Gardant ses yeux rivés sur le noyau bilobé de la comète Tchouri depuis plus d’un an déjà, Rosetta est témoin en cette période faste de périhélie (le 13 août), de l’activité caractéristique de ces astres chevelus. Des changements importants ont été observés début juin dans la région d’Imhotep. L’expansion rapide des formations intrigue les chercheurs. A signaler aussi que pour la première fois depuis son arrivée, la sonde spatiale s’éloignera de 1.500 km de la surface active du noyau pour explorer la proue de la chevelure de la comète. L’expédition dura trois semaines.
Arrivée autour du noyau de 67P/Churyumov-Gerasimenko, en août 2014, Rosetta a le privilège de cartographier la surface de la comète avec une acuité inégalée. Le 13 août dernier, celle que l’on surnomme Tchouri atteignait le point le plus proche de son orbite elliptique autour du Soleil (périhélie). La bagatelle de 186 millions de km l’a séparé alors de notre étoile. Soit un peu plus que la distance moyenne entre la Terre et l’astre solaire, ce qui, en dépit d’un éloignement qui peut paraître important, n’est pas sans conséquence sur ce corps glacé de plus de 4 km de long. Aussi les scientifiques scrutent-ils les moindres transformations occasionnées par ce changement de saison. Et en effet, comme nous l’avons vu ces dernières semaines, les jets de gaz et de poussière se sont intensifiés dans plusieurs régions, étoffant ainsi son atmosphère. Les caméras de la sonde ont même pu surprendre quelques soudaines et puissantes expulsions de matière.
Mais avant que l’activité cométaire n’atteigne son paroxysme prédit pour le mois qui suit le périhélie (fin août, courant septembre), Olivier Groussin, du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, et son équipe ont observé des modifications importantes à sa surface, en particulier au sein d’Imhotep qu’ils ont étudié jusqu’au 11 juillet.
Dans leur article publié dans Astronomy & Astrophysics, les chercheurs ont signalé des changements rapides qui ont commencé à apparaitre début juin, dans cette région qui arbore quelques gros rochers comme Cheops (présentés voici plusieurs mois), située sur le plus grand des deux lobes du noyau (la partie ventrale du canard). « Nous avons suivi de près la région d’Imhotep depuis août 2014, et jusqu’à la fin mai 2015, nous n’avions détecté aucun changement jusqu’à des échelles d’un dixième de mètre raconte Olivier Groussin, qui est aussi membre de l’équipe d’Osiris. Puis, un matin, nous avons remarqué que quelque chose de nouveau était arrivé : la surface d’Imhotep avait commencé à changer de façon spectaculaire. »
Clichés de la région d’Imhotep, située sur le plus grand lobe du noyau cométaire, prés de l’équateur (consulter la carte interactive 3D de Tchouri : CometViewer), entre le 24 mai et le 11 juillet. Les flèches indiquent les différents changements observés — Crédit photo : ESA, Rosetta, MPS for OSIRIS Team MPS, UPD, LAM, IAA, SSO, INTA, UPM, DASP, IDA
En comparant une image du 24 mai avec une autre prise le 3 juin, sous un autre angle, on constate qu’effectivement, la trace sinueuse que nous avions coutume de voir sur les terrains relativement lisses d’Imhotep s’est étendue. Et cela a continué les jours suivants, laissant apparaitre peu à peu une formation quasi circulaire. Non loin de là, d’autres tracés du même type ont été relevés à la mi-juin. Début juillet, la taille de l’ensemble atteignait 220 x 140 m.
Ce qui a le plus surpris l’équipe est leur vitesse de propagation, « quelques dizaines de centimètres par heure ». Pour l’auteur principal : « Cela souligne la complexité des processus physiques impliqués ». Tout semblait si immobile des mois durant et puis tout à coup, de nouvelles figures se sont dessinées. Elles sont très probablement le produit de la sublimation de matériaux volatiles enfouis sous la couche de poussière qui se réchauffe, en surface, étant donné le rayonnement solaire croissant et sa position proche de l’équateur, toutefois, souligne l’équipe, les observations ne sont pas en accord avec les modèles. Ceux-ci prédisent plutôt une progression de quelques centimètres par heure et non de plusieurs dizaines de centimètres…
Les chercheurs en sont convaincus, il y a forcément d’autres mécanismes à l’œuvre. Il est tout à fait possible que la couche superficielle soit en réalité plus fine que supposée et en outre, que de l’énergie soit libérée de l’intérieur, par la cristallisation des glaces amorphes ou encore par une déstabilisation des clathrates.
Curieusement, cependant, les taux de vapeur d’eau, de dioxyde ou de monoxyde de carbone ont très peu augmenté au-dessus de cet environnement et les observations d’Osiris ne témoignent pas de jets particulièrement plus intenses à cet endroit. Cela pourrait s’expliquer par des éjections de grains plus gros — de taille millimétrique plutôt que de l’ordre du micron — que d’habitude qui donc réfléchissent moins la lumière solaire. Il n’est pas non plus exclu qu’une grande partie soit tout de suite retombée à la surface de la comète, échappant à l’œil de Rosetta.
Schéma de l’anatomie d’une comète. Le noyau (_nucleus_) de Tchouri est enveloppé par la _coma_, son atmosphère. À la proue, les molécules de la chevelure interagissent avec le vent solaire et crée un front appelé _Bow shock_, que les scientifiques de la mission souhaitent étudier durant plusieurs jours dans le cadre de l’expédition inédite de Rosetta, à 1.500 km du centre de l’astre bilobé. Dans son sillage, on observe deux queues (_tails_) caractéristiques des comètes, l’une de plasma (à l’opposé du Soleil) et l’autre, courbe, de grains de poussière essaimés. Étant trop près du noyau, la sonde de l’Esa ne peut pas les photographier — Crédit photo : ESA
Une promenade de 1.500 km pour Rosetta
Les responsables de cette ambitieuse mission ont décidé qu’à compter du 23 septembre, Rosetta — actuellement distante de 450 km — entamerait une petite croisière de trois semaines à travers la chevelure de la comète. Fin septembre, la sonde sera éloignée de 1.500 km du noyau qu’elle escorte (plus de 700 millions de km déjà parcourus en sa compagnie). Une telle distance remonte à avant son arrivée.
Pour l’équipe scientifique, ce périple sera l’occasion d’étudier au moyen de RPC (Rosetta Plasma Consortium) l’environnement de plasma de Tchouri, au plus fort de son activité. « En particulier, précise Claudia Mignone sur le blog de Rosetta, à la proue de la comète, la frontière entre sa magnétosphère et le vent solaire ». L’expédition permettra ainsi de suivre plusieurs jours durant son évolution en cette période post-périhélie.
La sonde sera de retour le 7 octobre à quelque 500 km du noyau pour reprendre son travail de vigie. Elle devrait se rapprocher davantage au cours des semaines suivantes, à mesure que l’effervescence décroit afin de constater l’érosion créée par l’activité de ces derniers mois.