Le studio Norm Architects présente actuellement son travail à l'espace Nordkraft, concept store parisien consacré à la vie danoise. Mais qu'est ce qu'est exactement le mobilier danois aujourd'hui ? La création d'un cocon pour nous couper d'une réalité saturée d'informations ? Un espace pour nous rapprocher de la nature ? Mais d'une nature domestiquée aux formes géométriques et couleurs pastels ? Nous avons posé nos questions à Jonas Bjerre-Poulsen, membre du studio danois Norm Architects lors du vernissage de Enclose, leur exposition personnelle chez Nordkraft.
- Pouvez-vous nous parler de Norm Architects ?Jonas Bjerre-Poulsen : Je fais partie de Norm Architects : je suis une des trois personnes qui y travaillent. J'ai deux partenaires : Kasper [ Rønn von Lotzbeck] qui est à la tête du département d'art et de son développement, et Linda [ Korndal] qui est à la tête du département architecture. Je fais en quelque sorte le pont entre les deux. Nous travaillons dans plusieurs domaines de création, qui vont du design graphique à la photographie ou encore à la direction artistique pour plusieurs compagnies.
Nous faisons de l'architecture d'intérieur, showrooms, restaurants, etc. Nous faisons aussi beaucoup de design de mobiliers et d'objets pour la table, pour les salles de bain, mais aussi des bijoux. Je pense que nous travaillons avec tout ce qui a à voir avec l'esthétique et la fonctionnalité, et de différentes manières. La seule chose que nous ne faisons pas, ce sont des projets à très grande échelle. Pas de musées, ou d'hôpitaux, par exemple.
- Les éléments naturels sont très importants dans votre travail à l'instar de Bottle grinders ou Wire Disc : pourquoi le sont-ils autant, et pourquoi voulez-vous les intégrer et les garder dans les intérieurs ?J. B-P : Je pense que nous sommes très inspirés par un certain modernisme européen, par exemple, pour faire simple, le Bauhaus en Allemagne incarnait l'adage " la forme suit la fonction ". La machine pouvait créer certaines choses, qui se révélaient être les formes les plus logiques qui pouvaient en sortir. Il était question de comprendre les besoins des consommateurs, et ce que les designers, ceux qui créaient ces produits pouvaient faire, et je pense que le design scandinave typique est une version de ce modernisme, auquel on a ajouté la nature, de différentes façons. Donc, à chaque fois que vous voyez une architecture ou du design scandinave, c'est extrêmement simple, c'est fait pour être utile, pour correspondre aux besoins réels du consommateur, mais il y a toujours une caractéristique qui lui apporte un plus, comme une forme organique, un matériau naturel, ce qui l'adoucit.
Nous avons donc développé une sorte de philosophie du design, appelée " soft minimalism ", qui est l'idée de créer quelque chose de minimal, de créer quelque chose de juste et qui se suffit à lui-même, où rien n'est à rajouter où à supprimer pour l'améliorer. C'est extrêmement difficile de trouver cet exact équilibre, mais comme nous travaillons dans différents domaines, nous essayons, en quelque sorte, de rompre avec la masculinité ou la féminité des formes et des matériaux dans notre travail. Dès le début, nos projets sont toujours très géométriques, nous travaillons un peu comme des architectes, nous programmons tout, nous ne travaillons pas avec nos mains. Mais nous essayons ensuite d'arrondir les angles, en leur donnant une apparence plus féminine, et nous utilisons d'autres matériaux qui rajoutent un côté tactile à l'ensemble. Et je pense que tout ce qui est naturel attire tous les humains, indépendamment de leurs cultures.
Creative retouching: creamwork 2012 - Photographer: Rune Lundø For: NORM . ARCHITECTS - MENU
- Vous avez appelé l'exposition Enclose, qu'avez-vous voulu dire ? Que la Nature nous entoure, qu'elle nous clôture ou alors que nous la domestiquons ?Si vous regardez le design scandinave ou le design japonais, ils sont faits avec des matériaux naturels, ils sont toujours simples et utiles, et fonctionnent quelque soit l'endroit où vous soyez. Alors que si vous regardez le design expérimental, c'est très coloré, très flashy, très plastique, et il correspond plus d'une certaine manière à des goûts acquis culturellement, qui sont appris, mais qui ne viennent pas naturellement à nous, en tant qu'être humain, et c'est une différence qui est importante, je pense, dans le design.
