Après "Fragonard amoureux" au musée du Luxembourg, le musée d’Orsay met en lumière la représentation artistique de la prostitution au tournant du XIXème siècle, cet autre moment extraordinaire de la croissance économique et de l’argent facile. Est-ce un hasard ?
Philippe Dagen, critique du journal Le Monde, hélas, se répète. En octobre 2012, il qualifiait déjà l’Impressionnisme de « machine à cash-flow » pour le musée d’Orsay à propos de l’exposition consacrée aux relations entre l’impressionnisme et la mode. Dans l’édition du 25 septembre 2015, il titre ainsi « Opération racolage à la gare d’Orsay ». Une critique particulièrement acerbe de cette exposition particulièrement riche, avec une volonté évidente de rabaissement (pourquoi employer le terme de « gare » ?) et non dénuée de sous-entendu politique. Mais tout ce qui est excessif ne compte pas !
La prostitution fut un phénomène de société très présent durant la seconde partie du XIXème siècle, décrit par une masse de littérateurs, un fléau social d’importance considérable, une manière de ravaler la femme au niveau le plus vil, hier comme aujourd’hui. Nous avons tous lu Zola, Balzac, Maupassant, Flaubert, Baudelaire … Et rassembler l’iconographie relative à cette activité permet de mieux se rendre compte de l’influence de la prostitution sur l’art en général et la peinture en particulier.
Il y a les grands maîtres comme Courbet, Manet, Degas, Toulouse-Lautrec, Forain, Van Gogh, Münch, Van Dongen, Rouault et Picasso et ceux que l’on classe le plus souvent comme des peintres mineurs, comme Tissot, Gervex, Amaury-Duval, Rops, Carolus-Dran, Kupka et, mon préféré : Jean Béraud. Leur vision de ces femmes – sordides ou triomphantes – est particulièrement cohérente. Visages blafards, regards absents, chairs flasques, postures provoquantes, visions du huis clos des maisons de passe … soumission et solitude, dans la solidarité des salons.
Il y a aussi les réussites flamboyantes de jeunes filles sorties de la plus basse extraction et qui réussissent à amasser une colossale fortune ou accrochent même un titre de noblesse, ces « grandes horizontales » que furent Valtesse de la Bigne, Catherine Otéro, la Comtesse de Loynes, la Païva dont on admire les meubles « professionnels », dont le superbe lit en forme de coquillage. Certes, ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de détresse. La voie la plus ordinaire, c’est souvent de placer la petite fille dans une école de danse, comme petit rat … qui lui donnera l’opportunité de séduire un monsieur en habit, un abonné ayant accès au foyer de la danse, et à se faire entretenir, sortir de la misère.
A quel prix : celui de la maladie et de la déchéance, le plus souvent. Il y a des images difficiles à supporter. Pas seulement les photographies pornographiques destinées à chauffer le client, mais aussi celles de spécimens médicaux … L’exposition n’élude pas cet aspect sombre. Cependant, le discours n’est pas moralisateur, mais sociologique autant qu’artistique. Et aussi en interpellant le visiteur sur la situation de la prostitution d’aujourd’hui, la commercialisation des corps. Avons-nous évolué depuis ce que nous avons coutume d’appeler « la Belle époque » ?
Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910. Exposition au Musée d’Orsay jusqu’au 17 janvier. Fermé le lundi.