Ce livre sur Morgarten vient à point nommé. Le 15 novembre prochain, cela fera 700 ans que cette bataille a eu lieu. Il vient d'autant plus à point nommé qu'aujourd'hui il est de bon ton de démythifier.
Démythifier est une bonne chose, encore faut-il ne pas tomber dans le travers d'élaborer alors une autre mythification. Car, à trop vouloir déconstruire un mythe, on construit souvent autre chose en remplacement. En quelque sorte un mythe peut en cacher un autre.
Le livre signé par Pierre Streit et Olivier Meuwly ne se situe pas entre mythe et histoire, comme une lecture rapide du sous-titre le donnerait à penser. En fait il détermine plutôt la ligne de partage entre mythe et histoire au sujet de Morgarten.
A Pierre Streit est revenue la part historique proprement dite, la plus grosse part, environ les trois quarts de l'ouvrage, sur ce que fut en vérité, et en réalité, Morgarten; à Olivier Meuwly, est revenue la part restante, épistémologique, qui ne se présente donc pas comme une simple postface.
De ce livre argumenté, documenté, il faut d'abord retenir que la bataille de Morgarten a bien eu lieu, contrairement à ce que prétendent certains, qui se disent historiens et qui ne cherchent dans l'histoire qu'un instrument au service d'une idéologie.
Il existe en effet des sources. Six textes principaux qui relatent cette défaite cuisante des Habsbourg, dont trois sont relativement proches de l'événement, s'il faut les examiner avec prudence: les chroniques de l'abbé Pierre de Zittau (1316), de Jean Victring (vers 1340) et de Jean de Winterthour (vers 1345).
Ce qui caractérise la bataille de Morgarten? La disproportion des forces en présence et de leur expérience militaire, le lieu favorable aux vainqueurs où elle s'est déroulée (le lieu exact et le déroulement exact restent des questions ouvertes), l'ampleur des pertes.
Comme tout historien qui se respecte, et qui respecte ceux qui le lisent, Pierre Streit resitue dans quels contextes cet événement s'est produit à Schwytz et, notamment, que toute la société de l'époque est en armes en raison de l'insécurité régnante, que la noblesse locale n'y joue pas de rôle important.
Depuis plusieurs années il existe des tensions entre les habitants d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald, les Waldstaetten, d'une part et les abbayes, en premier lieu celle d'Einsiedeln, de l'autre. Ces abbayes ont créé des exploitations laitières qui leur font concurrence...
Ces habitants de Suisse centrale jouissent de l'immédiateté impériale, c'est-à-dire qu'ils ne dépendent que de l'Empereur et qu'ils jouissent d'une grande autonomie. L'envers de la médaille est que l'Empereur ne les protège pas contre les visées des Habsbourg sur les voies de transit alpines.
Aussi, au cas où l'empereur serait un Habsbourg, les habitants d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald, concluent-ils entre eux une alliance défensive en 1291. Il s'agit ni plus ni moins que d'une promesse faite entre eux de s'entraider en cas d'attaque.
Cette alliance n'est pas donc pas à proprement parler l'acte de fondation de la Confédération suisse - il faudra attendre la Constitution fédérale de 1848 pour cela -, elle est cependant la traduction en pacte d'une volonté, dont naîtra la Confédération, de défense des droits et de l'autonomie des Waldstaetten.
La commission par les Schwytzois de nombreuses exactions contre l'abbaye d'Einsiedeln, la double élection impériale de Frédéric d'Autriche, protecteur de l'abbaye, et de Louis de Bavière, soutenu par les Schwytzois, rendent la confrontation inévitable dans cette région de transit de première importance.
Léopold de Habsbourg prépare une expédition contre les Schwytzois, qui, renseignés, se préparent de leur côté. Ce sera cavaliers et fantassins d'un côté, contre paysans de l'autre. Ce sera une armée aguerrie contre des habitants déterminés.
Si les premiers sont solidement armés, les seconds n'ont que des hallebardes, mais ils ont une meilleure connaissance du terrain et, particulièrement, du lieu propice pour attaquer par surprise un adversaire supérieur en nombre...
Et puis, les uns et les autres n'ont pas les mêmes traditions guerrières. Le code d'honneur de la chevalerie, avec ses règles rituelles, s'avère moins efficace que le comportement au combat téméraire de l'infanterie de montagne des Waldstaetten...
Pierre Streit pose des questions: Est-ce que la bataille de Morgarten a été le "premier" combat des "Confédérés" pour leur liberté, un simple maraudage ou encore une fable? S'agit-il d'une vendetta ou d'une guerre économique? D'un mythe ou de la réalité?
Olivier Meuwly donne des éléments de réponse: Il n'y a pas a priori d'histoire "mythique" qui s'oppose à une histoire parfaitement objective. Seule l'honnêteté intellectuelle compte et permet de faire le départ entre les deux univers. Les mythes peuvent être de gauche et de droite et tous méritent de passer sous le scalpel de l'analyse.
Il ajoute: C'est la rencontre entre les diverses perceptions en présence qui offrira, à travers les regards qui se proposent, une esquisse d'histoire "objective", pour mieux comprendre le présent. C'est la meilleure voie vers une "désidéologisation" de l'histoire tant souhaitée par de nombreux historiens.
Francis Richard
Morgarten, Pierre Streit et Olivier Meuwly, 112 pages, Cabédita