J. B-P : Non, Enclose porte plus sur l'architecture, comment l'architecture, les structures en général nous entourent, entourent nos corps, et comment nous nous exprimons dans cet espace. Toute cette exposition, ces objets, c'est plutôt une rétrospective de notre design sur les six, sept dernières années, et comment l'architecture fonctionne. Plutôt que de simplement montrer des images, des dessins, et faire quelque chose de très statique, nous voulions faire de l'architecture à l'intérieur, dans l'espace d'exposition. Ces quatre structures étudient comment l'espace entoure nos corps, ce dont je vous parlais, elles vous donnent de l'intimité quand vous y entrez, elles vous encerclent.
- L'une des quatre structures est très basse avec une ouverture au ras du sol. Nous devons donc nous mettre à terre pour voir les objets à l'intérieur et bien sur cela change leur échelle : pouvez-vous nous en dire plus ?Vous pouvez y voir comment la lumière rentre dans l'espace, et on pourrait parler de dimension tactile de l'espace. Vous pouvez toucher les structures en bois quand vous êtes à l'intérieur et c'est là que la nature intervient. Mais c'est bien plus à propos de l'architecture, comment elle entoure nos corps, c'est quelque chose de visuel, mais c'est aussi quelque chose que l'on devrait pouvoir expérimenter avec les autres sens, pas seulement les yeux, mais avec les mains, les odeurs, les sons...
J. B-P : Cette petite structure est une sorte de machine pour souligner l'importance de l'échelle de l'espace, à quel point c'est important, pas seulement la structure mais aussi votre point de vue. Par exemple, quand vous êtes au dernier étage d'un building et que vous regardez en bas, vous avez une échelle et un point de vue, mais si vous êtes au niveau du sol, vous avez un point de vue différent. Quand vous vous approchez de celle-ci, vous regardez en bas les petites horloges, elles paraissent très petites, mais si vous vous allongez, et que vous regardez à l'intérieur, au niveau du sol, votre point de vue change, elles semblent soudain plus grandes. C'est juste une démonstration, comment vous pouvez jouer avec l'architecture, et distordre la perception de l'espace et de l'échelle dans l'architecture.
L'autre structure est plus à propos de l'espace privé, quand vous y passez la tête, vous vous sentez isolé à l'intérieur, parce-que vous ne voyez personne, mais tout le monde peuvent vous voir car votre corps est complètement exposé, c'est quelque chose qui est beaucoup utilisé dans l'architecture japonaise. Dans les maisons traditionnelles japonaises, qui sont très basses, vous êtes assis à même le sol et vous pouvez voir les personnes à l'extérieur, mais elles ne peuvent pas regarder à l'intérieur. Même si vous êtes exposé, vous avez quand même un espace privé car personne ne peut voir à l'intérieur. Une des dernières structures porte sur l'intimité. Vous pouvez y être à deux, et elle rappelle les jeux d'enfants, qui se cachent dans des grottes ou des cabanes. C'est très intime, confortable, quand les gens sont tristes, ils veulent un espace où ils peuvent se réfugier, comme le ventre de leurs mères, c'est un endroit qui inspire la confiance.
- A propos de votre design, vous créez des objets très lisses, très doux, avec du noir, blanc, gris et couleurs pastel. Cela évoque le rêve, un espace idéalisé où tout est très pure, propre : c'est un peu utopique comme mode de vie non ?Il y a un architecte japonais, Tadao Ando, qui a dit que toutes les maisons devraient avoir un espace long, étroit et haut, un espace sombre et clos, afin que chaque être humain puisse se sentir chez soi. C'est ce que rappelle cette structure. Ces réalisations traitent aussi des points de vue, comment les coins, les fenêtres peuvent servir de cadres et délimiter notre champ de vision. Quand vous marchez autour, vous ne voyez pas les oiseaux qui sont posés sur les barres au plafond, mais dès que vous y entrez et que vous levez les yeux, vous avez un " cadre de vue " vers le plafond. C'est ce que font les fenêtres, elles vous donnent un cadre où dans lequel vous regardez.
