Pour l’ouverture du 3ème Festival de cinéma russe de Nice, ce mardi 22 septembre 2015, nous a été présenté le dernier né d’un vieux routard du cinéma soviétique, Alexander Sokourov. Francofonia nous conte les méandres du musée du Louvre durant l’occupation de Paris par la Wehrmacht. En effet en juin 1940, après avoir saboter la préparation de la guerre, le gouvernement français et les classes dirigeantes abdiquent devant l’avancée de l’armée allemande. Paris est décrétée « ville ouverte » et la Wehrmacht entre triomphalement dans une capitale quasi déserte. Avec elle se succède les dirigeants du régime nazi venant observer et se délecter de leur nouvelle prise de guerre.
Avec eux arrive au Louvre le Comte Franz Wolff-Metternich (interprété par Benjamin Utzerath, acteur allemand plus souvent vu à la télévision), directeur du Kunstschutz en France entre 1940 et 1942. Cet organisme était chargé en Allemagne, et dans les territoires occupés par le Reich, d’inventorier et de mettre à l’abri les œuvres d’art. Le film se concentre sur les relations entre ce haut dignitaire nazi et Jacques Jaujard (joué par Louis-Do de Lencquesaing vu dans Bon rétablissement !), haut fonctionnaire français, maintenu sous Vichy mais proche de la Résistance ce qui lui vaudra la Légion d’Honneur. Celui-ci erre dans un musée vide, peuplé des fantômes du passé. Marianne (Johanna Korthals Altes) reste fidèle à la devise de notre pays bien trop malmenée « Liberté – Egalité – Fraternité » qu’elle répète sans cesse alors que Napoléon (Vincent Nemeth), lui, passe son temps à faire remarquer que « c’est [lui] » qui est à l’origine de tout cela par ses nombreuses conquêtes. Pourquoi aurait-il fait la guerre si ce n’est pour l’art ?
Pendant ce temps, Metternich lui s’efforce de mettre à l’abri l’ensemble des tableaux. Seules les sculptures sont maintenues dans le musée, ne pouvant être transportées. Le peu qu’il reste est pour le grand bonheur des soldats allemands stationnés à Paris, seuls pouvant admirer ces vestiges de l’antiquité. Il fait en sorte aussi de repousser au maximum les rapaces de son parti Gobbels, Göring et même Hitler qui cherchent à s’approprier pour leur compte personnel les plus belles œuvres des pays occupés. Ce manque de zèle et son amour de l’art lui vaudra d’être muté en 1942.
Jaujard (Louis-Do de Lencquesaing) et Metternich (Benjamin Utzerath) dubitatifs lors de leur rencontre avec le narrateur.A travers ce film, Sokourov nous livre son questionnement philosophique et politique, ce qui en fait une œuvre personnelle très contemplative, malheureusement difficilement accessible, comme en témoigne une salle plus que frileuse à la fin du film et même les commentaires du narrateur (« ne partez pas, c’est bientôt fini »). A travers ses discussions sans cesse interrompues avec son ami, marin sur un tanker pris dans la tempête, il s’interroge sur l’Europe, sur l’Occident, sur la place de l’Art, sur la guerre. Comment les peuples ayant mis l’Homme au centre de leurs représentations artistiques peuvent-ils aussi être les leaders de la destruction, du racisme, de l’extermination ? Une question à laquelle il est difficile de répondre, même pour nous autres occidentaux.
Sokourov, grand nom du cinéma russe, plusieurs fois primé, entouré de ses quatre acteurs au festival de Venise.Ceci fait miroir à la discussion d’ouverture où les représentants russes venus spécialement pour l’occasion (N. M. Borodatchev, directeur général du Gosfilmofond, l’équivalent de l’INA ainsi que le secrétaire du consulat général de Russie à Marseille) ont insisté sur le rôle rassembleur du cinéma, un vecteur de cultures et de visions d’un monde multiple, riche de ses différences. Ils insistent sur la fraternité et l’amitié des peuples, surtout celle entre les peuples de Russie et de France qui ont bien souvent marché mains dans la mains face à l’adversité. Tous regrettent la soumission de notre gouvernement à d’autres puissances, situation ressemblant étrangement aux années précédent la Seconde Guerre Mondiale (voir les travaux de l’historienne Annie Lacroix-Riz dont nous avons déjà parlé dans Aux origines du carcan européen) ligne rouge de ce festival, anniversaire de la Victoire oblige. Nous retiendrons de cette discussion que, malgré les divergences politiques et idéologiques de nos dirigeants, la fraternité est l’amitié des peuples doit rester le seul maître mot. Francophonia sortira dans les salles françaises en le 11 novembre 2015.
Thomas Waret
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