« Comment peut-on mourir avant les vacances, juste avant ? Quand j’y pense… Toute l’année travailler sans vacances d’été au bout, c’est du vol. Le mois d’août, il m’en manque un, on me le doit. Le mois d’aout raté sur le fil, pour presque rien. Le mois d’août 1974, sans moi. Rose et vous trois. Mes fils. Seize ans, dix et sept, c’est ça le mois d’aout 1974. Le mois d’aout que l’on voudrait repousser, que l’on n’attend plus avec impatience mais auquel il faut désormais penser comme un devoir, à une contrainte, comme à une épreuve. »
Un père parle à son fils, et c’est le monde ouvrier qui prend la parole, un monde invisible et muet qui a pourtant tant de chose à dire et à transmettre. Alors le père parle, explique, analyse et sa parole est d’or. Le fils écoute attentif.
Ah oui, il faut dire que le père est mort d’un accident du travail en juillet 1974 ( le début de la fin du monde ouvrier en occident) et ce père mort continue de parler et sa vie est édifiante : l’usine à seize ans , l’apprentissage, le syndicat, l’église, le parti communiste, les camarades, l’odeur âcre du métal en fusion, le corps qui souffre, la 2cv puis la bourgeoise Ami 8, l’envie de voir réussir ses trois fils, la famille, l’absence, le manque. Le père parle de tout cela, même après sa mort, il se raconte à son plus jeune qui, lui, a réussi au-delà de ses espérances.
Repose en paix Louis, ton fils vient de nous raconter la vie d’un père formidable et digne qui s’est battu pour tenter d’effacer la honte indicible d’appartenir à un monde invisible. Récit poignant, qui donne la parole à des ouvriers courageux mais contraints à des rendements infernaux.
Récit émouvant qui parle de cette France qui a cru aux lendemains qui chantent des trente glorieuses et qui a pris de pleins fouet les trente piteuses. De journal, le récit devient dialogue : mots d’un père à son fils et, c’est sûr, les mots guérissent.
Tendre et poignant, c’est la gorge serrée que vous refermerez « Après le silence » un des grands livres de la rentrée.
chronique de Michel D