J. B-P : Je vois ce que vous voulez dire, c'est peut-être une volonté de pureté et de simplicité. Je pense que nous vivons dans un monde et une culture de l'image. Il y a tellement d'images, tellement de détails, votre oeil est toujours sollicité. Quand vous marchez dans la rue, vous voyez des images, des publicités, il y a du bruit partout, où que vous soyez, avec votre iPhone, votre iPad, votre ordinateur...
- Je vois... Mais par exemple si je rentre chez moi, épuisée par ma journée de travail et que j'ai besoin de m'abandonner sur mon canapé, comment est-ce que je fais ? Je pense à votre banc/canapé Close ici par exemple.Ce que nous faisons beaucoup dans notre architecture est de se concentrer sur le vide. Pas dans un mauvais sens, mais plus comme un espace dans lequel vous pouvez rentrer à la maison et où il n'y aurait pas d'éléments perturbateurs. Un espace qui vous apaise. C'est la même chose avec nos objets. Nous essayons de faire quelque chose qui est naturel, notamment au travers des matériaux. Nous travaillons également avec des formes très simples. Donc je devine que vous allez me dire que c'est comme poursuivre un rêve, un idéal mais sans jamais y parvenir. C'est un contraste très agréable face à la complexité de la vie quotidienne : vous avez des objets et des espaces autour de vous qui sont très contrôlés, simples et pures.
- Mais avez-vous déjà créer un canapé confortable?J. B-P : Nos objets sont conçus pour différents usages. Le banc Close est un mobilier pour les entreprises. Il peut également être utile dans des hôtels, musées ou d'autres lieux où nous nous asseyons temporairement. Ce n'est pas une assise confortable.
- Linda, Kasper et toi venez de la Royal Danish Academy of Fine Arts, à Copenhague, pourrais-tu nous dire ce qu'elle vous a apporté ?J. B-P : Nous travaillons actuellement sur deux canapés. Un pour Design Within Reach aux États- Unis et un pour Menu. Ils sont tous deux confortables. Après vous me montriez le tabouret en me parlant de confort : c'est quelque chose qui est également temporaire. Il n'est pas conçu pour le confort et chaque objet a sa propre utilisation ou fonction. Parfois, il doit être très confortable et d'autres fois il a juste besoin d'être très simple et facile.
J. B-P : C'est une assez petite école qui a toujours axée son enseignement sur l'art du design et de l'architecture. Ce n'est pas une école qui vous donne beaucoup d'informations pratiques comme les autres. Nous avons eu quelques stagiaires d'une école française dans notre studio qui avaient beaucoup de connaissances techniques : comment faire les choses et comment dessiner en 3D etc. Je pense que la caractéristique de notre école est qu'elle est vraiment liée à l'académie d'art.
Nous apprenons plus sur l'art de l'architecture et du design que sur leurs éléments pratiques, contrairement à l'Italie. Je ne sais pas trop à propos de la France, mais l'enseignement me semble plus lié à la technique, la partie de l'ingénierie de l'architecture et du design, et je pense que c'est la grande différence avec l'école de Copenhague.
Ensuite, bien sûr, nous avons une très longue tradition d'être très étroitement lié aux artisans. Nos produits proviennent de grandes usines mais dans le développement, nous travaillons très bien avec les artisans. Certains de nos espaces évoquent la nature scandinave avec son ciel gris bleuâtre. La transparence transmet également la profondeur de la nature. Il n'y a pas une seule pièce exactement pareille. Tous nos espaces sont très différents. Nous avons également travaillé avec des céramistes très qualifiés pour trouver exactement une formule pour être en mesure de le faire.
