Chers amis,
Il ne m’est pas possible de débuter cette intervention sans renouveler mes remerciements au maire d’Annecy, Jean-Luc Rigaut, et à l’équipe municipale, dont sa directrice de cabinet Anne-Marie Aubry, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé, ce samedi. Certes, l’éloignement de Paris a généré quelques petites difficultés d’organisation, mais qui ont été largement compensées par le soutien logistique qui nous a été offert. Tout comme par la beauté de la ville dans laquelle nous avons, durant quelques heures, le privilège de séjourner.
Merci aux adhérents pour ces 97% de voix pour mon rapport moral. Cela me touche et m'oblige.
Nos amis suisses nous ont donc présenté la situation qui existe dans leur Confédération. Quel contraste avec notre pays dans lequel le débat parlementaire sur la fin de vie piétine. Quel contraste avec cette liberté que nos voisins helvètes ont le droit d’exercer – ou pas – et cette obligation qui nous est faite en France, ici, à seulement quelques kilomètres de la frontière, d’abdiquer nos droits de citoyen libre et responsable pour nous mettre entre les mains de personnes – quelles que fussent leurs compétences et leur humanité – qui décideront à notre place. Pourquoi ? Parce qu’une personne âgée, une personne qui souffre, une personne en fin de vie ne serait plus capable de raisonner et de décider ? Quel est ce nouveau paternalisme…
Merci donc à nos amis suisses, non seulement d’avoir fait le déplacement jusqu’à Annecy, mais aussi de nous donner un espoir.
Car non seulement la Suisse peut être la solution pour ceux d’entre nous qui n’arriveraient pas à être entendus et respectés dans notre pays – sans excès évidemment, car il ne s’agit pas de provoquer l’exode massif de tous les Français soucieux de trouver une mort apaisée – mais la Suisse est également la preuve qu’un pays rigoureux, démocratique, moderne, paisible et pacifique peut trouver des solutions respectables et acceptées qui permettent à chacun d’exercer librement un choix de fin de vie lorsque la vie n’est plus que de la survie.
En France, vous l’avez noté, le débat s’enlise. Depuis l’élection de François Hollande et son engagement 21 sur le droit de mourir dans la dignité, rien n’avance. Je ne vais pas une nouvelle fois vous faire la liste des missions, réunions, avis consultatifs, avis citoyens, commissions… qui ont été sollicités depuis 3 ans. Je vous rappellerai seulement que lorsque les Français ont été interrogés par le Comité consultatif national d’éthique dans le cadre du Jury Citoyen, ils sont allés très loin puisqu’ils réclamaient la légalisation d’une aide active à mourir pour tous ceux qui en font la demande ou en aurait fait la demande, qu’ils soient aujourd’hui conscients ou inconscients, et une exception d’euthanasie pour ceux qui, inconscients, n’auraient rien dit, comme c’est le cas de Vincent Lambert.
Je m’arrête une seconde sur le cas de Vincent Lambert. Comment comprendre que la proposition de loi Leonetti n’ait même pas essayé de régler pour l’avenir le problème de celui ou de celle qui est en fin de vie et qui n’a pas rédigé de directives anticipées, alors même que Vincent Lambert vit, avec son épouse et ceux qui l’aiment, un véritable calvaire ? Quelle surdité : Quel aveuglement !
Cela aurait pourtant été simple… Dans la loi belge, tout a été prévu. Si aucun représentant légal n’a été désigné, la loi prévoit une série de représentation en cascade. D’abord le partenaire de vie. Puis l’enfant majeur. Puis les parents… Tout le monde est hiérarchisé, ce qui évite les incertitudes et les disputes.
Et bien malgré la médiatisation de l’affaire Lambert, aucun amendement ne tente de résoudre pour l’avenir ce terrible problème qui est au cœur de la tragédie de Vincent Lambert.
Pour aller plus loin, revenons à l’avis du Jury citoyen qui est conforme à ce que toutes les enquêtes d’opinion sur le sujet révèlent depuis 30 ans : les Français plébiscitent la légalisation de l’euthanasie.
