« Take me, I’m yours » : à prendre ou à laisser

Publié le 22 septembre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

La Monnaie de Paris ambitionne, en transformant avec d'importants travaux la structure intérieure de ses bâtiments, de promouvoir sa politique d'expositions en direction de l'art contemporain. Après avoir présenté la Chocolate Factory de Paul McCarthy à l’occasion de sa réouverture en octobre 2014 puis Le département des Aigles de Marcel Broodthaers, la nouvelle exposition Take Me (I’m Yours) confirme cette aspiration.

Hans-Peter Feldmann

L'argument qui préside à cette présentation collective est celui de " la disparition des œuvres due à leur dissémination totale. Au-delà des circuits économiques habituels, Take Me (I’m Yours) propose un modèle basé sur l’échange et le partage, et soulève ainsi la question de la valeur d’échange de l’art, chère à la Monnaie de Paris."
Le visiteur se voit donc offert le statut de participant à l'exposition dans laquelle il peut se servir et engranger dans un grand sac en papier les élément mis à sa disposition par les artistes : badges de Gilbert et Georges, petites tours Eiffel de Hans-Peter Feldmann,  pochoirs de Lawrence Weiner, DVD qui s'effacent lorsqu'on les lit de Philippe Parreno, un Ecu de Fabrice Hyber, des capsules d'air de Yoko Ono, des cartes de visites peintes en noir de Heman Chong, des photos prises sur place dans un photomaton avec certificat de participation de Franco Vaccari et c...
Le visiteur n'est donc pas seulement attendu pour assurer le succès public de l'exposition mais en premier lieu pour faire aboutir l'objectif des organisateurs : engager la dispersion des œuvres et, à terme, assurer sa disparition  totale. Ce dernier état de l'exposition est-il possible sans mettre en situation inconfortable les ultimes visiteurs du dernier jour ?  Lors de ma visite, le lieu montre de façon appuyée cette accumulation distributive : les tas de vêtements de Christian Boltanski, les centaines de tours Eiffel de Hans-Peter Feldmann à la fois disponibles en objets touristiques et en cartes postales, les innombrables bonbons  bleus à la menthe de Delix Gonzales-Torres jonchant le sol pour ne prendre que ces quelques exemples.

Franco Vaccari

Le principe d'échange ou de don dans l'art n'a pas été inventé ici. J'ai notamment le souvenir de l'artiste Polonais Tomek Kawiak  réalisant une performance de ce type sur un marché de Paris au début des années soixante dix. Mais ici le procédé est proposé collectivement avec des artistes connus au plan international.

Tout doit disparaître

A titre personnel cette exposition me laisse un sentiment mitigé : ce que j'y ai vu ne m'a pas bouleversé. Pour autant faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Constatant que le public joue le jeu avec un certain plaisir en se muant en acteur indispensable de ce protocole où il peut gratuitement se servir dans l'exposition, pratique assez peu courante (même si parfois les artistes aiment que l'on mette gracieusement à la disposition des visiteurs des piles d'affiches), le mode opératoire de l'exposition se voit légitimé par les visiteurs eux-mêmes .  "Gratuitement" est peut-être abusif car l'entrée à douze euros peut dissuader plus d'un amateur potentiel de se prêter à l'exercice.
On objectera également que l'artiste Christian Boltanski présent comme co-commissaire et artiste peut s'attribuer une place de choix. Qu'un des artistes soit commissaire de l'exposition ne m'apparaît comme un abus de position dominante mais une possibilité de ne pas abandonner l'organisation à des curators extérieurs. Cette question est abordée dans le livre "L'invention du curateur" de Jérôme Glicenstein, ouvrage sur lequel je reviendrai ultérieurement.
"Take me, I'm yours" vous laisse donc le choix de prendre ou de laisser dans cette grande surface culturelle où la monnaie, si elle n'est pas totalement absente du parcours  (distributeurs de Fabrice Hyber, Christine Hill, Yoko Ono), s'efface étrangement dans cette institution nationale dédiée à la monnaie au bénéfice du troc ou de l'échange.

Photos de l'auteur

"Take me, I'm yours"

(Maria Eichhorn, Hans-Peter Feldmann, Jef Geys, Gilbert & George, Douglas Gordon, Christine Hill, Carsten Höller, Fabrice Hyber, Lawrence Weiner, Franz West), auxquels s’ajoutent de nouvelles collaborations (Etel Adnan & Simone Fattal, Paweł Althamer, Kerstin Brätsch & Sarah Ortmeyer, James Lee Byars, Heman Chong, Jeremy Deller, Andrea Fraser, Gloria Friedmann, Felix Gaudlitz & Alexander Nussbaumer, Jonathan Horowitz, Koo Jeong-A, Alison Knowles, Bertrand Lavier, Charlie Malgat, Angelika Markul, Gustav Metzger, Otobong Nkanga, Roman Ondak, Yoko Ono, Philippe Parreno, point d’ironie (agnès b.), Sean Raspet, Ho Rui An, Takako Saito, Daniel Spoerri, Wolfgang Tillmans, Rirkrit Tiravanija, Amalia Ulman, Franco Vaccari, Danh Vo).

16 septembre 2015 - 08 novembre 2015

Commissaires d'exposition : Christian Boltanski, Hans Ulrich Obrist et Chiara Parisi

Monnaie de Paris
11, quai de Conti,
75006 PARIS