Nine Inch Nail et le modèle économique de la Licence Creative Commons

Publié le 07 juin 2008 par Gnomeinwonderland

Je m'étonne que la nouvelle n'a pas été plus commentée que ça. Nine Inch Nail (ok, ce n'est pas ma tasse de thé musicalement parlant), qui n'est pas un illustre inconnu dans le monde de la musique, fait paraître un album complet, librement téléchargeable, sous une licence Creative Commons. Donc, librement téléchargeable, et écoutable selon quelques restrictions dont la plupart des fans ne seront pas concernés.

C'est la première fois qu'un artiste à la notoriété bien assise décide de diffuser un album en utilisant ce mode de licence. Quelles sont les immplication ? Révolution silencieuse ou révolution totale ?

J'ai appris la nouvelle sur une news de 01net. Vous pouvez en lire le contenu, qui réume la démarche de manière "brute". L'article de 01net s'arrête là où il est intéressant de s'attarder...

Le choix de la licence Creative Commons

Ce qu'a fait Nine Inch Nail est très différent de ce qu'a fait il y a quelques mois Radiohead en mettant en téléchargement un album sur Internet mais en proposant à l'internaute de payer (y compris une somme nulle) pour l'obtention de son album.

L'album The Slip est lui diffusé selon une licence copyleft, une licence Creative Commons BY-NC-SA. La notion de gratuité n'est pas suffisante pour caractériser cette licence, puisque elle détermine également le type d'utilisation et de diffusion de l'album. Bien que la licence Creative Commons BY-NC-SA soit la plus restrictive de toutes les licences (modulaires) Creative Commons : l'oeuvre est librement diffusable aux conditions suivantes :

  • avec obligation d'en attribuer la paternité à son auteur original (BY, "par");
  • pas d'utilisation commerciale (NC, "no commercial");
  • la redistribution de l'oeuvre est possible MAIS avec obligation de conserver les 2 restrictions ci-dessus + celle-ci.

Les premières choses que l'on vient à se dire, c'est :

"tient, ils sortent du système en c'est tant mieux pour eux",

"ils préservent leur indépendance",

ou encore "ils gardent la maîtrise artistique de leur oeuvre".

La bonne question à se poser, c'est de savoir ce qu'implique ce mode de distribution.

Les changements de ce mode de distribution

Sans entrer dans tous les détails, avec cette licence, on pense immédiatement que Nine Inch Nail s'affranchit des coût occasionnés par une maison de disque. Oui, entre autres. Mais ça va beaucoup plus loin.
Une des contrats de la Licence Creative Commons BY-NC-SA est justement le NC : l'utilisation à des fins exclusivement non-commerciales. Cela implique que pour l'écoute de l'album, elle est possible à titre personnel, par définition. Mais l'écoute est impossible dans un bar, dans une boîte de nuit, sur les radio FM et les chaînes de télévision qui attendent une contrepartie financière du passage de morceaux musicaux. Par la vente de boissons, d'entrées plus nombreuses, d'espace publicitaires, etc.
Alors certes, Nine Inch Nail s'affranchit des coûts d'une maison de production, de ceux d'une maison de disque, mais du coup s'affranchit également d'un aspect marketing, qui reste quoi qu'on en dise un aspect absolument majeur dans le succès qu'aura (ou que n'aura pas) un album musical. Aussi bon ou aussi mauvais soit-il.
Pour la promo, c'est justement le choix de la Licence Creative Commons qui autorise la diffusion de l'album par d'autres canaux. Le canal privilégié état évidemment celui des fans.

La problématique : quel modèle économique ?

La bonne question à se poser est alors de savoir comment Nine Inch Nail va pouvoir se rémunérer en utilisant :
  1. un coût de diffusion égal à zéro;
  2. un canal de diffusion restreint, qui par définition touche un public moins large que par l'utilisation des canaux de diffusion traditionnels (radio, TV, etc.).
Certes, diffuser de la musique ne coûte rien, mais :
  • avant : il faut bien composer, jouer, enregistrer en studio. Mobiliser deux équipes : celles du studio (des bénévoles ?), et celle du groupe. Gratuitement ? Vraiment ?
  • après : il n'y a pas de vente de l'album (il a un coût égal à zéro), qui pourtant aura eu un coût de production.
En diffusant son album The Slip sous licence Creative Commons, Nine Inch Nail fait le choix de gérer lui-même tous les aspects liés à la production de son album et à la rémunération du groupe liée à cet album. Et tout cela sans vendre les copies de ses albums.
Voila ce qu'implique aussi la liberté...
Un modèle économique du libre

Conclusion : une vraie révolution ?

Quoi qu'on en dise, je n'analyserai que les faits :

  • Nine Inch Nail était connu avant d'utiliser la licence Creative Commons pour la diffusion de l'un de ses albums;
  • c'est à ma connaissance la première fois dans l'histoire de la musique qu'un auteur ou un groupe de la carure de Nine Inch Nail utilise ce mode de diffusion pour lancer un album;
  • plus encore, c'est aussi la première fois qu'un mode de rémunération fondé sur une oeuvre artistique sous licence copyleft est choisie de la partdun auteur ou un groupe d'une dimension comme celle de Nine Inch Nail.

La question qu'il faut se poser, c'est évidemment celle de la viabilité du modèle économique du libre qui a été choisi. L'expérimentation de Nine Inch Nail, car en tant que grande première c'en est une, sera à suivre de près, car elle ne manque pas d'intérêt et si elle se révèle viable à un niveau acceptable pour le groupe, on est à la veille de quelque chose d'énorme dans le monde de la musique...

A cette question, je vous renvoie sur un précédent billet qui présente en détail la problématique du modèle économique fondé sur la vente à coût zéro.

Attention : comme j'aime à le répeter souvent sur ce blog, sans le talent : l'Internet ou la licence Creative Commons ne change rien. Tout au mieux, la daube diffusée sera plus souvent écoutée, mais daube elle restera et ne permettra pas d'envisager la moindre forme de rémunération.

Nine Inch Nail était initialement un groupe très connu avant de faire le choix de ce modèle économique, alors que mon artiste libre préféré, Arthur Yoria, galère pour émerger du lot. Lui, le talent, il l'a (voir mes billets à son sujet : Arthur Yoria, roi de la pop-rock libre, son album Handshake smiles, et une initiative récente et géniale de sa part).

Lui, contrairement à, Nine Inch Nail, n'était pas encore connu quand il s'est engagé dans la production libre de la musique. Il ne rencontre le succès qu'auprès d'un groupe de fans dont je fais partie, et se pose la question, sur MySpace (regardez son message blog intitulé let’s give this a shot 6/6...) de savoir s'il va continuer pour la simple raison qu'il n'en vie pas assez correctement.

Ce genre de réflexion me paralyse littéralement d'horreur. Quand j'entend ce qu'on entend, ce qu'on essaie de me faire soit-disant aimer musicalement... non. Je ne peux pas laisser faire ça.

Vous trouverez dans mes prochains billets du buzz pour Arthur Yoria, parce qu'il le mérite largement.

 Je croise les doigts pour le côté effectivement, factuellement et totalement révolutionnaire de ce modèle économique en musique.

Quelques liens pour conclure ce billet :

  • L'album de Nine Inch Nail (qui est libre avant d'être gratuit) : http://dl.nin.com/theslip/
  • ma présentation à télécharger sur les licences libres et un modèle économique du libre (présentation mise à disposition sous Licence Creative Commons BY-SA)