Alors que se passe-t-il ? Pourquoi rien n’avance ? Vous le savez déjà. D’une part le président de la République comme le Gouvernement – pourtant très favorables à la revendication de l’ADMD – ne font pas de cette question une priorité de ce mandat. Ensuite, le lobbying des milieux intégristes catholiques, le poids des religions sur les décisions publiques, l’influence néfaste des mandarins qui refusent d’abdiquer la moindre parcelle de pouvoir en rendant leur voix aux patients, bloquent toute avancée et s’en remettent au jugement partial et conservateur du spécialiste autoproclamé sur la fin de vie, le bon docteur Jean Leonetti, qui, n’exerçant plus la médecine depuis des années et n’étant ni malade ni en fin de vie, ne délivre qu’une opinion politicienne, partisane et liberticide sur ce sujet, en contradiction avec ce que demandent presque unanimement les Français.
Et pourtant, de plateaux de télé et auditions, du Parlement aux nombreux forums de bioéthique, il débite mensonges, contre-vérités et fantasmes sur ce qui se passe dans les pays du Benelux ou en Suisse, assurant son auditoire des pires dérives dans ces pays qui provoqueraient un exode massif de déambulateurs sur les routes européennes pour trouver refuge, peut-être au Vatican ou en Pologne, et d’un retour à la peine de mort et à l’eugénisme dans notre pays si jamais ont acceptait que le patient puisse prendre enfin en charge sa propre fin de vie.
Et c’est ainsi que notre débat parlementaire, débuté au printemps dernier à l’Assemblée nationale puis poursuivi au Sénat, pris entre le statu quo proposé par Jean Leonetti et Alain Claeys et le retour en arrière, c’est à dire l’acharnement thérapeutique proposé par quelques vieux barbons UMP du Palais du Luxembourg, n’a débouché sur rien et qu’il faudra attendre une seconde lecture – le 5 octobre, un lundi, jours où les députés sont peu présents à Paris... – pour savoir si oui ou non nous pourrons un jour jouir de notre ultime liberté.
Alors il faudra continuer à nous battre auprès de nos parlementaires. Il faudra continuer à militer, à écrire, à râler, à manifester, à aider nos proches et nos adhérents qui se trouvent dans des impasses de fin de vie et leur accorder ce soutien qu’ils sont légitimement en droit de recevoir de notre part.
L’année prochaine, dans la perspective des élections présidentielles et législatives, il faudra alors définir une nouvelle stratégie pour notre association, tout en conservant en mémoire que dans notre République parlementaire, c’est le Parlement qui fait les lois et que l’Assemblée comme le Sénat sont des points de passages obligés pour toute réforme sociétale. Et en se rappelant également que nos adhérents ne sont pas des révolutionnaires prêts à renverser les tables et que nous n’avons toujours pas trouvé nos « 343 salopes ». Autre temps, autres mœurs…
Il nous faudra rester unis et soudés. Bien sûr, je comprends que certains, anticipant l’échec de notre stratégie, s’inquiètent et s’interrogent. Je sais que les plus en difficultés d’entre nous se demandent s’ils pourront bénéficier, sans avoir besoin de faire appel à la Suisse ou à la Belgique ou dans un geste clandestin, d’une mort douce, apaisée et préparée. Evidemment, je perçois les aigris au-delà de notre association et les ennemis de notre revendication d’une loi de liberté qui surfent sur quelques mouvements d’humeur pour gagner une mesquine notoriété. Mais ce n’est pas au milieu du gué qu’il faut changer de direction. Et le jour où nous changerons de cap, forcément après le vote définitif du texte actuellement en discussion, celui-ci sera proposé par le conseil d’administration à l’ensemble de nos adhérents. Nous avons la chance d’être dans une association qui vote au moins une fois par an. Sous contrôle d’un huissier de justice. Il faut laisser la voix à la démocratie. Et quoi de plus démocratique que l’élection ?
A ceux qui s’interrogent sur l’avenir de notre association je rappellerai combien elle n’a jamais été aussi forte, aussi puissante qu’aujourd’hui avec nos près de 65.000 adhérents. Je rappellerai aussi combien elle est entendue, reçue et respectée comme jamais. Je rappellerai la mobilisation de nos responsables, administrateurs, délégués et délégués adjoints, bénévoles d’ADMD-Ecoute, salariés pour que les choses évoluent dans le sens que nous souhaitons.
A vous tous, je promets que nous arriverons à faire entendre notre voix, la justesse de nos arguments et la légitimité de notre revendication.
Entre temps, comme nous l’avons toujours fait, nous continuerons d’aider celles et ceux qui connaissent des fins de vie difficiles, dans le respect de chacun et de manière généreuse.
Je compte sur vous. Ensemble, nous allons gagner notre Ultime Liberté ! Et nous redonnerons vie à la dignité!
Je vous remercie.
Jean-Luc Romero
Président de l’ADMD