Paul Schrader, scénariste attitré de quelques films de Martin Scorsese devenus cultes tels Taxi Driver, Raging Bull, La dernière tentation du Christ ou encore A tombeau ouvert, s’illustre avec La sentinelle, long-métrage qu’il a scénarisé et réalisé, sorti directement pour le marché de la vidéo le 15 juillet 2015, publié par Metropolitan Filmexport, ne risque pas de lancer une franchise digne des meilleurs séries d’espionnage, avec un thriller politique qui, après avoir laissé l’illusion d’une certaine subtilité finit par s’enliser dans un manichéisme pro-américain assez malsain.
Capturé par l’ennemi, il y a près de vingt ans, Evan Lake (Nicolas Cage), un agent de la CIA a été sauvé in-extremis en pleine séance de torture. Mis au placard par ses services, il anime l’accueil des dernières recrues de Langley. Lorsque le médecin militaire lui diagnostique une démence naissante, il décide avec l’aide de son plus fidèle collègue, Milton Schultz (Anton Yelchin) malgré l’avis de ces supérieurs de retrouver son tortionnaire, Muhammad Banir (Alexander Karim que l’on a vu dans l’excellente série suédoise Real Humans) et de se venger.
La réalisation de La sentinelle est aussi classique qu’elle est aseptisée. Schrader ne distille pas la moindre goutte d’audace du côté artistique et fait dans l’esbroufe du côté scénaristique. Le film commence et se termine dans les froids locaux de Langley, le siège de la CIA. Cette esthétique perdure et imprègne tout le long-métrage. Tout les lieux décrit manque cruellement de personnalité. Le chef décorateur a du se contenter du minimum et n’a pas jugé bon de rendre les intérieurs plus personnalisés. C’est rare de le ressentir à ce point mais on sent bien que le déficit d’histoire à raconter va de pair avec une représentation lacunaire des endroits mis en scène. C’est que La sentinelle tient davantage de la brochure publicitaire propagandiste que d’un véritable thriller ambiguë à la Homeland. Nicolas Cage, qui joue un agent en train de perdre la boule, n’est pas convaincant, la faute à l’écriture sûrement, en espion à la fois mélancolique et ivre de colère et de vengeance.
Depuis sa création en 1947, malgré les nombreuses exactions dont elle s’est rendu coupable, notamment en Amérique Latine et en Asie, longtemps sous couvert de la Guerre Froide, la CIA, échappant à tout contrôle, servant les intérêts impérialistes des États-Unis a conservé une opinion favorable aux États-Unis. Malgré tout, de nombreuses voix ont régulièrement dénoncé le caractère d’ingérence, de déstabilisation et de propagande de l’agence de renseignement. Le 11 Septembre 2001, s’il a, dans un premier temps, permis un retour en force des tenants d’une ligne dure, a aussi eu le douloureux mérite de souligner les contradictions de l’administration états-unienne. Ainsi, l’on apprenait que le cerveau des attentats fut surtout, pendant longtemps, le fer de lance de la lutte anti-soviétique en Afghanistan, orchestrée par la CIA. Qui sème le vent récolte la tempête, réalisa-t-on.
Rajoutons à ces faits qui ne mentent pas que les idées de démocratie et de liberté que l’on entend défendre par monts et par vaux sont plus souvent instrumentalisées pour défendre des intérêts économiques que par réelles convictions. Il faudrait, d’autant plus, définir ces termes de manière universelle, ce qui n’est pas gagné. La sentinelle fait une partie du chemin, en laissant le terroriste s’exprimait, arrivant même à faire douter le preux chevalier américain du bien-fondé de sa croisade. Malheureusement, c’est pour mieux faire brutalement marche arrière car, nécessairement, l’étranger est forcément traître et pernicieux. Un instant, une remise en question se fait jour qui est immédiatement annihilée. Conclusion de la fable pas très morale de La sentinelle, la patrie, ce n’est pas une question de vivre ensemble, c’est une question de foi mystique. Et comme toute foi aveugle, il lui faut désigner des hérétiques à abattre.
La sentinelle, à défaut d’être entraînant aurait pu colporter quelques bonnes idées et bases de réflexion sur le manichéisme à l’œuvre dans le discours politique occidental. A la place, l’idée est tué dans l’œuf pour mieux livrer une œuvre de propagande lambda sans saveur et presque exaspérante. On est très loin de Secret d’État.
Boeringer Rémy
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