Un encombrant macchabée

Par Nanne

"quotidien de chacun. Et la vie est dure pour tout le petit monde. Dont Pipette. Monté de son Midi natal à Montmartre, haut lieu de la bohème parisienne et de la pauvreté ambiante. Persuadé de son talent méconnu de poète maudit, Pipette déclame ses vers dans un Caf'Conc' du coin, la La guerre. Je n'étais qu'un mouflet, mais j'en avais tant vu de ces pauvres bougres, esquintés, amputés. Des milliers de bricolés, harnachés d'attelles, de crochets, de pilons. Des gueules cassées qui vous glaçaient le sang et de pauvres tubards qui crachaient leurs poumons rongés à l'hypérite. Huit ans après, on essayait toujours d'oublier, à coups de confettis et de yop là boum ! Rien à faire." Vache Enragée. Tout un programme. Mais les vers ne remplissent pas l'estomac de son homme. Aussi, Pipette vit d'expédients, de petits boulots à gauche et à droite. Quand il n'est pas rimailleur à la Vache Enragée, il est laveur de bouteilles chez Felix Potin ou écrit pour une feuille de chou, Le Cri de Paris. Plus proche de la feuille à scandales que du journal d'informations. " Je n'étais pas spécialement fier d'y collaborer mais faut bien becqueter. Mon job consistait à tirer quelques strophes bien senties de ce que
En 1926, les stigmates de la Grande Guerre sont encore bien présents dans le

pillent pas les riches, mais redistribuent équitablement les richesses à leur profit personnel. Un vrai trio de Pieds Nickelés cette bande, composée de Raymond, Cottet et Leboeuf. Dans cette fumeuse équipe, c'est Leboeuf qui transbahute les coffres-forts des propriétaires allégés de leurs fortunes personnelles par nos quatre monte-en-l'air. " ramenaient les chiens de chasse de Meunier, pour la plupart incapables d'écrire quoi que ce soit". Faut dire que dans le civil, il était lutteur de foire. En maillot moulant, il paradait à l'entrée des baraques foraines, de Neuneu à la Nation".
Pipette s'est aussi lié avec une bande d'illégalistes qui ne Aussi, un soir de banale cambriole qui aurait dû se solder par un partage en règle des bénéfices dudit butin, nos quatre détrousseurs sont-ils médusés par leur découverte. Un macchabée dans le coffre-fort du comte détroussé par nos loufiats. Cela ressemble à si méprendre à un vulgaire assassinat dans les beaux quartiers de Paris. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est que ce cadavre aussi raide que la justice vient de signer le début des ennuis pour nos quatre anarchistes. Mais qui cela peut-il bien être ? C'est finalement Pipette qui

réussira à mettre un nom sur ce mort bien encombrant. C'est Rouleau, vaguement aperçu au Cri de Paris. " Le gars refroidi, lui, était polyvalent. Filochard, guette-au-trou et scribouillard. Au journal, il ne faisait le plus souvent que passer livrer ses pamphlets cent pour cent pur fiel".
Que pouvait bien faire ce Rouleau dans le coffre-fort du comte de Klercq, connu dans les milieux d'affaires et financiers, propriétaire de chevaux de course, marié à une riche héritière, si ce n'est pour une grossière affaire de chantage ? Mais surtout, que faire du cadavre de Rouleau - et du coffre-fort lui servant de cercueil - alors que personne ne les réclame, le comte encore moins que quiconque ? D'un commun accord, ils décident de continuer le travail commencé par Rouleau est de faire chanter le comte de Klercq.
Ce doux rêve d'argent facilement gagner est très vite interrompu. En effet, le comte de Klercq se tuera - accidentellement - en nettoyant son arme de poing. Pas de problème ; nos racketteurs vont se rabattre sur la veuve éplorée du comte, compte tenu du triste état de celui-ci. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils viennent de mettre les doigts dans une sordide affaire de gros sous qui les dépassent largement.

L'expérience leur apprendra à se méfier - à tort ou à raison - de son prochain.
" Les brouillards de la Butte" de Patrick Pécherot est une promenade dans ce Paris de l'entre-deux-guerres, celui des ouvriers, des gagne-petits, des anars, des Caf'Conc', des tripots clandestins, des traumatisés de 1918. On y retrouve cette atmosphère d'enthousiasme derrière des causes justes et perdues d'avance, particulièrement celle de Sacco et Vanzetti ; des rencontres inoubliables avec les surréalistes et André Breton - doux dingue et grand seigneur. On découvre les arcanes de l'Armistice de 1918 et les dessous d'affaires financières véreuses ; ceux qui se sont enrichis des conséquences de cette boucherie ; ceux qui s'enrichiront lors de la prochaine (souvent les mêmes !!!).
C'est un roman policier et populaire, où les méchants ne sont pas si odieux que cela et possèdent même une morale, une éthique et un grand coeur ; où les gentils, les purs, les propres, les beaux, ne le sont pas tant que cela - voire même pas du tout. C'est un roman à lire pour le plaisir de retrouver l'argot des titis parisiens, des apaches, la gouaille des ouvriers. C'est drôle, c'est plein d'humour et de gravité ; c'est engagé. Sans violence gratuite. Ce qui est rare.