(note de lecture) Sanda Voïca, "Exils de mon exil", par Florian Tomasini

Par Florence Trocmé

Parler de « l’inframince ». 
Parler de « l’inframince » est un des objectifs que se fixe le poète, ici Sanda Voïca dans « Exils de mon exil *». Or comment parler d’une « chose » qui n’est pas tout à fait identifiée mais qui, en tant que « chose » première, concrète, débouche sur des étendues lumineuses ? Cette « chose » n’est pas « inframince », mais elle y conduit par une explosion sous forme de rayons. La « chose » poétique, dans l’inconscient collectif des poètes, est souvent un soleil. Et pour preuve, on parle ici de « transparence » (vertu accordée par la lumière), du caractère furtif (celui du rayon), de « l’herbe (qui) jaunit » (la brûlure du soleil), de la « vie (qui) est une fête » (culte d’un quelconque dieu solaire)… Pourquoi alors, l’exil ? Être exilé de la « chose », du soleil, de l’impossible ? N’être qu’un rayonnement, un égaré solitaire qui ne peut rien transmettre, condamné à voir sans toucher, à se répéter ? Le caractère de l’exil serait ici celui d’être homme ou femme, solaire, et de ne pouvoir reconquérir la chose à laquelle on n’a jamais appartenue que de loin. Et ainsi, entrer dans le versant nocturne, comme pendant à ce soleil, « cette boule mouvante, visqueuse », qui nous tient toujours, dont on ne peut se libérer, et dont nous sommes condamnés à avaler les rayons, à sentir la présence. 
 
L’exil et le foyer. 
L’exil et le foyer sont les deux éléments qui jalonnent le recueil. L’exilée est marquée par un foyer lointain, qu’elle découvre et qu’elle perd aussitôt, laissant place à un « désert » où les « pierres d’églises ambulantes» sont témoins et confondues à « nos corps ». Les corps comme la pierre sont périssables, et le désert qui est le lien perdu entre l’homme et le soleil, les recueille et les laisse dans un espace à la fois intime et vacant, dépossédé mais gorgé de la plus vive lumière. Le désert, où « l’aveugle d’aujourd’hui » traîne un bonheur qui se questionne, et n’obtient pas de réponse définitive. Car aucune réponse ne peut être accordée à une exilée parasitée par une araignée tissant sa toile (« Mes larmes sont des étoiles / Et mes mots les traces des pattes / De l’araignée qui guette mon cerveau. »). Pourtant l’exilée garde à jamais l’empreinte de sa première condition (« Jamais le jour ne fut plus beau. / Même les rails montent au ciel. »). 
 
Une solitude lumineuse. 
Être une sorte de pénitent(e) du désert amène a une solitude perpétuelle (« pierre d’une église sans fin : l’exil »). Pénitent(e) de quoi ? Encore de cette chose indéfinie (« Vivre : dépendre de quelque chose / qui est hors de soi »). Mais le désert est aussi la source d’un indicible bonheur, tantôt lancinant, tantôt apaisé, ou les deux à la fois (« Suis-je ou pas / dans le désert vertical ? / Bonheur estropiant ? ». Le désert est certes la source d’une solitude, du fait de l’impossible communication avec les autres et de la raréfaction des autres, mais une solitude peuplée (« Les feuillets de mon corps / horizontaux / laissent l’air / les traverser / envahir l’espace / comme les feuillets / des autres. ». Les autres : à la fois des semblables, fruits du même désert, de la même condition, et des étrangers à soi-même (« Je suis (…) Celle qui endosse l’aveuglement des autres »). La narratrice de ce livre erre ainsi entre ciel et terre, paradis et enfer, sans pouvoir être sûre de sa condition, mais sûre du sentiment mouvant qui s’exerce sur elle. 
 
Florian Tomasini 

* C’est sur le terme « Exils » que je m’attarderai, « mon exil » faisant référence à l’exil de l’auteure de la Roumanie vers la France. Le terme « exils » a dès lors une portée plus singulière, face a un exil donné qui n’occupe pas le sujet du livre.  
 
Sanda Voïca, Exils de mon exil, Passage d’Encres, 2015