En douce, délibérément cachée par les grands médias pour des motifs idéologiques, se déroule depuis quelques années une révolution scientifique telle que la discipline préhistorique n'en avait pas connu depuis des décennies. En effet, c'est toute la théorie de l'origine africaine de l'homme qui est en train de s'effondrer. Si, encore à l'heure actuelle, les plus anciens squelettes d'hominidés proviennent bien d'Afrique, les découvertes les plus récentes, en Géorgie et en Espagne, soit aux deux extrémités de la grande Europe, montrent que notre continent fut le lieu d'une hominisation parallèle à celle de l'Afrique, et surtout, que l'homme moderne européen n'est pas apparenté aux hommes modernes d'Afrique.
A titre personnel, je tiens à préciser l'idée suivante : cela ne me poserait aucun problème de conscience, ou d'identité, d'admettre une démonstration qui prouverait que l'homme moderne européen est un proche parent de l'homme moderne africain, par exemple si l'on découvrait un ancêtre commun proto-moderne à l'un et à l'autre. Car je crois que notre identité ne se définit pas en fonction de ce qu'ont été nos ancêtres, mais en fonction de ce que nous sommes aujourd'hui, c'est-à-dire qu'elle dépend des héritages vivants, matériels ou spirituels, pas de ce qui est mort.Mais visiblement, l'inverse n'est pas vrai pour la majorié des scientifiques actuels, que les nouveaux éléments confortant l'idée inverse (une souche différente pour les Africains et les Européens) semblent gêner au plus haut point. Sont-ils inquiets de ce que l'armada des vigiles de la pensée pourrait mobiliser contre eux ? Craignent-ils de favoriser les mouvements identitaires européens (ou africains) ? Je ne sais, mais il est certain que jamais avant aujourd'hui le poids des impératifs idéologiques ne se sera fait autant sentir sur la marche de la science.
Mais je laisse la parole à l'africaniste Bernard Lugan, professeur à l'université de Lyon III, qui expose dans un article du dernier numéro de la Nouvelle Revue d'Histoire (voir lien ci-contre), de mai-juin 2008, les données fondamentales de cette question.
Amaury Piedfer(merci à Marie).
Atapuerca et les origines de l'homme
Révélés par la revue scientifique Nature (n°452 du 27 mars 2008), les découvertes archéologiques qui viennent d'être faites à Atapuerca (Espagne) remettent en question toutes les hypothèses antérieures sur l'origine africaine de l'humanité. Explications de Bernard Lugan (université de Lyon III).
Selon l'hypothèse dominante, l'hominisation se serait faite en Afrique et l'ensemble de la planète aurait été peuplé à partir du continent africain. Une première fois vers 2 millions d'années, avec Homo erectus, et une seconde il y a 120 000 ans avec l'Homme moderne (Théorie de l'Eve africaine). Or ces deux postulats viennent d'être fondamentalement affaiblis.
En ce qui concerne la première période, il y a deux millions d'années, deux séries de découvertes majeures faites, les unes en Géorgie (1991-2007) et les autres en Espagne (1994-2008), conduisent à une profonde remise en question des théories conventionnelles :
1. A Dmanisi, dans le Caucase, où les trouvailles se succèdent, les chercheurs ont mis au jour Homo georgicus, daté de 1,8 million d'années et qui présenterait des traits à la fois habilis et erectus (Lieberman, 2007) [photo ci-contre]. Comme il est postulé que c'est Homo erectus et non Homo habilis qui serait « sorti » d'Afrique, de deux choses l'une :
- soit l'Homo habilis l'a précédé dans la migration, ce qui n'est pas attesté, avant de se « métisser » avec lui, ce qui ne l'est pas davantage.
- soit l'Homo georgicus n'a pas d'ancêtres « africains », ce qui signifierait alors qu'il serait le résultat d'une hominisation indépendante de l'hominisation africaine.
2. A Atapuerca, en Espagne [photo ci-contre], avec la mise au jour des restes d'un hominidé fossile daté de 1,1 à 1,2 millions d'années (Homo antecessor), c'est tout ce que l'on croyait savoir concernant la première occupation humaine de l'Europe occidentale qui se trouve bouleversé. D'autant plus que, selon le professeur Eudald Carbonell, auteur de la découverte, avec Homo antecessor, nous serions même en présence d'une nouvelle espèce d'hominidés (Carbonell, 2008). Comme il est postulé que l'hominisation ne se serait faite qu'en Afrique, force serait alors de réviser ce quasi dogme archéologique.
Le postulat diffusionniste se trouve donc affaibli. Cependant, la prégnance du paradigme « scientifique correct » des origines africaines de l'homme est telle que les chercheurs abandonnent les impératifs de la méthode expérimentale pour tenter de faire « coller » leurs découvertes à la théorie dominante. Ainsi, la seule quasi concordance des dates (sortie d'Afrique il y a 1,8 millions d'année), devrait les conduire à s'interroger sur la validité de l'hypothèse « Out of Africa », ce qu'ils refusent de faire. Le professeur José Bermudez de Castro, co-découvreur d'Homo antecessor, en est ainsi réduit, faute de pouvoir donner une ancienneté plus grande à Homo erectus, à avancer l'idée de la rapidité de son expansion, ce qui n'est qu'une hypothèse de substitution.
La machoire de l'Homo antecessor
Pour ce qui est de la seconde période, celle qui voit l'apparition des actuelles populations humaines à partir de -200 000, le bouleversement scientifique est également fondamental. Les découvertes d'Atapuerca, en Espagne, sont en effet en rupture totale avec les hypothèses antérieures puisque, selon Carbonell (2008), Homo antecessor serait le dernier ancêtre commun aux néandertaliens ET (nous soulignons) à l'Homo moderne européen (Carbonell, 2008). Si cette hypothèse prospérait, la conclusion serait que l'Homo moderne européen procéderait donc d'une évolution faite in situ, en Europe, et à partir d'Homo antecessor. Il n'aurait donc aucune parenté avec l'Homo moderne africain.
Dans l'état actuel de connaissances mouvantes, la plus grande prudence s'impose, mais deux conclusions provisoires peuvent tout de même être tirées :- l'évolution humaine ne fut pas linéaire mais buissonnante ; - plus les découvertes s'additionnent et plus l'hypothèse multicentrique semble prendre de la vigueur.
Bernard Lugan.