Suivi d’un cours documentaire où Nick Mason et Roger Waters répondent avec humour à des questions plus ou moins pertinentes posées par les internautes, l’adaptation cinématographique de Roger Waters The Wall, réalisé par Sean Evans, réitère l’exploit de faire vivre une expérience incroyable entre schizophrénie latente et discours politique rodé. Trente-six ans après, l’album-concept de Pink Floyd est toujours aussi important. Comme le dit, en introduction du film, l’acteur irlandais Liam Neeson que l’on a vu dans Puzzle, Non-Stop, Ballade entre les tombes, Taken 3 et Night Run), c’est un appel vibrant à déconstruire tout aussi bien les murs idéologiques que nos propres prisons intérieurs. Mêlant le pèlerinage de Waters sur les tombes de ses ancêtres et les versions live enregistrées en concert de l’album, Roger Waters The Wall remet au goût du jour un monument rock dont les interrogations n’ont pas vieillies.
En 1979, The Wall fut penser par les Pink Floyd comme un triptyque qui devait, en plus de l’album, donnait vie à des concerts pharaoniques et à un long-métrage. Le projet mis trois ans à se concrétiser et s’acheva par la sortie en salle de The Wall d’Alan Parker sur un scénario de Roger Waters. Pour l’essentiel, il reprenait les titres de l’album en alternant prise de vue réelle et animations. Sur scène, les Pink Floyd construisaient littéralement un mur, idée géniale qui vint à Waters après un concert raté à cause d’altercations avec le public. Comme dans le texte de The Wall, le mur devenait à la fois une protection et une source d’aliénation. Dans sa récente tournée, Roger Waters à repris les fondamentaux, de la construction du mur à l’utilisation des images du film original en passant par les costumes d’inspirations nazis. Complétant l’étude de l’œuvre entre la vision du film et l’écoute de l’album, l’auditeur pouvait en saisir la complexité du propos, Pink Floyd entamant un discours sur la paranoïa, la schizophrénie, l’usage des drogues tout en le rapportant à une révolte sincère contre l’éducation puritaine anglaise et à une angoisse souveraine sur le sort du monde, en pleine guerre froide, les deux blocs se partageant le monde à grands renforts de guerre exportées. On pouvait voir le héros se morfondre sur lui-même puis se rêver en dictateur tout puissant, des professeurs condescendant broyer littéralement la future chair à canon et des faucilles et des marteaux se mouvoir pour conquérir le monde dans le sang. De cette orientation plutôt anti-soviétique, Roger Waters est revenu. Il s’agit pour lui, dorénavant, de dénoncer, à travers le même texte, toutes les formes d’oppressions, indépendamment de leur contenu idéologique.
Waters à d’ailleurs dédié son concert à Jean Charles de Menezes, jeune électricien brésilien, abattu à Londres par erreur, mais de sept balles dans la tête, le lendemain des attentats ratés du 21 juillet 2005. A peine fut-il enlevé à l’affection de ses proches que Scotland Yard et le gouvernement Blair tenta d’étouffer l’affaire. Par là, c’est clairement contre la violence d’État qu’il se positionne. Il a fait le choix d’utiliser le nom et les photos d’un grand nombre de victimes soit du terrorisme soit des guerres indignes, souvent américaines, en rappelant que personne ne devait mourir pour protéger des sites pétroliers ou pour ses idées. Ce que dénonce Waters a travers ses concerts, c’est l’absurdité de la guerre, fut-elle pour exporter la démocratie. Sur le mur en construction sur la scène, s’affiche brésiliens, palestiniens, mexicains, américains, israéliens, syriens, afghans, irakiens, iraniens, tous victimes de la cupidité des gouvernements bourgeois et va-t-en guerre. Autrefois mur de Berlin, le mur de la honte siège désormais en Palestine et d’autre sont en construction à la frontière mexicaine ou hongroise. A l’image du héros schizophrène de The Wall, ils sont les vecteurs d’une situation d’apparente tranquillité géopolitique alors que le monde a rarement connu autant de désordre, de zone de conflit et d’exode de populations civiles. A la faucille et au marteau hanté par le spectre du nazisme du film d’Alan Parker a succédé le coquillage-étendard de Shell, champion de la marée noir et de la milice paramilitaire, le M de la malbouffe, le symbole dollar des loups de Wall Street. Il s’agit pour l’homme de lutter contre ses instincts meurtriers pour abattre les murs du rejet, de l’incompréhension et du racisme. Waters accompagne donc son concert d’un voyage sur les tombes de son père et de son grand-père mort pendant la première et la seconde guerre mondiale. Il n’est pas question ici de célébrer des héros militaires mais de pleurer des hommes qui auraient pu être brillant. Avec sa seule trompette, Waters y entame, seul, le concert pour transformer la tristesse en cri de rage.
Véritablement hallucinant de prouesses techniques, politiquement exaltant, la dernière mouture de The Wall est un indispensable à voir en salle de cinéma ou de concert. Comme le pauvre hère dont Waters nous compte la terrible descente en enfer, vous ne pourrez que passer du rire nerveux aux larmes de joies dans une exaltation fiévreuse.
Boeringer Rémy
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