Kids in the Dark

Par Suzybishop @DLACDI

Ca fasait bien des années que j'étais à la recherche de La Nuit du Chasseur de Charles Laugthon. Et enfin, je l'ai trouvé. Pendant le Festival du Film Fantastique de Strasbourg. C'est la première fois que j'allais voir un film pendant un festival. C'est une toute autre ambiance. Toutes les personnes présentes dans la salle sont là pour un but bien précis. On sent bien que chacun est là pour une raison particulière. Ce n'est pas juste aller au cinéma. C'est presque comme aller dans un temple, ça a presque quelque chose de sacré. 

Un prêcheur inquiétant poursuit dans l'Amérique rurale deux enfants dont le père vient d'être condamné pour vol et meurtre. Avant son incarcération, le père leur avait confié dix mille dollars, dont ils ne doivent révéler l'existence à personne. Pourchassés sans pitié par ce pasteur psychopathe et abandonnés à eux-mêmes, les enfants se lancent sur les routes.

L'Amérique profonde et rurale. Celle de la nuit, des ombres, des morts. Une Amérique reculée, qui s'accroche à des valeurs conservatrices. Celle de la foule qui se précipite dans la rue avec une fourche à la main avecl la ferme volonté de faire justice soi-même. Celle des pendaisons. L'Amérique mystique, où les créatures nocturnes reprennent leurs droits. L'Amérique marécageuse, torturée, misérable. Le film emprunte beaucoup au Southern Gothic. De par ses paysages. Des marécages, des maisons sinistres, des arbres morts, une rivière. L'eau a quelque chose de fascinant, et ouvre vers un autre monde, un monde sublime et fantastique. Là où les morts dansent sous l'eau. C'est cette scène simplement merveilleuse des deux enfants sur une barque, qui descendent la rivière. Les ombres, le chant innocent des enfants, les créatures fantastiques. On bascule soudainement dans l'onirisme. Par la beauté renversantes des images, des jeux d'ombres, et par cette musique. L'innocence même de la scène avec ces deux êtres fragiles qui s'endorment au milieu d'une nature bienveillante. J'ai rarement vu une scène aussi belle, aussi aboutie. 

C'est aussi cette Amérique des monstres. Le monstre n'est en rien une créature fantastique, il est bien réel, car humain. Harry Powell est un monstre. C'est le grand méchant Loup des contes pour enfants. Une ombre inquiétante qui plane, un être démesurément imposant par rapport aux fragiles créatures que sont John et Pearl. Celui qui sait manier les mots, pour en faire des armes. Pour charmer ceux qu'il croise sur sa route. Un monstre dangereux, machiste qui pensent accomplir le devoir de Dieu en pourchassant les veuves et les êtres décadents. Comme cette danseuse de cabaret, symbole même de la  décadence des moeurs d'une Amérique encore trop puritaine. Un monstre qui hait l'inocence. Qui n'hésite pas à frapper une femme, des enfants. Mais Powell est un pasteur. Il incarne un paradoxe entre le bien et le mal. Il symbolise aussi une religion perverse, qui vient remettre en cause toutes les valeurs d'un pays. Cette scène impressionnante où une femme se confesse au côté de Powell, et où le feu est présent au chaque coin de l'image. Une scène de confession prend des accents diaboliques. C'est impressionnant, car complètement moderne. Powell est un personnage incroyablement moderne, de par ses enjeux. Il représente une religion décadente, ce qui paraît scandaleux dans les années 50, encore plus dans un pays comme les Etats-Unis. Le film se construit autour d'une lutte permanente entre le bien et le mal, entre l'ombre et la lumière. 

En effet, le film est un conte cauchemardesque. La figue du loup qui poursuit deux enfants livrés à eux-même, protégés par une nature bienveillante. La figure maternelle de Mrs Cooper, qui recueille les enfants abandonnés et veille à protéger son foyer, un fusil à la main. Une lutte qui atteint son apogée dans une scène de chants. La même chanson, l'une qui ajoute le nom Jésus tandis que l'autre non. Une lutte qui s'accomplit à travers la musique des ces deux voix, l'une sombre et terrifiante, l'autre douce et apaisante. Le chant s'invite dans le film. C'est la folk, cette musique venue de nulle part, sur toutes les lèvres. C'est l'âme même de l'Amérique. Ces voix qui s'élèvent pendant la nuit. Qui ajoutent à la spiritualité des lieux, à leur mysticisme. Car l'histoire même a quelque chose de sacré. Elle dérive des légendes bibliques, de Moïse trouvé sur les eaux du Nil. John et Pearl sont des figures pures, qui ont quelque chose de sacré, car ils empruntent le même schéma narratif que ceux que l'on trouve dans la Bible. De ces enfants sacrés abandonnés sur l'eau et recueillis par une femme aimante. Ces enfants aux visages d'anges, perdus dans un monde hostile. Car le monde est impitoyable avec les êtres faibles. 

La Nuit du Chasseur est un chef-d'oeuvre. Ce n'est pas une appellation excessive mais bien une réalité. C'est un film sublime, avec un travail minutieux sur l'image . Le noir et blanc transforme chaque plan en tableau vivant. Un travail minutieux sur les personnages. Car Powell est un monstre absolument terrifiant, complexe et surtout incroyablement moderne. On est en 1956, le film ose tenir un propos qui peut faire scandale car dépeint une Amérique bien mystérieuse. C'est un film véritablement fascinant, et je suis vraiment contente de l'avoir vu enfin, sur grand écran.