Les enfants nés sous X. Tout le monde en a un souvenir plus ou moins net. Un souvenir d'école, particulièrement. Il n'y a qu'en classe que les «noms de famille» sont clamés, haut et fort, bien articulés, afin que tout le monde l'entende.
A l'école, on ne sait pas encore ce que naître sous X veut dire mais on sait que ce n'est pas bien «normal» de s'appeler «SNP».
Ici commence, sans doute, la plus incommensurable douleur. Des enfants qui ne se sentent pas comme les autres auront toujours du mal à s'en sortir, disent les psychologues. La singularité fait très mal à cet âge-là. Lundi, dans cette petite salle de l'hôtel Hilton, quelqu'un est venu en parler.
Le docteur Zerguine est à la fois discret et déterminé. Discret parce qu'il sait la question sensible, déterminé parce qu'il est conscient de l'ampleur de son combat et du niveau d'engagement qu'il requiert. Il doit tout savoir, lui, parce qu'avant de s'engager pour ces enfants, il a été «cet» enfant.
Il le dit sans déchirure dans la voix, certainement pour convaincre qu'on peut «dépasser ça». Il ne le dit pas mais il en est certainement l'exemple emblématique. Pourtant, en dépit de son niveau d'engagement que son seul parcours personnel peut déjà largement motiver, ce n'est pas évident que ce médecin constantinois ait cerné toute la question. Sur la question de la kafala, par exemple, il semblait un peu trop prisonnier de l'orthodoxie religieuse pour mettre toutes les chances du côté des enfants.
Mais il y aussi trop de générosité dans son action et son propos pour s'y enfermer lui-même. Surtout qu'en matière de consultation religieuse, il a toujours été chercher l'avis le plus ouvert et le regard le plus épanoui. Lundi, dans cette petite salle de l'hôtel Hilton, il a été question d'enfants nés sous X.
Il faut trouver les moyens de leur donner une vie et un nom comme tous les autres enfants, les protéger du tabou et du dogme, ce sont des enfants. Pour les ambassadeurs, les scientifiques et tous les présents, on a peut-être sauté un autre verrou et ouvert une porte. Lundi matin dans une petite salle de l'hôtel Hilton, il était question des enfants nés sous X mais également des enfants tout court.
Belle et généreuse, Salima Souakri est venue nous dire «la situation des enfants en Algérie». Parce que cette rencontre est aussi une halte, vingt-trois ans après l'adoption par les Nations unies de la Convention internationale des droits des enfants, ratifiée par l'Algérie en 1992, elle est venue nous dire ce qui a été accompli en la matière, ce qui reste à faire et les mesures à prendre.
Elle dira surtout que si des progrès en matière de scolarité et de santé ont été considérables, par contre, de nouveaux fléaux menacent les enfants, comme la maltraitance, la drogue, la prostitution et le travail. Lundi, dans cette petite salle de l'hôtel Hilton, il y avait des scientifiques sans prétention, venus parler des enfants ou écouter ceux qui en ont parlé. Et pas seulement en parler.
Tout ce monde a fait quelque chose et veut en faire d'autres. Il y avait autant de générosité dans le regard que de discrétion dans le mouvement. Il manquait peut-être les enfants, mais ils étaient les absents-présents. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit des femmes et des hommes aussi désintéressés, se déployer pour le bonheur des enfants, pour la vie. Ce lundi matin, ils nous ont dit ce qu'il fallait faire et comment le faire. Mais ils nous ont aussi dit quelques chiffres, pas très réjouissants.
Un quart des enfants algériens sont victimes de maltraitance, 350 000 enfants travaillent de façon permanente après avoir abandonné l'école.
Plus de 25% ont touché à la drogue et 3% en consomment régulièrement. 20 000 enfants de la rue sont en rupture totale avec leur milieu familial. Seuls 2% des enfants scolarisés pratiquent une activité sportive organisée. Plus de 15 000 enfants sont présentés devant les tribunaux chaque année. Lundi matin, dans cette petite salle de l'hôtel Hilton, il n'y avait pas que les belles intentions, il y avait aussi la réalité.