Dix ans après la découverte par Cassini des geysers d’Encelade, lesquels trahissent une activité à l’intérieur de ce petit satellite de 500 km de diamètre, des chercheurs estiment qu’il n’y aurait pas une petite mer régionale mais un océan global, entre le noyau rocheux et sa surface.
À l’aube des années 1980, au cours des visites historiques de Voyager 1 et 2 (novembre 1980 et août 1981) à Saturne, Encelade ne fut survolée que brièvement et à grande distance, ce qui ne délivra pas beaucoup d’informations sur sa surface gelée. Les découvertes et, avec elles, les surprises n’arrivèrent qu’en janvier 2005, lorsque quelques mois après l’arrivée de l’ambitieuse sonde Cassini dans l’environnement de la planète géante (tant admirée pour ses anneaux), des geysers furent observés en contre-jour, sur le limbe de ce satellite naturel. Tous jaillissent depuis de longues crevasses situées à proximité du pôle sud, baptisées « rayures du tigre ». Après de nombreux survols à des altitudes variables (entre plusieurs centaines et seulement quelques dizaines de km), les chercheurs apprirent que les glaces aux points d’émissions étaient jusqu’à 110 °C plus chaud que partout ailleurs et aussi que la vapeur d’eau expulsée est mêlée à de la matière organique et salée.
Cela fait dix ans que des équipes de chercheurs planchent sur le phénomène. Qu’est-ce qui est à l’origine de ces évents ? Pour beaucoup, cette région du pôle sud relativement jeune (très peu de cratères d’impacts y sont visibles) et qui arbore des crevasses dont la profondeur peut atteindre 300 m, cacherait sous sa banquise de 30 à 40 km d’épaisseur, une vaste poche d’eau liquide. Une étude, publiée en 2014, fondée sur des mesures sensibles des changements infimes de gravité du satellite a étayé cette possibilité, supposant que cet océan ou mer régionale aurait 10 km de profondeur. Cette année, d’autres recherches ont avancé qu’il pourrait aussi exister une activité hydrothermale sur le plancher océanique. Cette mer intérieure serait en effet en contact avec le noyau rocheux (Encelade est composé à 60 % de roches).
Ce réservoir pourrait être beaucoup plus vaste. Une étude qui vient d’être publiée dans la revue Icarus propose, sur la base d’arguments solides, que sous son épaisse coquille de glace, Encelade abrite en réalité un océan global. Pour arriver à cette conclusion, Peter Thomas, membre de l’équipe d’imagerie de Cassini, qui a dirigé ces recherches, concède que cela n’a pas été simple et a demandé « des années d’observations et de calculs impliquant une collection variée de disciplines mais, ajoute-t-il dans le communiqué de la Nasa, nous sommes confiants sur ce que nous avons trouvé ».
Avec son équipe, ils ont parcouru des centaines d’images de la surface du sphéroïde, acquises ces sept dernières années afin de traquer sur les cartes reconstruites le plus précisément possible, les moindres changements de position — au fil de ses rotations —, de ses fractures, cratères, etc. Les chercheurs ont mesuré une libration (qui serait observable depuis Saturne, à l’instar de celle de la Lune vue de la Terre) provoquée et par la forme presque sphérique du petit satellite (504 km de diamètre, plus petit que la France) et par son orbite elliptique (synchronisée avec celle de Dioné) autour de Saturne. Les différents modèles élaborés de sa structure interne ont été confrontés aux observations. Le seul qui s’accorde avec suggère donc qu’Encelade possède une couche d’eau liquide entre son noyau et la surface glacée. Dans le cas où « la surface et le noyau étaient reliés de façon rigide, ce dernier constituerait un tel poids mort que l’oscillation serait beaucoup plus faible que ce que nous observons » explique Matthew Tiscareno, de l’institut Seti, qui cosigné l’article.
Outre la question de l’habitabilité d’un tel milieu qui, à certains égards, évoque nos abysses, les géophysiciens continuent de s’interroger sur ce qui peut maintenir durablement (probablement depuis plusieurs milliards d’années) l’activité interne de cette petite lune. Quelle est la source de toute cette énergie ? Le jeu des forces de marée avec la géante Saturne est évidemment une partie de la réponse. Toutefois, cela semble insuffisant. Idem dans le cas de la désintégration radioactive de certains isotopes dans le noyau rocheux : celui-ci n’en renferme pas assez pour expliquer le phénomène permanent des geysers. L’enquête se poursuit et les chercheurs bénéficient d’un atout avec la présence sur place de Cassini.
Illustration de la structure interne supposée d’Encelade. Un océan global serait pris en sandwich entre l’épais manteau de glace et le noyau rocheux. La surface et le noyau ne seraient pas liés de façon rigide comme en témoigne la libration de cette petite lune de Saturne ! — Crédit photo : NASA, JPL-Caltech
Bientôt un survol à 49 km d’altitude
Les découvertes qui accompagnent l’exploration d’Encelade sont un des grands triomphes de Cassini, sonde spatiale développée par la Nasa et l’Esa, qui a quitté la Terre pour Saturne en 1997. Prolongée jusqu’en 2017, la mission fera bientôt hélas ses adieux à Encelade. Trois dernières visites sont programmées. La prochaine se déroulera le 28 octobre, à quelque 49 km de la surface, au-dessus de la région de ses geysers actifs.
On ne peut qu’être émerveillé et fasciné et par la beauté et par la diversité des mondes autour de Saturne. Et cela se retrouve partout dans notre Système solaire et au-delà : il n’est qu’à considérer les reliefs complexes de Pluton et Cérès, récemment révélés ou encore Europe, Io, Ganymède autour de Jupiter, etc.