit donc l’évolution de la carrière militaire de Pavlitchenko qui défendit d’abord Odessa puis fut, avec son régiment, en retraite jusqu’à Sébastopol, qui fut cerné par les nazis. Durant le siège, qui dura 247 jours, elle fit plusieurs sorties meurtrières sur la ligne de front et la propagande allemande tenta même de faire croire à sa mort. Submergés par l’armée allemande, épuisés par le siège, les soviétiques se virent contraint d’envisager l’évacuation. Son organisation catastrophique fit de l’ombre à la résistance héroïque des soldats et des civils de Sébastopol. Près de 95,000 furent capturés et déportés par les allemands et l’on compta près de 18,000 morts.
Ce que ne raconte pas la grande Histoire, plus prompte à fabriquer des légendes et des héros, c’est le quotidien des soldats sur le front et la vie qui continue malgré l’omniprésence de la mort. La bataille de Sébastopol fait partie de ces films de guerre qui ont l’intelligence de se pencher sur les longs interstices entre les combats (à ce sujet Fury fut particulièrement réussi). Du point de vue de l’État-Major, le film insiste sur la déshumanisation à l’œuvre de l’ennemi. Ainsi Ludmila Pavlichenko n’eut pas l’impression d’abattre des êtres humains, seulement des nazis, terme général qui fit porter à tous les soldats de la Wermarcht l’infamie du régime. Toutefois, la jeune femme, âgée de 25 ans, connut après son amour avorté avec le docteur d’Odessa, deux romances dont la guerre la priva tragiquement. Le premier (Oleg Vasilkov), qui l’a sauva d’un ensevelissement la laissa sous la garde du premier en espérant un bon rétablissement. Il ne revint jamais la saluer et mourut au front. Le deuxième, dont elle porta l’enfant, mourut en la couvrant pour la protéger d’une explosion de mine. Au milieu de toute l’horreur de la guerre, ce dernier (Evgeniy Tsyganov), appris à Ludmila que la guerre n’étant pas une finalité, il fallait avant tout honorer la vie. On touche au même propos que dans Kamikaze : le dernier assaut ou Normandie-Niemen. Monologue. Dans des événements si violents que les valeurs fondatrices en sont perturbées, il faut d’abord se rappeler que la vie est sacrée. L’amour reste le moyen le plus sur de ne pas trop se laisser submergé par une haine irraisonnée. Si la guerre détruit, penser à l’avenir transcende. Preuve en est que l’histoire prend une tournure particulièrement émouvante lorsque le docteur permit à Ludmila de s’en sortir en lui confiant son laissez-passer. Cet homme mourut à Sébastopol, confiant d’avoir laissé la plus belle preuve d’amour désintéressé qu’il aurait pu.
Devant l’assemblée d’étudiants et de journaliste faisant l’opinion venus l’écouter, dont le jugement était obscurcis par un anti-communisme primaire, Ludmila Pavlichenko prononça un court discours non validé par sa hiérarchie mais qui fit mouche appelant autant la raison que l’émotion à naître dans les cœurs froids de l’assistance : « J’ai vingt cinq ans et j’ai déjà tué trois cent neuf nazis. Ne croyez-vous pas, gentlemen, que vous vous cachez depuis trop longtemps derrière mon dos ? ». Là, où on la pressait de parler stratégie et politique, elle parla de ses blessures et fit honte à ses détracteurs de les lui avoir laissé subir. Il s’agissait alors, non pas de se partager le monde, mais de se battre côte à côte, en peuple frère, contre l’ignominie nazie. Eleanor Roosevelt, intriguée et admiratif, poussa son mari à prendre position. Pavlitchenko mourut, en 1974, à Moscou, mère d’un enfant, après avoir consacré le reste de sa vie à des études d’Histoire et au Comité soviétique des vétérans de guerre.
Boeringer Rémy
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