Journal d’un faux enseignant – Episode 1 : Des retrouvailles

Publié le 23 septembre 2015 par Swann

Ma vie est une musique, parfois joyeuse, parfois triste, mais majoritairement mélancolique. Je suis un grand mélancolique dans l’âme et je ne peux me passer des albums de Cat Power, Pierre Lapointe, Klô Pelgag, Bon Iver, Benjamin Biolay ou encore Lana Del Rey.

Cela fait une semaine que j’ai repris les chemins des cours et comme je vous l’ai déjà dit, j’opère cette année sur trois établissements (deux collèges REP+ et un lycée estampillé REP). Les moments de repos se font rares et la fatigue s’accumule déjà.

Rares sont mes nuits dépassant les cinq heures de sommeil. Le matin, les yeux encore rouges, la tristesse québécoise de Pierre Lapointe dans les oreilles,  je prends les transports en commun et écoute la jeunesse collégienne et lycéenne s’en prendre à leurs enseignants.

Je me demande s’ils savent que je suis aussi enseignant. Savent-ils que, de bon matin, ils s’en prennent finalement à moi, ou plutôt à ma fonction ? Pour tout vous dire, lors de mes premières années d’enseignement, j’avais toujours eu la chance de me réfugier (matin et soir) dans ma bulle de voiture; bulle me permettant de faire le vide.

Mais depuis une semaine, plus je prends les transports en commun, plus je me rends compte que mon École, notre École, celle que nous avions voulue pour tous, n’est qu’un leurre. L’école n’est pas pour tous. Elle est pour les plus privilégiés. En fait, il y a fort longtemps que je ne crois plus à l’ascenseur social, mais ces trajets en transports en commun me confortent dans cette idée-là.

 

Chaque matin, j’entends et je vois la différence entre des enfants qui s’émerveillent devant un bébé dans une poussette, qui parlent de ce qu’ils vont faire à l’école, de leur joie d’y aller. Et puis d’autres qui, dès le matin, ont la tête baissée, se plaignent de tel ou tel prof, de tel ou tel cours.

Quand arrive mon arrêt, je me dépêche de sortir pour reprendre un petit bol d’air frais et marcher une dizaine de minutes avant d’atteindre mon collège. Et c’est lors de ces petits matins mélancoliques et tristes, ces petits matins à la Pierre Lapointe, que l’on peut parfois retrouver le sourire et de l’énergie.

Hier, j’ai revu un de mes anciens élèves. Il est désormais au Lycée Professionnel juxtaposant mon collège. Je l’aperçois à l’entrée de l’établissement, tout sourire, en train de discuter avec un de ses camarades. Il me reconnaît et me demande où j’enseigne cette année. Pour ma part, je lui demande de ses nouvelles et comment se passe son début d’année. Des questions banales, mais qui me sont importantes. J’aime avoir des nouvelles de mes anciens élèves. Il me raconte qu’il est ravi de son orientation et ramène directement ses propos aux mathématiques : « Vous savez, ce qu’on fait en maths, c’est trop simple, on a déjà tout fait avec vous ».

Après une petite discussion sympathique, je reprends mon rôle de professeur et lui rappelle qu’il est important d’être heureux dans ses études.

Et c’est en rentrant dans mon établissement, que je me suis rendu compte, qu’avoir des nouvelles d’un ancien élève était un vrai bonheur. J’avais déjà ressenti cette sensation quelques jours auparavant, en lisant un e-mail reçu sur ma boîte professionnelle. Une élève me donnait de ses nouvelles, me donnait ses résultats du brevet et me remerciait de la patience que j’avais eue pour enseigner les mathématiques, mais aussi les conseils que j’avais pu donner sur les à-côtés de l’école. Oui, je me répète, mais je ne me considère pas seulement comme un enseignant de mathématiques. J’ai envie de donner plus que mes savoirs scientifiques, j’ai envie d’aider mes élèves à gravir les échelons de la vie quotidienne.

Alors, après cette lecture de mail et en voyant cet ancien élève de bon matin, je m’étais mis à avoir quelques larmes aux yeux. Ce matin-là, j’avais évité la salle des profs, pour me diriger directement dans ma salle de cours et me lâcher quelques secondes.

Si vous avez l’impression que je craque souvent, c’est parce que j’aime mon métier et parfois j’ai l’impression que mon statut d’enseignant remplaçant ne me le rend pas toujours. Les attaques des « collègues » se font parfois ressentir; ils te considèrent comme un enseignant raté, qui n’a pas su avoir un poste fixe sur plusieurs années.

D’ailleurs, à ce propos, je me souviens de ma première année d’enseignement (elle me paraît déjà si lointaine, malgré ma jeunesse). Je faisais passer un oral du brevet à un élève de 3ème et ma collègue m’avait dit « Ne t’inquiètes pas si tu ne sais pas quoi poser comme questions, j’ai l’habitude d’avoir un boulet à mes chevilles lors des oraux ». Sans cette collègue, jamais je n’aurais eu autant de rage pour enseigner chaque jour. Jamais je n’aurais eu autant de colère envers le système et jamais je n’aurais pu avoir ma liberté d’enseigner comme je le souhaite. Jamais je n’aurais pu prendre autant de plaisir à ne dormir que 4/5 heures par nuit, à penser sans arrêt à ce que je pourrais faire le lendemain pour aider mes élèves. Jamais je n’aurais pu prendre autant de plaisir à pleurer le soir, quand je m’apercevais que, pendant ma journée, je n’avais pu faire qu’un seul calcul avec une classe de 4ème.

Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont mis des bâtons dans les roues. Et quand je vois la difficulté que j’ai eue à devenir un faux enseignant, je suis fier de voir la bonne humeur d’un ancien élève et fier de lire, à travers un e-mail, le sourire d’une ancienne élève. Certes, j’aimerais avoir des nouvelles de quelques élèves supplémentaires, comme cette élève à qui tu as su redonner le sourire en cours de mathématiques, ou cet élève à qui tu as su redonner confiance dans son raisonnement scientifique. J’aurais aimé ! Mais au fond, chaque enseignant sait qu’il n’est que de passage …

Alors, même si je fais ce métier pour pleurer et sourire, mes premières larmes de l’année auront été des larmes de joie et de fierté. Je sais que ces instants ne dureront pas.

La deuxième semaine arrive et la tristesse m’envahit déjà quand j’apprends que beaucoup de mes élèves vivent dans des conditions difficiles.