- Monsieur, il est mort le terroriste ?
- Pardon, mais cela a-t-il un rapport avec le cours ?
- Non, mais c'est une vraie question, monsieur : le terroriste, il est mort ?
- Écoute, on en parlera en fin d'heure si tu le souhaites, là, je passe dans les rangs pour regarder les exercices que vous êtes en train de faire.
Non, nous ne sommes aucunement en janvier 2015, mais bien à la mi-septembre. Une élève, avec sa camarade, me pose une question à voix basse " Monsieur, il est mort le terroriste ? ".
Je me suis toujours méfié des questions du début d'année, il y a toujours une part de test et il faut essayer de voir si la question de l'élève est réelle ou si c'est une provocation. Dans mon cas, je savais que cette élève me posait une vraie question. Une question bien loin du cours de mathématiques, mais c'est aussi cela d'enseigner, qui plus est en REP+. Nos élèves se posent une multitude de questions et le discours actuel, tenu par nos politiques, rend de plus en plus difficile notre métier. Je ne reviendrai donc en aucun cas sur les propos d'une ancienne ministre de la République citant, dans une émission nocturne, ce qu'est un vrai français.
Ce matin de septembre, j'avais donc (face à moi) une élève, qui se demandait, près de 9 mois après les attentats de Charlie Hebdo, si le terroriste de l'hyper-cacher était mort ou non. Elle me confiait être inquiète, si tel n'était pas le cas.
" Monsieur, mais ça me fait peur de savoir s'il est encore vivant "
C'est dans ces moments-là où, pour ma part, je ne compte pas les minutes supplémentaires en classe ou mon manque de récréation. Je reste dans ma salle et j'explique clairement à ces deux élèves ce qu'il en était. J'essaie de répondre à toutes leurs interrogations. Le soir, en rentrant chez moi, je me suis alors replongé dans mes archives de l'année 2014/2015 et mon vécu d'enseignant. Ces récits sont toujours restés des brouillons, mais suite à cette journée de mi-septembre, je ne peux m'empêcher de vous publier, même 9 mois après les attentats, le récit que j'avais écrit.
C'était un mercredi. Un mercredi comme les autres, où j'allais retrouver les petits rugbymen de 5e pour 1h30 de cours. Comme toujours, je branchais ma radio en rentrant chez moi et j'écoutais " La Bande Originale " de Nagui sur France Inter. Mais pas comme d'habitude, mon iPhone sonnait un peu trop. Sur l'autoroute, je commençais à regarder les notifications. Je me disais qu'un malade mental avait voulu passer à la télévision en se faisant remarquer dans la rue.
Pas comme d'habitude, j'ai senti que les notifications arrivaient de plus en plus vite et pas comme d'habitude, en rentrant chez moi, j'allumais mon poste sur iTélé.
Pas comme d'habitude, je sentais que quelque chose de grave se passait. Je sentais que la mine pâle de Bruce Toussaint n'augurait rien de bon. Je continuais de lire ton téléphone et les notifications en suédois, allemands et anglais me prouvaient que ce mercredi allait être une journée bien longue. Vers 13h, je n'avais toujours pas décroché de mon poste et de mon iPhone. Je passais alors sur Canal+ pour voir Mathieu Madénian s'effondrer en direct devant les caméras et devant des millions de téléspectateurs. Avec lui, nous avons tous pleuré pendant de longues minutes. Nous sommes tous des humains, pleurer dans ce genre de moment est inévitable. Et que nous soyons enseignant ou pas, nous avons le droit de pleurer.
Le lendemain, je savais qu'il allait être difficile de faire cours, car je devrais répondre aux questions de mes élèves.
Car oui, être enseignant, comme je l'ai toujours appris à mes élèves, ce n'est pas qu'enseigner sa matière, c'est aussi les accompagner durant leur adolescence, les aider, les écouter etc. Un enseignant (qui plus est, un professeur principal comme je l'étais) doit avoir un rôle plus important que la transmission de sa matière. On doit aussi transmettre son expérience de la vie.
Et le jeudi fut une rude journée. J'avais décidé de ne pas en parler directement avec mes élèves et de laisser passer 24 heures. 24 heures pour reprendre mes esprits et essayer de ne pas exploser en sanglots devant mes élèves. Car les questions, qu'on allait me poser, n'étaient pas celles que les parents avaient peut-être pu entendre la veille. Alors, je me mis à lancer la phrase magique " Qu'avez-vous à dire ? Quelles sont vos questions ? Je suis là pour y répondre ". Et force est de constater que je ne fus en aucun cas déçu.
- Monsieur, c'est quoi un deuil ?
- Monsieur, on a le droit de refaire une minute de silence chez nous ?
- Monsieur, il va y avoir la guerre ?Cette jeunesse, tellement bafouée, décriée par les médias, car il est bon en ces temps de crise de rabaisser tout le monde, cette jeunesse est formidable d'intelligence. Ils n'attendent des adultes que d'être orientés, d'être aidés, d'avoir des réponses à leurs interrogations.
Il y a 9 mois, j'ai pleuré. Beaucoup.
Il y a 9 mois, j'ai été fier (pour la première fois depuis fort longtemps) d'être dans l'Éducation nationale.
Il y a 9 mois, j'ai été fier des élèves de l'École française.Mais, surtout, il y a 9 mois, j'ai retenu mes larmes comme jamais, quand une élève, en fin de séance, me posait cette question :
" Monsieur, ça fait quoi de savoir qu'on va mourir ? "