-Tu nous a parlé de l'architecture japonaise tout à l'heure, qu'en est-il des similitudes entre le design scandinave et japonais?Les 5 lampes sur le mur (Drift) sont faites avec une société appelée Sørensen Leather, qui fournit du cuir pour de l'ancien mobilier danois plus classique comme Arne Jacobsen. Nous avons beaucoup travaillé avec eux sur le développement du cuir et la manière de faire les lampes en cuivre, la lumière intérieure et ainsi de suite. Je pense que c'est toujours le même processus. Nous avons une idée. Nous dessinons tout, planifions, tout comme les architectes, puis nous travaillons avec des artisans afin d'obtenir les bons matériaux puis ensuite nous produisons.
J. B-P : Il y a beaucoup de ressemblances entre le design japonais et le design scandinave. C'est intéressant notamment dans l'esthétique. L'apparence des choses reflète l'état d'une société. Si vous regardez le design traditionnel japonais, il a été lié à un moment de la pauvreté au Japon. Ils avaient fermé toutes leurs frontières et avait une population très pauvre. Au Danemark, la conception est venue d'une population paysanne qui était aussi très pauvre. Aux Etats-Unis, les Shakers étaient très pauvres, libres de désirs, des raisons religieuses, de tout. Ils ont fait des objets en bois très simples.
- Tu nous a également parlé du jeu d'échelle dans tes structures, pourquoi ne pas jouer également avec au travers de tes objets ?C'est la même chose pour le mouvement Arts and Crafts en Grande- Bretagne : il y a un lien entre l'esthétique et la façon dont ils conçoivent tous ces projets. Si, d'autre part, vous regardez les cultures de la richesse dans l'Histoire, par exemple l'Empire grec ou romain classique, la Renaissance ou le Baroque et le Rococo en France, toutes étaient très riches et l'esthétique était très ornée, dorée, flashy et monumentale. Je pense qu'il y a un lien étroit entre l'économie d'un côté et l'expression esthétique d'une culture de l'autre côté. À cet égard, je pense que le Japon et le Danemark ont beaucoup de similitudes.
J. B-P : Il y a deux échelles différentes. La première est architecturale avec ces sortes de pièces expérimentales entre l'architecture et le mobilier. Elles sont juste assez grandes pour créer un espace où vous pouvez rentrer dedans mais sont aussi assez petites pour être des fragments de meubles que vous pourriez utiliser comme une table par exemple. Si vous regardez les autres objets, tous se rapportent à notre corps : c'est le corps humain qui définit l'échelle des choses. Une chaise sera donc toujours haute de 45 cm du sol. De même pour un objet que vous prendrez dans votre main. De toutes les façons qu'il soit, vous devez être capable de le tenir d'une seule main.
- C'est sur et Le Corbusier voulait déjà harmoniser la mesure en architecture avec le Modulor...Bien sûr, la forme de l'objet peut également changer beaucoup de choses. Je pense que nous travaillons beaucoup avec ces surfaces en céramique parce qu'elles sont agréables à tenir, il est donc à nouveau compte tenu de l'échelle de la main, et comment vous le sentez et ainsi de suite. Beaucoup de designers sont aujourd'hui très occupés par la façon dont les choses se présentent et non pas tant sur la façon dont elles s'appréhendent ou sonnent lorsque vous les mettez sur la table. Voilà un élément très important je pense. L'échelle du corps s'applique à tout en design comme en architecture.
- Pour terminer, nous avons vu que c'était votre première exposition ici, en France ?J. B-P : Tout à fait et plus anciennement on peut penser également à Léonard de Vinci et l'Homme de Vitruve.
Merci beaucoup à Jonas Bjerre-Poulsen d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. Attiré par le style de vie danois ? Ramenez un peu de Danemark à la maison ! Camilla, fondatrice de Nordkraft, a mis en place Nordkraft Interiors. Un architecte d'intérieur vient chez vous pour échanger sur vos besoins et envies d'aménagement et décoration.J. B-P : Oui c'est notre première exposition personnelle en France. Nous avons déjà été exposés à Maison & Objet pendant plusieurs années. En Janvier nous serons exposés à la Maison du Danemark, sur les Champs-Elysées : une exposition montrant beaucoup de mobilier. L'exposition est déjà en cours au Danemark et sera déplacée à Paris en janvier.
Plus d'informations sur le studio : Norm Architects
Plus d'informations sur le lieu : Nordkraft