Critique du Roi Lear, de William Shakespeare, vu le 18 septembre 2015 au Théâtre de la Madeleine
Avec Michel Aumont, Marianne Basler, Bruno Abraham-Kremer, Agathe Bonitzer, Anne Bouvier, Olivier Breitman, Frédéric Chevaux, Denis D’Arcangelo, Arnaud Denis, Jean-Paul Farré, Nicolas Gaspar, Éric Guého, Martin Guillaud, José-Antonio Pereira, Éric Verdin, dans une mise en scène de Jean-Luc Revol
Shakespeare a été arrangé à de nombreuses sauces ces dernières années : on se souvient notamment du massacre d’Hamlet à la Comédie-Française il y a 2 ans, ou du grand Macbeth de Mnouchkine la saison dernière. Mais comment ne pas se laisser aller à la comparaison avec le Roi Lear de Schiaretti, présenté au Théâtre de la Ville en juin dernier ? Impossible de ne pas confronter les deux mises en scène. D’un côté, un roi déchiré et déchirant ; de l’autre, une folie qui a du mal à nous atteindre. Contrairement à Schiaretti, qui avait tenté d’approcher Shakespeare au plus près, au risque de laisser quelques spectateurs de côté au cours de son spectacle, Revol tente d’embarquer le plus de monde possible dans le sien, quitte à délaisser parfois Shakespeare. Une négligence qui coûte tout de même un peu au spectacle, qui reste en surface lors des scènes plus poignantes.
Lear est déjà vieux au début de la pièce, lorsqu’il partage son royaume entre ses trois filles. Trois ? Non, seulement deux puisque de Goneril, Régane et Cordélia, seules les deux premières sauront parler à leur père de façon à le convaincre de leur léguer une part de leur terre. Cordélia, qui avoue ne l’aimer que comme un père, ne saura pas s’attirer ses faveurs. Rejetée par Lear, elle ne réapparaîtra pas avant la fin de la pièce, lorsque le vrai visage de ses soeurs sera révélé au grand jour. En attendant, le vieux Lear, dépassé par les événements, sombre dans une forme de délire, surveillé de près par son fidèle Kent ainsi que son bouffon. Parallèlement à cette première intrigue, d’autres problèmes de filiation ont lieu : le duc de Gloucester a deux fils ; un légitime, Edgar, et un batard, Edmond. Ce dernier, qui convoite l’héritage auquel son statut ne donne pas droit, complote contre son père et son frère, amenant Gloucester à désavouer son propre fils. Edgar, poursuivi sans comprendre réellement la situation, s’enfuit et se fait passer pour un mendiant. Mais comme on est au théâtre, la vérité finit par éclater : Lear se rend compte que seule Cordélia était honnête en lui déclarant son amour, et Gloucester retrouve en Edgar le fils honnête qu’il aimait. Mais fatigués de tant d’émotions, les deux vieux hommes s’éteignent finalement, le coeur brisé.
Difficile de résumer Shakespeare ; mais dans cette tentative, on comprend, à travers les différents retournements de situation, que l’émotion doit être au rendez-vous de ce spectacle. On doit sentir l’amour qui lie Cordélia à son père, Gloucester à ses fils, Kent à Lear. On doit sentir la folie entrer progressivement en Lear, le posséder, et le conduire à sa perte. L’inquiétude, la tension, le déchirement, sont autant de sentiments qui doivent nous traverser durant le spectacle. Mais cet ébranlement intérieur n’est pas toujours au rendez-vous. En voulant rendre Le Roi Lear accessible au plus grand nombre, en transformant la pièce en une espèce de thriller, certains des aspects les plus profonds, les plus émouvants, se perdent. Par ailleurs, tenter de situer la pièce dans un milieu cinématographique, au milieu des années folles, représente pour moi une fausse idée. Rien dans le texte ne vient le justifier, et aucun des accessoires présents sur scène pour souligner cette situation n’est réellement utile. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : dans cette ligne directrice de spectacle plus abordable, c’est un bon divertissement.
Il faut dire que les acteurs sont bien choisis. Michel Aumont campe un bon Roi Lear, qui trouve refuge et une certaine allégresse dans sa folie. Contrairement à Serge Merlin qui semblait de plus en plus écorché au fil de la pièce, Aumont ne semble pas réellement évoluer dans cette folie. Il y trouve douceur et calme, peut-être apaisement, et c’est ce qui nous laisse en surface : on ne rentre pas dans sa douleur. A ses côtés, Jean-Paul Farré, qui avoue vouloir incarner Lear un jour, est un Gloucester déchiré entre l’amour qu’il porte à ses fils et la triste réalité qu’Edmond lui insuffle. Il porte sur ses épaules la plus grande part des émotions transmises au spectateur durant le spectacle, et notamment par sa scène avec Edgar, touchant José-Antonio Pereira. Comment ne pas mentionner également Bruno Abraham-Kremer, Kent attentif et vigoureux, dont la tendresse pour Lear se lit dans ses moindres regards. Une mention également pour Arnaud Denis, qui, même en prenant pour personnage un mélange de tous les méchants qu’on a déjà pu le voir jouer, donne à Edmond une dose de machiavélisme bienvenue.
Certes, ce n’est pas un Shakespeare magistralement mis en scène. Malgré tout, le texte est là, on l’entend assez bien, et ce spectacle reste un bon divertissement. ♥ ♥