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La fille qui rejouait La Petite Maison Dans la Prairie en sombrero avec des maracas

Par La Chose

ruraux

Avec Loutre, on a déménagé.

On a quitté la grande ville, sa pollution qui donne des maladies, ses embouteillages qui t’obligent à attendre longtemps avant d’aller aux toilettes, ses commerçants qui sont tous des grands lecteurs de « Capitalisme et Liberté » de Milton Friedman, ses écoles qui sont toutes de filiales de l’Opus Dei et ses chauffeurs de bus qui sont tous encartés au Front de Gauche.

On a choisi la vraie campagne, pour avoir une vie plus saine et un crédit immobilier qui ferait moins penser à la dette publique de la Gambie, et pour pouvoir communier avec les arbres, les fleurs, les abeilles et les éleveurs de porcs.

On a d’abord vendu notre petite maison citadine à une dame très gentille qui travaille au Trésor Public, qui ressemble à Nadine Morano et qui s’appelle Marie-Brigitte.

Marie-Brigitte, elle aime beaucoup rigoler mais elle ne le montre pas, c’est pour ça que pendant qu’elle visitait la maison, elle disait pas trop grand-chose quand je lui sortais des blagues sur les contrôleurs des impôts et sur les derniers courriers qu’ils m’avaient envoyé (j’avais pas su quoi penser quand ils m’avaient demandé si le sexe de mon conjoint nouvellement marié était de nationalité française, alors j’avais répondu que j’allais vérifier quand on serait à poil sous la douche, et ils m’avaient renvoyé un recommandé avec plein de mots du dictionnaire qui voulaient tous dire que ça allait faire des histoires, ma réponse).

Une fois que Marie-Brigitte elle a signé pour acheter notre maison, on en a cherché une nouvelle, dans la vraie campagne.

L’agence immobilière, elle nous a envoyé un type très gentil qui était habillé comme un vendeur de voitures (Loutre m’a expliqué que c’était parce que les agents immobiliers et les vendeurs de voitures, c’est un peu les mêmes personnes et qu’ils finissent tous proxénètes en Europe de l’Est ou bien députés).

Le type s’appelait Bastien et il a passé beaucoup de temps à nous emmener visiter plein de maisons de la vraie campagne, des maisons « authentiques et pleines de charme ». Le charme de la vraie campagne, quand tu parles de maisons, ça veut dire des jolis cabinets en bois au fond du jardin, un groupe électrogène quand tu veux allumer la télé pour regarder « La Maison France 5 », un plafond avec des poutres très belles (mais pas très solides) et plein de mignons petits animaux pour partager ta vie, comme des insectes xylophages, des souris et des araignées de la taille d’une balle de golf.

Au fur et à mesure qu’on visitait les maisons, Bastien il voyait bien qu’on avait pas l’air très emballé, vu qu’on faisait la même tête que Sansa Stark quand elle découvre que Geoffrey aime bien trucider des petits enfants et sodomiser des animaux.

– Et le petit cottage au bout de l’impasse qu’on a vu hier? Non?
– Ben c’est-à-dire que c’est vraiment un PETIT cottage…on veut bien faire un retour à la terre, mais faudrait quand même qu’on puisse aller des toilettes à la cuisine en faisant plus de deux pas, et puis sans se cogner la tête dans un placard…
– Et puis le débit est caca, comment je télécharge des films de zombies si le débit est caca?
– Ta gueule, la Chose.
– Et le corps de ferme isolé? C’est pas chouette, de ne pas avoir de voisins?
– Ah si, c’est même super…mais bon, ne pas avoir de voisins dans un rayon de 35 kilomètres, c’est peut-être un peu exagéré…
– Et puis y’a pas la fibre, je peux pas aller faire des commentaires inutiles sur les réseaux sociaux quand y’a pas la fibre.
– Ta gueule, la Chose.
– Et la longère entièrement rénovée? J’insiste sur le fait qu’elle est entièrement rénovée, pas de travaux à prévoir, c’est un gros « plus » quand on cherche en campagne, ça!
– Ben oui mais vous aviez oublié de nous dire que la rénovation datait de 1972, du coup c’est vrai que le papier peint marron avec les grosses fleurs orange, ça nous a fait un peu peur.
– Et puis la connexion internet est merdique, du coup on peut même pas regarder Moundir à la télé…
– TA GUEULE, la Chose.

Donc il y avait toujours un problème avec les maisons que Bastien nous faisait visiter. Y’en a une que moi j’ai voulu tout de suite acheter, mais Loutre a mis son veto en me faisant les gros yeux:

– Mais elle est D’ENFER, cette baraque !
– C’est non.
– Mais elle ressemble TROP à celle de Norman Bates dans « Psychose » !
– Justement. C’est non.
– Mais on dirait celle de la famille Addams !
– C’est pour ça que c’est non.

Alors j’ai pleuré, j’ai dit que de toute façon on ne m’écoutait jamais, que j’en avais assez qu’on me traite comme une enfant, qu’il n’y avait pas de raison de me rabaisser comme ça, que ça me rendait très malheureuse et que j’allais me tuer, et que tout le monde allait être bien embêté, que moi aussi j’étais une adulte responsable et mature, et puis Loutre m’a proposé d’aller manger une glace pistache-chocolat en faisant une partie de « Witcher », et j’ai arrêté de pleurer parce que c’était une bonne idée.

Finalement, on a trouvé la maison de nos rêves, et on l’a achetée.
Elle est super belle, comme celle de Charles Ingalls, avec plein de champs autour, et des arbres, des fleurs, des cacas d’oiseaux et de la vraie campagne partout.

Les premières semaines, évidemment, il a fallu qu’on s’habitue, parce qu’on avait plus les bruits de la grande ville, et tout ce calme, c’était presque inquiétant.
Mais heureusement, on a découvert que notre voisin monsieur Le Guilec avait 500 porcs très gentils et très sociables, et que notre voisine madame Trividic avait 15 000 poulets pas du tout farouches, et que les chiens des Hascoet aboyaient très fort dès que le vent soulevait une feuille dans leur jardin. Du coup, on s’est tout de suite senti mieux, ça faisait un peu comme quand on habitait à Paris au bord du Périph’, sauf que quand même c’était beaucoup mieux, tous ces couinements et ces hurlements et ces caquètements et aussi ces bonnes odeurs de lisier et de guano, parce que ça venait pas de sales voitures occidentales polluantes mais de choses de la vraie campagne, et ça, ça n’a pas de prix.

La prochaine fois, je te raconterai comment on fait pour soigner une chèvre constipée, et comment on reconnait une poule qui couve (il faut savoir ça si tu veux pas te retrouver avec 25 poussins, mais nous on savait pas, et donc maintenant ça fait des histoires), et comment on choisit son modèle de tracteur-tondeuse (mais il faut pas faire comme nous quand tu t’en sers, sinon tu casses ton essieu et tu fais un grand sillon dans ta pelouse), et comment on fait pour tronçonner sept stères de bois de chauffage sans se trancher le pied (maintenant je sais mais avant je savais pas, c’est pour ça que je te raconterai comment sont les services d’urgences dans la vraie campagne), et enfin comment on survit à une semaine de températures négatives sans électricité.


Classé dans:Développement personnel et recherche du bonheur (c'est ça...)

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